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Critique de film
Le film
Affiche du film

Confession d'un commissaire de police au procureur de la république

(Confessione di un commissario di polizia al procuratore della repubblica)

L'histoire

A Palerme, le commissaire Bonavia lutte depuis des années contre Ferdinando Lomunno, un promoteur immobilier criminel. Après avoir échoué de nombreuses fois à le mettre hors d’état de nuire par des méthodes légales, Bonavia choisit de faire libérer de l’asile Li Puma, qui a un compte à régler avec Lomunno. Mais le promoteur est averti de la menace et prépare un comité d’accueil pour Lomunno. S’en suit une fusillade sanglante sur laquelle va enquêter le jeune substitut du procureur Traini, récemment nommé à Palerme. Entre le magistrat idéaliste et le commissaire usé par le terrain et prêt à tout pour éliminer son pire ennemi, une relation simultanée de confiance et de méfiance va s’installer alors qu’ils mènent une lutte commune contre le criminel et ses liens avec la politique locale.

Analyse et critique

La situation de Damiano Damiani dans le paysage critique est particulière. Pas assez affilié au cinéma de genre pour être une icône des amateurs de cinéma bis et ne présentant pas, en le regardant de loin, un parcours assez cohérent pour satisfaire aux critères indispensables à l’obtention de l’étiquette d’auteur, il navigue dans une sorte de néant critique avec une bibliographie famélique à son sujet, même si la rétrospective qui lui sera bientôt consacrée à la cinémathèque française laisse espérer un statut nouveau pour le cinéaste italien.  Après avoir étudié les beaux-arts et travaillé comme dessinateur de bandes dessinées et peintre, Damiani entre dans le monde du cinéma dès la fin de la guerre comme décorateur, avant de vite s’orienter vers le rôle de scénariste. C’est ainsi un homme qui a plusieurs cordes à son arc qui tourne son premier long métrage en 1960, et il conservera d’ailleurs la double casquette de réalisateur et de scénariste pour la plupart de ses films, à l’exception de la parenthèse américaine Amytiville II ou, plus étonnant, pour El Chuncho. Si sa filmographie va osciller du drame psychologique au western, en passant par le film d’horreur ou de mafia, alternant entre adaptation littéraires et scénario originaux, elle va peu à peu se concentrer sur des intérêts récurrents, retravaillés de film en film. En particulier, Damiani va entamer à partir de 1968 avec La mafia fait la loi l’étude de la question du crime organisé italien et de ses relations avec le système étatique qu’il approfondira dans de nombreux films, en conservant toujours un équilibre subtil entre la volonté de décrire l’Italie et de faire l’autopsie d’une société malade, et un refus constant de se faire trop théorique, conservant un goût marqué pour les séquences d’actions efficaces et les personnages développés. En 1971, Confession d'un commissaire de police au procureur de la République apparait comme le maitre étalon de ce fil conducteur du cinéma de Damiani et comme une œuvre majeure du film de mafia.


Si Confession d'un commissaire de police au procureur de la République s’ouvre sur le traditionnel carton affirmant le caractère fictif des personnages et des faits présentés dans le film, il faut bien évidemment comprendre le contraire. Damiano Damiani s’attache à décrire la réalité du système et la réalité du terrain. Ainsi, il affirmera plus tard aux Lettres Françaises : « Ne sont purement imaginaires dans ce film que la relation entre le commissaire et le substitut du procureur ». Le reste est bien concret, de la corruption des fonctionnaires d’état par les promoteurs immobiliers au meurtre du syndicaliste, inspiré par l’histoire d’un chef du parti communiste blessé par la mafia sicilienne sur la place d’un village en 1945 et qui n’est que le triste reflet de plusieurs assassinats du genre ayant eu lieu en Sicile après la guerre. Par son récit, Damiani ausculte une réalité inquiétante, celle d’une région dont tout l’appareil politique est corrompu, comme l’explique lors de leur déjeuner le commissaire Bonavia au procureur Traini, décrivant la table voisine où sont installés les principaux hommes de pouvoir sicilien. Mais Damiani n’en fait pas une spécificité locale, il ne traite pas la mafia comme un folklore qui serait propre à la Sicile. Au contraire, il décrit le mécanisme du crime organisé comme un phénomène généralisé ce que rappelle le discours du présentateur du journal télévisé, que l’on entend dans l’appartement du commissaire, et qui étend au pays le récit local du film. La Sicile du film, et l’histoire qui nous est contée, sont présentées comme la version visible du mal qui gangrène le pays tout entier, et qui corrobore une citation de Damiani lui-même : La Sicile est le miroir de l’Italien, mais le tain du miroir est pustuleux… "

La démarche de Damiani peut se rapprocher de celle d’un Francesco Rosi, le sujet film faisant nettement écho à Main basse sur la ville, par la précision et la rigueur avec lesquels il décrit les mécanismes criminels, tels ceux de la corruption du juge, qui se voit offrir un appartement luxueux à des conditions particulièrement avantageuses ou ceux, plus terre à terre, qui visent à se débarrasser du corps d’un témoin gênant dans un pylône de béton. Damiani propose une approche concrète, scientifique, un réalisme cru qui ne doit laisser aucun doute sur la nature des faits et par conséquent sur l’état de déliquescence morale du système politique. Car Confession d'un commissaire de police au procureur de la République est une charge incontestable, contre le crime organisé bien sûr, mais aussi et surtout contre l’état et les institutions, véritable cible du cinéaste. Ironiquement, le tournage du film ne sera d’ailleurs pas menacé par la mafia, et lui ouvrira même certaines portes, dont celles de l’hôpital psychiatrique dans lequel sont tournées certaines scènes du film. Comme le montre plusieurs fois Confession d'un commissaire de police au procureur de la République, la Mafia ne se cache pas, elle s’affiche au contraire fièrement comme la véritable détentrice du pouvoir en Sicile. Au contraire, Damiani sera beaucoup plus inquiets de la réaction des institutions, et notamment de la magistrature dont il craignait une accusation pour offense à magistrat. Il n’en sera rien, même si le procureur général de Rome ne reconnaitra jamais qu’en privé la réussite et la pertinence du film.


Damiani ne s’en tient pourtant pas seulement à ces constat, et au travail d’enquête. Confession d'un commissaire de police au procureur de la République aurait pu être un film dossier réussi, mais il est plus que ça. Si le cinéaste permet au cinéaste de comprendre les mécanismes de la corruption, il s’intéresse également à ses conséquences humaines, qui sont au cœur du film. Chez Damiani, la corruption n’est pas qu’un problème légal, elle est surtout ce qui entraîne le combat entre le commissaire Bonavia et le procureur Traini, c’est elle qui entraine la méfiance qu’ils entretiennent l’un envers l’autre, et qui crée le combat entre les seules personnalités honnêtes du récit. La corruption est un mal qui entraine l’autodestruction des hommes de bien et c’est, devant la caméra de Damiani, la pire de ses conséquences. Damiani crée deux personnages d’une épaisseur remarquable. Pour incarner Bonavia, Martin Balsam pourrait constituer un choix étonnant. Jusque-là, l’acteur américain était plutôt cantonné à des seconds rôles. Comme beaucoup de ses compatriotes, il tente l’aventure italienne, mais il est l’un des rares à la prendre autant au sérieux. Confession d'un commissaire de police au procureur de la République ressemble ainsi au véritable coup d’envoi de sa carrière, qui le verra trouver d’autres très beaux rôles en Italie (Chronique d’un homicide, Le conseiller) mais aussi aux Etats-Unis. Son incarnation de Bonavia est parfaite, en vieux commissaire revenu de toutes les batailles, qui comprend le système et sait qu’il ne peut pas lutter contre lui sans renoncer aux principes sacrés de la justice et du droit. Il est à la fois le sage qui va initier Traini à la réalité du monde et celui qui va devoir céder à ses principes barbares pour affronter son ennemi de toujours, le promoteur Lomunno. Le visage fatigué de Balsam et la colère qui irrigue ses yeux font de Bonavia un personnage convaincant et attachant pour le spectateur, nous en percevons toutes les contradictions, et toute la souffrance qu’a créée sa trajectoire.

Traini est lui incarné par Franco Nero, acteur fétiche de Damiani puisqu’il apparait déjà dans La mafia fait la loi, avant de retrouver le cinéaste pour Nous sommes tous en liberté provisoire et Comment tuer un juge. Il est, au début du film, la figure de l’innocence, qui ne connait pas la corruption du système et va y être initié tout au long du film par ses échanges avec Bonavia. Mais malgré les épreuves, il va trouver la force de conserver ses idéaux. Il est ainsi à la fois un personnage réaliste, celui du procureur intègre, et une figure quasi angélique, celle d’un chevalier blanc qui pourra continuer à lutter pour le bien après la conclusion partiellement ouverte que propose le film. Il pourrait être alors vu comme une sorte de héros tout droit sorti d’un film de Frank Capra, l’un des cinéastes favoris de Damiani. Nero lui prête toute sa prestance, son charisme, la force de son regard bleu acier qui transcende la caméra. Dans un récit détaillé, quasi documentaire, comparable à un film dossier, il constitue une inattendue mais convaincante figure de héros, celui qui porte la possibilité d’un monde meilleur, malgré un constat désespérant.


Damiani met en scène l’évolution de ce duo de personnage avec une grande sobriété, et le récit se déroule sans le moindre effet inutile. Le cinéaste laisse parler son écriture, comme l’illustre le long dialogue entre Bonavia et Traini, dans les montagnes de Sicile, lorsque le premier raconte l’histoire d’un syndicaliste tué par Lomunno, et ses suites criminelles, qui l’ont conduit à devenir l’ennemi juré du promoteur mafieux. La séquence aurait été un long et pénible tunnel devant la caméra de nombreux cinéaste est ici un moment de grâce, intense et puissant, rythmé par la qualité du dialogue, et par les quelques flashbacks soigneusement choisis qui dynamisent l’ensemble par des moments d’action marquants. Car Damiani n’oublie pas qu’il évolue dans le cadre du film de mafia, et il sait brillamment offrir aux spectateurs les marqueurs du genre qui lui permettront d’être encore plus réceptif à sa démonstration. La fusillade qui oppose Li Puma aux hommes de main de Lomunno montre par exemple que le réalisateur excelle dans les séquences d’action. Avec d’autres séquences, comme celle de la réunion des mafieux ou celle de la prison en fin de film, Confession d'un commissaire de police au procureur de la République est aussi incontestablement un grand film de gangster, tout en évitant absolument toute fascination pour ce milieu, auquel Damiani ne concède jamais rien, auquel il n’offre aucun glamour, jusqu’à faire incarner Lomunno par un excellent Luciano Catenacci, physiquement repoussant dès qu’il apparait à l’image.

[ATTENTION : LE PARAGRAPHE SUIVANT RÉVÈLE DES ÉLÉMENTS DÉCISIFS DE L’INTRIGUE]
Damiani réserve les seuls effets de mise en scène pour sa brillante conclusion, en deux parties. D’abord la mort en prison de Martin Balsam, qui refuse encore jusqu’au dernier moment de dénoncer ses meurtriers aux garde, preuve de sa soumission, d’une certaine manière, aux règles de la mafia, et qui va s’effondrer enveloppé par les rires de tous les détenus, comme l’illustration du triomphe du mal, dans un montage son remarquable. Ensuite la confrontation de Traini avec le reste de la magistrature, Nero installé an haut des escaliers, dominant ceux qui sont corrompus, telle la statue du commandeur. Lors du tournage, Damiani s’était laissé deux options, l’une dans laquelle gagnait la mafia, l’autre dans laquelle elle parait. Sur la suggestion de son monteur Antonio Siciliano, il opta pour une troisième voie, celle d’un final suspendu laissant le doute sur l’avenir de Traini et imposant un débat moral au spectateur : accepter la situation, ou lutter pour la justice sans jamais rien concéder.
[FIN DES RÉVÉLATIONS]

Après avoir été le premier cinéaste à faire explicitement de la mafia le sujet d’une histoire avec La mafia fait la loi et Seule contre la mafia, Damiani poursuit avec Confession d'un commissaire de police au procureur de la République son étude de la criminalité et de ses connivences avec la politique qui fera le socle de son travail y compris dans sa mini-série La pieuvre, qui triomphera sur les petits écrans italiens dans les années 80. Le cinéaste dissèque les mécanismes d’une société déclarée malade dès le début du film, qui s’ouvre dans un asile dans lequel Li Puma se caractérise par son obsession de la propreté, comme si par opposition, la société extérieure était sale. Mais Damiani ne se contente pas de porter un regard froid sur la situation, il sait y mettre de la chair, de l’humanité et mettre à porter du spectateur un discours riche pesant par sa science du cinéma de genre et sa psychologie des personnages. Confession d'un commissaire de police au procureur de la République n'est pas seulement un film dossier, ni seulement un film de mafia, ni même une juxtaposition des deux. Il est tout en même temps, toujours, il est un film somme qui relie toutes les ambitions du cinéma de l’âge d’or du cinéma italien faisant cohabiter la puissance théorique des grands films citoyen et le pouvoir de conviction et d’attraction du cinéma de genre. Il est l’incarnation de toutes les forces artistiques de son époque, porté par la mélancolie puissante de la musique de Riz Ortolani, et la démonstration implacable de toutes les qualités de son auteur, Damiano Damiani, cinéaste majeur et incontournable de son époque.

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La fiche IMDb du film

Par Philippe Paul - le 20 avril 2022