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Critique de film
Le film
Affiche du film

Un de nos avions n'est pas rentré

(One of Our Aircraft Is Missing)

L'histoire

En 1942, le bombardier anglais B for Bertie fait partie d'un raid sur Stuttgart. Sur le retour, l'avion est endommagé et l'équipage doit sauter en parachute au-dessus des Pays-Bas. En territoire occupé, les survivants doivent trouver un moyen de retourner en Angleterre, avec l'aide des résistants locaux.

Analyse et critique

La Seconde Guerre mondiale a donné lieu en Angleterre, comme dans les autres pays impliqués dans le conflit, au développement d’un cinéma de propagande, visant à engager la population derrière l’action du pays et de son armée ainsi que, cas spécifique à l’île britannique par rapport aux Etats-Unis, à renforcer son moral face aux agressions quotidiennes qu’elle subissait sur son territoire lors du blitz. Cette démarche s’inscrit dans une tradition anglaise du cinéma de guerre, souvent quasi documentaire, comme l’illustrait par exemple dès 1936 le poussif La Conquête de l'air de Zoltan et Alexander Korda, docu-fiction illustrant la puissance des forces aériennes britanniques, ayant plus pour but de susciter la fierté collective de la nation plutôt que d’exalter l’héroïsme individuel. Un de nos avions n’est pas rentré est à la fois un exemple parfait de ce registre cinématographique et une œuvre totalement incluse dans la trajectoire artistique du duo Michael Powell / Emeric Pressburger alors naissant.


Un de nos avions n’est pas rentré reprend l’argument de nombreux films de guerre, celui d’un groupe de soldats se retrouvant en territoire ennemi ou hostile et devant surmonter un certain nombre d’obstacles pour regagner leur camp.  Ici, il s’agit de l’équipage d’un bombardier anglais qui se trouve forcé d’abandonner son appareil au-dessus des Pays-Bas et qui va devoir, avec l’aide des résistants locaux, regagner l’Angleterre en traversant un pays occupé par l’Allemagne. Le film se décompose en deux parties. La première relève presque du docu-fiction évoqué plus haut, en décrivant minutieusement le fonctionnement d’une base de bombardiers anglais et plus précisément d’un des équipages qui y est stationné. Pendant une trentaine de minutes, nous assistons donc, de manière condensée, à un équivalent aérien de ce que sera Ceux qui servent en mer - film diffusé quelques semaines plus tard seulement - pour la marine. Cette longue introduction est l’occasion de détailler les rôles de chacun et la belle mécanique qui préside au lancement des bombardiers vers l’Allemagne et donc, par extension, de montrer la qualité du système qui défend l’Angleterre et les Anglais. C’est aussi le moment de présenter les personnages, en insistant particulièrement sur la mixité sociale du groupe qui associe un acteur et un footballeur professionnel à des camarades moins fortunés. Toute l’Angleterre se bat, sans distinction de classe, et sans que l’un des individus ne soit distingué du groupe par un héroïsme particulier. Ce sont des personnages normaux, qui deviennent forts collectivement. Cette première partie laisse la part belle à plusieurs plans réels, tournés par la RAF lors de bombardements en Allemagne et fournis à la production du film, qui sont associés à quelques plans de maquettes qui anticipent déjà le souci de la reconstitution précise et de l’illusion qui deviendra avec le temps l’une des marques de fabrique du duo Powell / Pressburger.


Si Michael Powell avait déjà été associé à ce type de production avec le film collectif Le Lion a des ailes, tourné en 1939, c’est surtout à 49e parallèle, produit en 1941, qu’Un de nos avions n’est pas rentré fait écho. En effet, on y retrouve l’immersion d’un groupe de militaires dans un territoire étranger avec un renversement de principe puisque, dans le premier des deux, Powell et Pressburger avaient l’audace géniale de suivre un groupe de soldats allemands piégés au Canada, faisant de facto des ennemis les personnages centraux d’un film. Les cinéastes en profitent de nouveau pour nous offrir une étude quasi anthropologique en faisant de la seconde partie du film une immersion en culture néerlandaise. Le groupe de soldats met notamment du temps à croiser quelqu’un qui parle anglais, rencontrant des enfants et des villageois dans leur vie quotidienne. Conformément à l’image d’Epinal du pays, on voit des moulins, des cyclistes, dans une atmosphère presque apaisée, où la menace allemande n’est que diffuse, illustrée seulement par le passage d’un char ou d’un officier allemand qui inspecte silencieusement une église. Il n’est d’ailleurs pas non plus diabolisé, comme en témoigne la discussion dans le cockpit où l’équipage évoque le bon temps passé à Stuttgart avant-guerre, même si les exactions du régime nazi sont évoquées. Presque absent, l’ennemi, comme dans la plupart des films anglais du genre, n’est pas outrageusement diabolisé. Il est réduit à sa plus simple expression, celle de l’opposant, pour concentrer le message sur la solidarité et les valeurs du peuple anglais et, ici, sur celles du peuple néerlandais qu’il faut défendre. Sans présence massive de l’ennemi, peu ou pas de grandes séquences d’action ou de démonstrations de force, et donc peu d’actes d’héroïsme individuel, contrairement à ce que l’on trouvera régulièrement dans le cinéma américain. Ainsi, les rebondissements fonctionnent plutôt sur la ruse et sur des stratagèmes qui font parfois sourire, comme lorsque l'équipage se déguise pour passer d'un village à l'autre. Seul peut-être le personnage de Jo de Vries s’approche de l’héroïne traditionnelle, incarnant ainsi à elle seule les qualités du peuple néerlandais. La fonction de propagande est ainsi portée plus nettement par l’empathie installée pour les personnages que par la survalorisation de l’action ou de la surpuissance d’un des protagonistes.


Porté par de futurs grands noms du cinéma anglais avec David Lean au montage et Ronald Neame à la photographie, et un casting solide, Un de nos avions n’est pas rentré est un film solide qui signe les grands débuts de la société de production The Archers. S’il n’égale pas l’originalité et la force de 49e parallèle, il reste une belle illustration de la singularité du cinéma de propagande anglais comme de celui du duo Michael Powell / Emeric Pressburger.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Philippe Paul - le 5 janvier 2023