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Critique de film
Le film
Affiche du film

Un citoyen se rebelle

(Il cittadino si ribella)

L'histoire

Pris en otage lors d’un violent braquage de banque, l’ingénieur Carlo Antonelli ressort traumatisé de cette expérience. Constatant l’inaction de la Police et de la justice suite à sa plainte, il décide de retrouver lui-même ses agresseurs. Il infiltre alors le milieu et va rencontrer Tommy, un petit délinquant avec lequel il noue une amitié et qui va l’aider à retrouver ses cibles, et à sauver sa propre peau.

Analyse et critique

Immédiatement après Le Témoin à abattre, Enzo Castellari se lance dans un second poliziottesco avec Le Citoyen se rebelle, qui apparait comme une version approfondie et améliorée de son premier essai. Il en reprend le décor, celui de la ville de Gênes, toile de fond récurrente du polar italien. Le contexte social est évidemment aussi le même, une criminalité brutale qui nous est décrite lors des premières minutes, une succession d’acte de violence, sans autre lien particulier, qui a pour fonction principale de planter le décor tout en nous offrant une bonne dose d’action. Il s’ensuit la figure de style indispensable du genre, très convaincante ici, la course poursuite, qui se termine sur les quais de Gênes, entre les containers. Enfin, Castellari retrouve Franco Nero, installant ainsi une collaboration durable entre les deux hommes.


Cette fois, Franco Nero abandonne le costume de policier pour celui d’un citoyen lambda, l’ingénieur Carlo Antonelli, traumatisé par un braquage de banque durant lequel il a été pris en otage, et qui décide de poursuivre lui-même ses agresseurs face à l'inefficacité de la police et à la lenteur de la justice. Nous avons donc affaire, en quelque sorte, à un vigilante movie qui apparait dans les salles, ironie de l’histoire, quelques jours après Un Justicier dans la Ville. On peut donc difficilement penser qu'il s'agit d'une production opportuniste et cela se confirme d’ailleurs rapidement, Le Citoyen se rebelle regardant le sujet de manière très différente. Castellari ne cherche pas à étudier longuement la transformation morale du personnage principal, en s’appesantissant sur sa vie avant le drame. Nous entrons directement dans le vif du sujet, celui d’un homme en mission, focalisé sur ses agresseurs. Le personnage incarné par Franco Nero n'est pas en quête de justice absolue, mais plutôt à la recherche de sa propre dignité qu’il pense avoir perdue lors de la prise d’otage. De manière particulièrement surprenante pour le genre, Carlo Antonelli est un personnage peureux, effrayé à chaque fois qu'il croise ses agresseurs, presque incapable de toute violence physique, hormis lorsqu'il donne une claque à sa compagne – incarnée par la troublante Barbara Bach - dans une scène de colère, ce qui en dit long sur la lâcheté du personnage que n'occulte jamais Castellari. C'est ce qui est particulièrement puissant dans le traitement du sujet, car ici Franco Nero incarne un véritable anti-héros, que les évènements ne transforment pas d'un coup de baguette magique en justicier implacable. C'est ainsi une très belle idée d'avoir choisi Nero pour ce rôle. Il est magistral dans ce contre-emploi, et démontre une nouvelle fois ses grandes qualités d'acteurs en nous tendant un véritable miroir : ce personnage, c'est nous, avec nos colères et nos faiblesses. Il entreprend une enquête minutieuse, tentant sans succès d'offrir sur un plateau les criminels à une police incompétente, voire corrompue, tout en nouant une amitié surprenante avec Tommy, un petit malfrat qui veut s'en sortir incarné par le très touchant Giancarlo Prete, ce qui vient confirmer le caractère personnel de sa quête. Antonelli n’en veut pas à tous les criminels de la terre, uniquement à ceux qui l’ont, selon lui, humilié.


Par contre, Le Citoyen se rebelle partage avec Un Justicier dans la Ville la multiplicité de ses grilles de lectures. Si Castellari n’affiche pas le nihilisme absolu de Michael Winner, il joue tout de même largement avec les différentes interprétations morales de son film. A priori le récit nous montre l’idée d’une justice prise en charge par les citoyens eux-mêmes et d’une société dont il dont les valeurs sont floutées, voire inversées, dans laquelle la police ne cours pas après les criminels, dans laquelle un voyou qui aide un citoyen, qui se confond lui-même par ses actes avec les criminels qui fonctionnent main dans la main avec une police corrompue. L’interprétation la plus simpliste serait alors, comme chez Winner, celle d’un film un peu droitier, faisant la promotion de l’auto-justice. Sauf qu’il y a une seconde manière de voir Le Citoyen se rebelle, dans laquelle l’inversion est intrinsèque au regard porté sur les évènements. La mise en scène de Castellari me semble explicite à ce sujet au détour d’un plan clé, lorsqu’à l’issue de la course poursuite qui permet à la police de libérer l’ingénieur Antonelli il filme longuement le visage de Franco Nero en plongée totale, et à l’envers. A ce moment, le regard du personnage principal s’inverse, et sa perception également. C’est à l’issu de cette séquence qu’il va vouloir, comme il le déclare à sa compagne, « combattre la peur par ce qui nous fait peur », proposition étrange qui devient parfaitement acceptable pour lui, et qui l’est à ce moment également pour le spectateur, alors complètement groggy après les dix minutes de cambriolages, d’agressions et de meurtres qui constituent l’introduction du film, et qui trouvent ici leur véritable justification narrative.


A partir de ce choc, de ce traumatisme pour Antonelli, est-ce que nous voyons le fantasme d’un citoyen qui se rebelle ou le cauchemar d’un citoyen qui délire ? Antonelli voit à ce moment-là des complots partout, imaginant par exemple lorsqu’il observe pour la première fois depuis la prise d’otage que leur fuite est lié à une information volontairement transmise par une Police corrompue alors qu’il a pu constater que ceux-ci pirataient les fréquences des forces de l’ordre. Du point de vue de la mise en scène, il est également important de souligner les ralentis et les plans parfois légèrement déformés des séquences de violence, qui suggèrent le délire ou le cauchemar, interrogeant la réalité ou la nature de la violence qu’il subit, un questionnement renforcé par l’étrangeté marquante de la musique des frères De Angelis. Et enfin, comme dans plusieurs autres poliziottesco, notamment ceux mettant en scène Maurizio Merli, il est évident que la violence qui nous est présentée se concentre autour de la trajectoire du personnage principal, comme si en prétendant la combattre, il la provoquait, comme si en imaginant lutter contre le chaos, il en était la source. Là aussi, le film est d’ailleurs très explicite, faisant affirmer à la fois à Tommy le petit délinquant et au chef de la Police – deux personnage au référentiel moral a priori distinct – que l’ingénieur doit cesser sa cavalcade vengeresse sous peine de rendre indissociables les bons et les méchants.


Castellari ne tranche pas réellement entre ces deux visions, il les propose, n’ont pas pour les départager, mais pour les faire cohabiter. Le Citoyen se rebelle rêve et cauchemarde simultanément de la rébellion citoyenne, une solution qui devient pire que le mal. Par extension, le cinéaste dépeint une Italie en proie à des problèmes réels, qui ne sont pas vaincus mais sont au contraire accentués par un délire sécuritaire, qui n’est pas cité dans le film mais porte évidemment un nom : la stratégie de la tension. Cette double proposition trouve son illustration dans la remarquable séquence finale du film, lorsque l’ingénieur Antonelli se voit obligé par la police de signer un document a priori mensonger, indiquant que c’est la Police qui a abattu les criminels, en contrepartie du passage sous silence d’un rapt sur lui-même qu’il a mis en scène, et qui aurait pu lui valoir des poursuites. Simultanément, cette séquence condamne l’ordre corrompu incarné par la Police, inactive et qui travesti la vérité. Elle met en scène, simultanément, un retour à l’ordre des choses, où ce qui deviendra public est ce qui doit être, avec la Police, le citoyen et les délinquants chacun à leur place. En poussant une dernière fois la réflexion, on pourrait enfin insérer cette séquence directement après le premier enlèvement d’Antonelli, tous les faits de la déclaration correspondant à un scénario possible, accréditant ainsi l’idée d’un film ne montrant que la succession d’évènements cauchemardés par le personnage principal.


Si le scénario du Citoyen se rebelle repose sur un principe de vengeance plutôt classique, il se démarque par quelques idées originales, telle celle du citoyen qui se transforme en maitre chanteur, ou qui organise un faux rapt, et surtout comme nous venons de l’illustrer par un sous texte riche, assez récurent dans le polar italien mais qui a rarement été aussi bien exploité et intégré à la mise en scène. Il est évident que Castellari a abordé le sujet avec beaucoup de sérieux, pour proposer un film riche, qui se distingue de la plupart des autres réalisations du genre par sa facture visuelle. Castellari se montre très ambitieux, minutieux dans le choix de ses décors, utilisant des prises de vues étonnantes et spectaculaires, et profitant d'une sublime photographie de Carlo Carlini – chef opérateur du Général de la Rovere entre autres -  peut-être la plus belle de tous les Poliziottesco. Le tout culmine dans une séquence finale absolument mémorable, chorégraphie sublime dans un décor étonnant, rappelant les grands climax du cinéma de Peckinpah. Image, son, tout y est travaillé au moindre détail pour créer une symphonie de mort sans égale, sur la formidable B.O. des frères De Angelis.


Le fond et la forme sont à l'unisson dans ce polar de haut vol qui hante, tant on se sent proche de son personnage principal, tant on est travaillé par sa réflexion, et qui laisse une impression visuelle inoubliable. Castellari trouve avec Le Citoyen se rebelle un point d’équilibre dans son travail autour du polar italien, plus ambitieux que Le Témoin à abattre, moins excessif que Big Racket. Il livre ici un des meilleurs représentant du polar italien en y apposant une patte formelle incomparable.

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La fiche IMDb du film

Par Philippe Paul - le 8 décembre 2022