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Critique de film
Le film

Elle boit pas, elle fume pas, elle drague pas, mais... elle cause !

L'histoire

Germaine, femme de ménage, passe mille fois l'année le pont de Levallois. Elle rêve de Monte-Carle, de valses et de bijoux. Ses trois patrons, un banquier, une future Première dame de France et un éducateur, ont tous un petit quelque chose à se reprocher. Alors il y a peut-être de l'argent facile à se faire...

Analyse et critique


« Sur dix romans que je lis, huit fois je me dis : ce serait formidable avec Annie Girardot. » En 1970, Michel Audiard, qui avait déjà écrit quelques rôles pour elle - Le Rouge est mis (Gilles Grangier, 1957) et Maigret tend un piège (Jean Delannoy, 1958), hormis quelques sketches, sont les films les plus notables - lui offre une tête d'affiche. Avant que leurs chemins artistiques ne se séparent, elle rejouera dans Elle cause plus... elle flingue en 1972, dont le titre laisse faussement penser que c'est la suite d'Elle boit pas... Monde particulier que cette "bande à Audiard". Entre autres : Jean Gabin, Bernard Blier, Lino Ventura et Jean-Paul Belmondoque vient d'intégrer Annie Girardot. C'est un monde d'hommes, de cigarettes et d'alcool, avec tout ce que cela comporte de postures et de mise en scène. L'actrice, en incarnant le rôle de Germaine, femme de ménage gouailleuse et machiavélique, devra donc vider les verres de blanc et discuter "la clope au bec". Défi relevé avec talent ! Adaptation d'un roman de Fred Kassak, brillant auteur de comédies policières, Elle boit pas, elle fume pas, elle drague pas... mais elle cause ! est le plus gros succès d'Audiard en tant que metteur en scène. Le titre, lourd mais explicite, indique un important travail sur les dialogues.


Pour qu'une réplique fasse mouche, plus que la manière de l'amener, c'est le jeu d'acteur qui compte. Sur ce point précis, nous avons droit à un beau quatuor : Bernard Blier, délicieux en obsédé de banquier, Sim, tordant dans son personnage d'éducateur-le-jour-travesti-la-nuit, et Mireille Darc, exquise pince-sans-rire. Paradoxalement on voit peu Annie Girardot, qui s'efface la plupart du temps devant les histoires et les personnages qu'elle introduit. Dans les seconds rôles, appréciables, Jean-Pierre Darras, par exemple, interprète avec talent Georges de La Motte Brébière qui prononce cette célèbre éloge funèbre de De Gaulle : « Les poètes voyaient en lui un grand soldat, les soldats un grand poète ». Parole d'anti-gaulliste primaire ! Jean Le Poulain, surtout, qui campe un caissier principal plus vrai que nature : théâtral, cynique, glacial. La scène qui prélude à son assassinat et dans laquelle il (sur)joue divinement bien, est anthologique, en ce sens où elle permet à Bernard Blier de développer un jeu très théâtral et très fin.


Seulement, lorsqu'on sort des dialogues, du jeu de quelques scènes et de l'idée de base, force est de constater que nous ne sommes pas dans un joyau de mise en scène... Les séquences s'enchaînent comme des tableaux, sans qu'il y ait vraiment de fil conducteur solide. Cela relève plus de la multiplicité d'anecdotes qui se croisent, heureusement. Surtout, l'usage immodéré de l'argot, du "parler popu", fait que l'on peut se perdre dans l'intrigue. Par exemple, l'expression « ancienne des ballets roses » est assez difficile à comprendre de nos jours. On saisit vaguement qu'il y a de la prostitution là-dessous... Globalement, l'intrigue qui consiste à nous montrer que les personnages en viennent à s'extorquer continuellement et mutuellement est ratée : elle est trop longue et aurait pu être comprise plus efficacement. De même, la conclusion est bâclée et l'on se demande comment un aussi brillant scénariste-dialoguiste comme Michel Audiard a pu à ce point passer à côté de la maîtrise de son temps. Peut-être trop pris par l'écriture ?


Michel Audiard n'a jamais brillé par sa réalisation. Sans être un mauvais film, Elle boit pas, elle fume pas, elle drague pas, mais... elle cause ! déçoit quelque peu. La réalisation se révèle somme toute assez plate, les musiques trop attendues (hormis l'excellente chanson La libellule de Sim : totalement absurde dans sa mise en scène). Les décors, en revanche, tiennent la route et permettent une relative rêverie qui sert le propos. Quelques répliques font office de punchlines (comme « J'ai déjà vu des faux-culs, mais vous êtes une synthèse ! »). Nous passons au final un bon moment, même si nous étions en droit d'en attendre plus d'un des auteurs les plus doués de sa génération, emblématique d'une époque qui jouissait avec les mots, partenaires coquins de l'alcool et du tabac. Et l'on se demandera toujours pourquoi l'anarchisme d'Audiard ne s'est jamais retrouvé dans sa mise en scène.


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La fiche IMDb du film

Par Florian Bezaud - le 1 mars 2016