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Critique de film
Le film

Le 49ème parallèle

(49th Parallel)

L'histoire

1940, un sous-marin allemand rode au large de Québec. Après avoir coulé quelques navires alliés, il est repéré par l’aviation canadienne puis coulé. Peu de temps avant ce raid, un groupe de six hommes avait quitté le navire pour aller chercher des vivres et du kérosène. Bloquée en territoire ennemi, la troupe de Nazis va tenter de rejoindre les USA (pays neutre) en traversant le 49ème Parallèle. Mais sur leur chemin, les soldats germaniques vont devoir faire face à la bienveillance et au courage des citoyens canadiens...

Analyse et critique

Mai 1940, le ministère de l’Information du gouvernement de Winston Churchill crée un département autonome afin de produire des fictions dédiées au conflit qui déchire l’Europe. L’objectif de telles productions cinématographiques consiste à informer le monde entier des dangers du nazisme et inciter la population à soutenir la position prônée par Churchill, autrement dit un engagement total de la Grande-Bretagne et de ses alliés dans cette nouvelle guerre. Nommé responsable du département, Kenneth Clarke se tourne vers les cinéastes les plus en vue du royaume britannique. Parmi ces "patriotes", on trouve Charles Frend (San Demetrio - London, 1943), Carol Reed (The Way Ahead, 1944), Alfred Hitchcock (Bon voyage, 1944) et Michael Powell.

Après avoir réalisé quelques films à succès parmi lesquels L'Espion noir (The Spy in Black, 1939), Le Lion a des ailes (The Lion Has Wings, 1939) Le Voleur de Bagdad (The Thief of Bagdad, 1940), et Espionne à Bord (Contraband, 1940), Michael Powell est devenu l’un des artistes les plus populaires outre-Manche. Lorsque Clarke et ses conseillers lui demandent s’il est prêt à diriger un long métrage ayant pour toile de fond les techniques de guerre sous-marines, Powell refuse et évoque un sujet beaucoup plus vaste (et en phase avec les idées de Churchill) : la mondialisation du conflit. Nullement impressionné par ses interlocuteurs, il déclare avec aplomb : « Je veux faire un film au Canada pour flanquer la frousse aux Américains et les faire entrer en guerre plus vite. » Convaincu par la démonstration du jeune réalisateur, Kenneth Clarke accepte de produire le film et finance le premier voyage de Powell au Canada. L’objectif de ce périple est double puisqu’il consiste à préparer le tournage et obtenir l’aide des autorités locales.

Malgré les dangers que représente une telle traversée (les U-Boats font déjà régner la terreur sur l’Atlantique Nord), Powell et son ami Emeric Pressburger embarquent pour le continent américain. Une fois sur place, ils prennent le train direction Ottawa afin de rencontrer les principaux ministres du pays. Le cinéaste réitère la démonstration qu’il avait faite au ministère de l’Information et convainc son assemblée sans la moindre peine. Dès lors, le gouvernement canadien s’engage à tout mettre en œuvre afin que le film soit réalisé dans les meilleurs délais. Sur le chemin du retour, Emeric Pressburger boucle la première ébauche du scénario tandis que Michael Powell compose son casting. Les noms de célébrités comme Elisabeth Bergner, Anton Walbrook, Leslie Howard, Raymond Massey et Laurence Olivier viennent alors se greffer à l’aventure 49ème Parallèle.

Le tournage démarre en 1941 au Canada où la majorité des prises de vues sont faites en décor naturel. Le film sort le 24 novembre 1941 sur les écrans britanniques et remporte un vif succès populaire en se classant deuxième au box-office annuel (derrière Le Dictateur de Charles Chaplin). Deux semaines plus tard, les USA sont attaqués par l’aviation nippone à Pearl Harbor précipitant ainsi leur entrée en guerre. Les vœux d’internationalisation du conflit émis par Powell et Churchill sont donc réalisés avant même que le film sorte outre-Atlantique ! Quelques mois plus tard (le 15 avril 1942), le film est distribué sur les terres de l’Oncle Sam où il attire les foules et obtient la statuette du Meilleur Scénario lors de la cérémonie des Oscars en 1943.

Au regard de son histoire, Le 49ème Parallèle a indiscutablement marqué son époque. Néanmoins, rares sont les cinéphiles citant cette oeuvre de la filmographie de Powell et Pressburger. On lui préfère évidemment le carré Narcisse Noir / Chaussons rouges / Colonel Blimp / Une question de vie ou de mort. Pourtant, si par son caractère propagandiste Le 49ème Parallèle ne se hisse pas au niveau de ces chefs-d’œuvre incontournables, il présente de nombreuses qualités parmi lesquelles un scénario d’une originalité remarquable, une galerie de comédiens merveilleuse et une mise en scène inspirée.

Propagande et réflexion

Le 49ème Parallèle met en scène un groupe de Nazis rescapés d’un sous-marin torpilleur. Les six hommes se retrouvent au Canada (en territoire ennemi) et décident de traverser le pays afin d’atteindre la côte Pacifique puis de fuir à bord d’un navire japonais (ils essaieront ensuite d’entrer aux USA). Si ce schéma scénaristique est simple puisqu’il s’apparente à une sorte de "road movie", il ne manque pas pour autant d’originalité. En effet, rares sont les films où le spectateur est invité à suivre le parcours de bad guys. Ici, Powell et Pressburger sont en rupture avec le schéma dramaturgique classique qui veut qu’un ou plusieurs héros bienveillants bravent une adversité. Si Martin Scorsese (Mean Streets, Les Affranchis) ou Stanley Kubrick (Orange Mécanique) se sont essayés avec succès à cet exercice périlleux, c’est parce qu’ils ont su instiller une part d’humanité à leurs personnages et ainsi obtenir l’adhésion du public. Sans la sympathie dégagée par les goodfellas de Scorsese ou cette réflexion sur l’humanité (avec tout ce qu’elle peut avoir de répugnant) développée par Kubrick, aucun de ces films ne serait resté dans l’histoire. Pressburger l’avait bel et bien compris et s’attache à explorer les parts d’ombre et de lumière de ses personnages.

Leader du groupe, le lieutenant Hirth incarne l’autorité et renvoie évidemment à l’image du Führer : lors de la scène du discours (qu’il tient à la communauté allemande "huttérite"), il adopte une gestuelle saccadée et un débit oratoire qui résonne en écho aux tristement fameux discours que tenait Hitler à ses assemblées. Sûr de lui et sans la moindre pitié, il n’a qu’un objectif (regagner l’Allemagne) et détruit tout obstacle venant s’y opposer. A ses côtés, un groupe de soldats aux caractères hétéroclites complète le décor. Parmi eux, Vogel est un homme en proie au doute. De tous les personnages, il est certainement le plus intéressant : d’abord respectueux des ordres qui lui sont donnés, il s’interroge ensuite sur leur bien-fondé avant de s’opposer à l’autorité des officiers. Si les soldats allemands sont des agresseurs, on sent parfois le doute s’immiscer en eux. C’est certainement là l’une des forces du film qui évite ainsi toute forme de manichéisme primaire. D’autre part, il faut souligner que Le 49ème Parallèle refuse l’amalgame Allemands / Nazis que la majorité des films de propagande s’applique à véhiculer pendant cette période. Lorsque les Nazis rencontrent la communauté allemande des Huttérites, le spectateur prend conscience de la souffrance d’une partie du peuple germanique obligé de fuir en Amérique pour échapper au régime fasciste.

D’autre part, chacune des étapes ponctuant le parcours des soldats nazis permet d’explorer l'un des champs de l’idéologie hitlérienne et de le confronter au mode de pensée occidental : le racisme, l’antisémitisme, l’intolérance ou l’individualisme sont autant de "valeurs" ainsi battues en brèche grâce à des démonstrations clairvoyantes. Lors de ces séquences (on pense notamment au discours chez les Huttérites ou au final dans le train), Le 49ème Parallèle démontre avec une certaine subtilité que la menace fasciste ne se résume pas à un affrontement militaire mais à une confrontation idéologique et morale. Au-delà d’inspirer la peur, le message transmis par Pressburger et Powell pousse le spectateur à la réflexion et à un engagement certainement plus profond dans le conflit.

Action, suspense et tension permanente

Si Le 49ème Parallèle propose un scénario d’une originalité remarquable et justement récompensé par un Oscar, il ne faut pas pour autant en oublier sa mise en scène inspirée. Pour que le message politique diffusé soit efficient, il était indispensable que le film capte l’attention du plus grand nombre et lorsque Kenneth Clarke choisit Michael Powell pour s’attacher ses services, il ne fait pas que parier sur la renommée artistique du cinéaste. En tant que cinéphile averti, il connaît la filmographie du jeune réalisateur sur le bout des doigts. Pour lui, nul doute qu’il tient là un artiste capable de captiver un large public. S’il est vrai qu’aujourd’hui on a trop souvent tendance à considérer Michael Powell comme un formaliste hors pair, on en oublie parfois le dynamisme de sa mise en scène et son talent pour "raconter" une histoire. Avec son récit construit comme une course à travers le Canada, Le 49ème Parallèle ne déroge évidemment pas à la règle. Le film est haletant de bout en bout et ne laisse aucune place à l’ennui : les scènes se succèdent rapidement alternant action pure (le crash de l’avion, l’attaque du sous-marin), suspense (la fête indienne, le camp inuit) et tension permanente entre les personnages.

Par ailleurs, la direction d’acteurs est irréprochable et permet aux comédiens de donner le meilleur d’eux-mêmes. A ce titre, Eric Portman (le Lieutenant Hirth) s'avère parfait dans un registre glacial et cruel... Ici l’adage d'Hitchcock, selon lequel la réussite d’un film tient à celle de son "méchant", prend toute sa mesure. Le comédien (qui était alors quasiment inconnu du public) marque les esprits et notamment ceux de Powell et Pressburger qui retravailleront à ses côtés dans Un de nos avions n’est pas rentré (1942) et A Canterbury Tale (1944). Anton Walbrook (qui deviendra l’interprète le plus fidèle du duo) collabore pour la première fois avec Powell à l’occasion du 49ème Parallèle. Il tient ici le rôle de Peter (le chef de la communauté huttérite) et fait déjà preuve d’un charisme hors norme. On retrouve également Leslie Howard que l’on avait pu voir dans Autant en emporte le vent (Victor Fleming, 1939). Ici, il incarne Philip Armstrong Scott, un écrivain à la verve implacable ! Sa performance éblouissante lui vaut les éloges de Powell qui déclarait à son propos : « Comme acteur il donnait l’impression de jouer d’un instrument de musique en solo. » Enfin, la plus belle surprise de ce casting est certainement Laurence Olivier dans le rôle improbable de Johnny, le trappeur d’origine française. Alors qu’il vient de terminer le tournage de Rebecca (Alfred Hitchcock, 1940) et s’apprête à réaliser et interpréter Hamlet et Henry V pour le grand écran, il livre ici une performance tragi-comique assez courte (on ne le voit qu’une dizaine de minutes) mais explosive : en jouant sur le registre du clown, il multiplie les pitreries avec un accent français hilarant (l’entendre chanter Alouette dans la langue de Molière vaut son pesant de cacahouètes !) et communique une forme de joie de vivre naïve que le groupe de Nazis viendra détruire inexorablement.

Enfin, il resterait beaucoup à dire de ce 49ème Parallèle et notamment du remarquable travail de ses techniciens (Frederick Young à la photo et David Lean au montage pour ne citer qu’eux). Dans le cadre d’un film de propagande, Powell et Pressburger font ici preuve d’un savoir-faire de grande classe qui préfigure leurs chefs-d’œuvre à venir. Et si l’on devait comparer ce film à d’autres du genre, il est évident qu’il se classerait davantage du côté de Casablanca que de celui de Face au soleil levant ou Les Enfants d’Hitler... Le 49ème Parallèle est incontestablement une réussite, un film rare, méconnu et donc indispensable.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par François-Olivier Lefèvre - le 17 juin 2006