Menu
Critique de film
Le film

Trois chambres à Manhattan

L'histoire

François Combe, vedette parisienne, divorce. Déprimé, il part à New-York et y rencontre Kay...

Analyse et critique

Marcel Carné, c’est Le Quai des brumes (1938), Hôtel du Nord (1938), Les Enfants du paradis (1945) et Les Portes de la nuit (1946). C’est Jacques Prévert. Mais c’est aussi Juliette ou la clé des songes (1950), Les Tricheurs (1958) et Les Assassins de l’ordre (1971). Sa seconde période. Trois chambres à Manhattan, sorti en 1965, est typique de cette période où le réalisateur sait s’appuyer sur une solide équipe technique pour réaliser ses projets. Films plus intimes, moins novateurs, au succès plus confidentiel, ils proposent toujours des personnages ambivalents. Adaptation d’un roman « dur » de Georges Simenon, Trois chambres à Manhattan a dû être difficile à proposer aux producteurs : le texte est psychologique et haché, les situations crues et banales. Reste que le scénario fait la part des choses, entre ce que le cinéma peut tirer d’une œuvre et ce qu’une œuvre (littéraire) peut apporter au cinéma. Au risque, nous le verrons, d’un ensemble convenu.


Alors que le roman utilise les souvenirs et les fantasmes des personnages pour déconstruire la narration, Marcel Carné a choisi d’être linéaire. Exit les zones d’ombre : on explique d’où vient François Combe, comment il s’est retrouvé à New-York, pourquoi il arrive dans le dîner où il rencontre Kay... Exit aussi les origines mystérieuses de cette dernière : Annie Girardot a un accent parisien à couper au couteau. Son « sang russe » n’est absolument pas crédible. Exit enfin les tripots douteux si bien décrits par Simenon : les décors renvoient au film noir, de même que les cigarettes et les néons d’hôtel. Rien de transcendant, donc, mais quelques pistes intéressantes : une opposition entre des intérieurs oppressants, où les dialogues sont le plus souvent tendus et incisifs, et des extérieurs larges où le spectateur peut souffler. Également, le montage se fait plus dynamique lorsque l’homme et la femme s’enlacent et s’embrassent. Les gros plans, où Maurice Ronet et Annie Girardot laissent leur visage exprimer bien des douleurs, ajoutent à l’intensité dramatique. Malheureusement, si l’on excepte une ou deux bonnes idées (la fumée sortant des plaques d’égout, les écureuils de Central Park...), l’ensemble reste terne et plat. Naturaliste, diraient certains. Sauf que nous ne sommes plus dans Thérèse Raquin (1953), et que l’ennui peut ronger le public.


Du côté de la distribution (et de l’interprétation), c’est en revanche bien meilleur. Maurice Ronet, fulgurant dans Ascenseur pour l’échafaud (1958), indépassable dans Le Feu follet (1963), incarne sans aucun mal cet acteur en mal d’amour, déraciné et désabusé. Il faut dire que son allure et son jeu, naturel, sont calibrés pour ce genre de rôle. Annie Girardot, quant à elle, étrangement Jeanne Moreau, arrive à faire plus « mûre » que son âge. La faute au maquillage, évidemment, et au réalisateur qui lui a demandé de modérer sa gouaille. Pourtant, quand elle ne cède pas à la facilité (paroxysme : Elle boit pas, elle fume pas, elle drague pas, mais... elle cause ! en 1970), elle sait être perverse (Le Vice et la vertu en 1963) ou tragique (Rocco et ses frères en 1960). Ici, elle joue plutôt juste, exploitant au maximum ce qu’on lui permet d’exploiter. Une autre bonne interprétation : celle de O.E. Hasse, flamboyant en conseiller ès amours de François Combe. Même si dans le roman ce rôle est tenu par un partenaire de scène du personnage principal, ce qui autorise un peu plus de franchise et de camaraderie (et donc de rudesse), c’est une bonne trouvaille que ce ventripotent patron de télévision nostalgique de Paris. Par contre, nous ne dirons rien de Margaret Nolan, qui, en plus d’absolument mal jouer, est absolument mal dirigée (par moments, elle sort même du cadre). Au rayon des anecdotes, notons que Trois chambres à Manhattan propose la première apparition de... Robert De Niro ! Notons aussi que Donald O’Brien fait semblant d’être un cuisinier enjoué, alors qu’il rêve déjà d’être un cow-boy de western spaghetti.


Saluons avant de conclure l’excellente bande originale de ce film. Dirigée par Mal Waldron et Martial Solal, elle est résolument jazz et décline un thème très classique mais efficace. Alternant free et bop, elle permet de rattraper le côté poseur des dialogues, rythme l’ensemble (car on peut s’ennuyer) et donne un véritable cachet new-yorkais. Les « performances » avec le pianiste Art Simmons (variation sur le thème principal) ou avec la chanteuse Virginia Vee (variation vocale) sont très bien amenées et aucunement artificielles. Il faut dire que dans le roman de Simenon, la musique est un aspect important, fédérateur, de la relation Combe / Kay et il eût été dommage de l’exploiter superficiellement. D’ailleurs, lorsqu’on termine le film, nous restent pendant plusieurs heures (ou jours, c’est selon) les différents morceaux du duo Waldron / Solal.

Présenté à la Mostra de Venise, en même temps que Pierrot le fou, Trois chambres à Manhattan sera moqué par les tenants de la Nouvelle Vague. Il faut dire qu’on peut difficilement faire longs-métrages plus antagonistes. Il faut aussi dire que la Nouvelle Vague (du moins française) s’est toujours signalée par sa capacité à se décréter arbitre des élégances. N’empêche, Annie Girardot remportera le Prix d’interprétation féminine. Okay, l’avant-garde ?

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Florian Bezaud - le 25 février 2019