L'histoire
A Palerme, Nino Peralta, un ancien petit délinquant qui subsistait en volant des voitures, essaie de revenir dans le droit chemin après une peine de prison. Il tient un petit kiosque où il vend des boissons, dont le revenu lui sert à faire vivre sa famille, mais aussi à payer ses traites et les impôts exigés par la mafia. Sebastiano Colicchia, un ami de Nino qui travaille pour lui, lui signale qu’un tueur est en ville et se renseigne sur ses agissements. Dans le même temps, Nino découvre que dans le local voisin, où il a l’habitude de livrer des cafés, une femme a été séquestrée. Petit à petit, Nino est ramené vers le milieu criminel et commence à vivre dans la peur.
Analyse et critique
A la fin des années 70, Damiano Damiani continue de creuser l’un des principaux sillons de son cinéma, l’étude de la mafia et de son impact sur la société italienne. Comme pour Confession d’un commissaire de police au procureur de la république et Comment tuer un juge, le cinéaste choisit pour décor la Sicile pour tourner Un Homme à genoux, un film dont il apporte lui-même le sujet, abandonnant cette fois les incarnations du pouvoir policier ou judiciaire pour se concentrer sur un individu sans statut, un homme au bas de la société, qui essaie de s’en sortir. Il laisse également de côté l’aspect film dossier, ne cherchant pas ici à décortiquer les mécanismes du crime organisé ou ses liens avec les institutions mais visant plutôt à en observer les conséquences sur le peuple, incarné par son personnage principal. Pendant plusieurs films, Damiani a analysé le phénomène mafieux, tentant de le faire comprendre au plus grand nombre par un habille mélange entre cinéma politique et forme populaire. Désormais, Damiani conclu : le crime organisé est présent et ses effets s’imposent.
Un Homme à genoux s’ouvre sur un plan de caméra qui plonge dans la foule pour aller y chercher Nino Peralta, le personnage principal du film, qui suit son ami Sebastiano Colicchia dans les rues de Palerme. Un choix de mis en scène qui éclaire sur l’intention de Damiani, qui va chercher son personnage au milieu de la population, comme une incarnation de celle-ci. Pendant près de deux heures, Damiani va observer comment le crime organisé influence la vie de Nino, comment elle le broie, comme elle influence et broie chacun à Palerme. Comme souvent, Damiani va mélanger les genres : au suspense, à l’intrigue policière et à l’action, le cinéaste mêle une observation sociale presque naturaliste. L’essentiel d’Un Homme à genoux montre Nino dans son quotidien, son travaille dans son kiosque, sa vie dans son petit appartement, avec sa femme et ses enfants, la vie normale d’un homme du peuple. Le film est ainsi un mélange entre une sorte de chronique sociale et un récit criminel, qui se superpose totalement totalement au propos de Damiani. : la collision entre la vie ordinaire et la violence physique et psychologique imposée par la mafia. On sent, dans chaque plan, une menace peser sur Nino, et par extension sur chacun.
Le cinéaste choisit de raconter son histoire en utilisant exclusivement le point de vue de Nino. Il est à la fois l’incarnation du peuple et le regard de Damiani, qui se pose en citoyen commun pour observer la société, et les effets du crime organisé sur la population italienne. Il ne réduit pourtant pas son film à un seul personnage, mais choisi de raisonner avec un duo, qui fonctionne sur un principe de miroir, constitué de Nino Peralta et d’Antonio Platamonte, le tueur qui le suit. Si Nino Peralta tente de résister et de s’extraire de la toile mafieuse, Platamonte est celui qui a renoncé. Lui aussi, comme nous le voyons à la fin du film, travaille pour nourrir sa famille, et pour cela il accepte toutes les demandes du milieu, comme s’il avait abandonné toute forme de morale personnel. La conclusion de Damiani sera terrible, Peralta deviendra Platamonte, pas l’inverse. Peralta est un héros qui tente de se défendre, de s’accrocher à une ambition simple, celle de vivre normalement, hors du milieu, mais ne parvient pas agir. Il accepte de tout céder, de tout perdre, mais doit tout de même se mettre à genou et, malgré sa rébellion finale, agir comme l’organisation le souhaite. Un Homme à genoux est un thriller vain, l’histoire d’un homme qui veut s’en sortir et qui constate que c’est impossible, quelle que soit sa volonté. L’espoir qu’incarnait le dernier plan sur Franco Nero dans Confession d’un commissaire de police au procureur de la république a disparu 8 ans plus tard, laissant la place à un constat désabusé et implacable.
La dynamique du film repose ainsi particulièrement sur son duo d’acteur principal. Dans le rôle de Nino, Giuliano Gemma a rarement été aussi impressionnant, aux antipodes du rôle enfantin, mais également passionnant, de Ringo. Il réalise la performance rare d’être à la fois charismatique et crédible en monsieur tout le monde, laissant tout un chacun comprendre qu’il l’incarne, élément indispensable au fonctionnement du film. Face à Gemma, Michele Placido, le futur réalisateur incarne Platamonte, un personnage aussi dangereux et menaçant que veule et résigné. Placido réussit tout particulièrement la création de ce personnage finalement pathétique, mais qui reste inquiétant jusqu’à la dernière image, vidé de toute morale, de toute essence humaine par l’environnement mafieux. Damiani attire petit à petit le personnage de Nino vers celui de Platamonte, dans un mécanisme terrifiant, qui veut que tout homme deviendra potentiellement le pantin du monde du crime.
Un Homme à genoux pourrait se rapprocher du thriller paranoïaque, installant une atmosphère particulièrement oppressante. Chaque rencontre que fait Nino apparait a priori menaçante, comme un piège sur sa route d’homme en quête d’honorabilité. Il veut être honnête mais est rattrapé par un crime commis à côté de son lieu de travail, il veut oublier ses activités criminelles passé mais est, petit à petit, au fur et à mesure des personnes qu’il croise et des évènements qui se déroulent autour de lui, ramené vers ses activités passées. Cette menace est la ligne de tension du film, plus que l’action qui n’est présente que dans quelques scènes, particulièrement réussies et marquantes mais relativement rare, Damiani se tenant ici éloigné des passages obligés du polar traditionnel. Le cinéaste signe à coup sur le film le plus sombre de sa carrière. En s’écartant de l’analyse du système pour s’intéresser à ses conséquences, il rend encore plus terrible les mécaniques qu’il a l’habitude de décrire. Et il rend son message encore plus pessimiste, annihilant toute forme d’espoir par la conclusion du film. C’est peut-être son ton qui fit le succès mitigé du film. Sorti à la fin de l’âge d’or du cinéma italien, alors que le public déserte les salles, Un Homme à genoux fut, même en tenant compte de ce contexte, un échec public. Il mérite pourtant d’être largement considéré, comme une forme de conclusion indispensable et passionnante au travail de son auteur sur la criminalité organisée en Italie.