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Critique de film
Le film
Affiche du film

Small Soldiers

Analyse et critique

RÉGLAGES D'USINE

En 1992, Universal achète les droits du script Kidstuff, l'histoire d'un homme transformé en jouet. Le projet est ensuite soumis pour développement à Renfield Productions, société fondée par Joe Dante et Michael Finnell à la suite de l'échec d'Explorers. À la même époque, Amblin acquiert un scénario de Gavin Scott, où il est question d'un enfant et de ses jouets vivants. Telles sont les prémices du projet qui deviendra six ans plus tard Small Soldiers, une production a priori sans risques, calibrée pour le merchandising et chapeautée par un studio neuf et puissant encore en période de grâce. Small Soldiers sera en effet l'un des premiers films à sortir sous le label Dreamworks, fausse compagnie indépendante aux ambitions de major inaugurée en 1996 sous la houlette de Steven Spielberg, Jeffrey Katzenberg et David Geffen.

Résumé, le scénario a un air de déjà vu : des créatures de petite taille sèment la pagaille dans une petite ville américaine. Certainement qualifié, Joe Dante a pleinement conscience des attentes d'une telle commande : implicitement, les exécutifs du studio espèrent rafler la mise avec un pseudo-Gremlins 3, un film à effets spéciaux qui plaira à tous les publics, qui serait en même temps une gigantesque publicité pour une gamme de jouets exclusive. Parce que réaliser est son métier, Dante ne rechigne néanmoins pas à la tâche et saisit cette chance d'œuvrer à nouveau pour le grand écran, avec le plus gros budget qu'on lui aura jamais confié (40 millions de dollars). Depuis le relatif échec commercial de Matinee (1993), sa carrière a vogué entre productions télévisées (Runaway Daughters, Lightning, The Osiris Chronicles, The Second Civil War) et projets avortés (Termite Terrace, Cat & Mouse) ou repris par d'autres (Le Fantôme du Bengale, La Momie).

Le cinéaste retrouve chez Dreamworks de vieilles connaissances. Douze ans plus tôt, c'est en effet Jeffrey Katzenberg, alors responsable chez Paramount, qui l'avait appelé pour réaliser Explorers. Quant à Steven Spielberg, Dante est un peu son petit protégé, et l'on sait à quel point leur association a pu être fertile par le passé. Depuis Gremlins 2 en 1990, les deux hommes n'avaient pas trouvé de terrain d'entente. Cette fois cependant, la présence du réalisateur-producteur va se faire discrète, contrastant avec la publicité ronflante de ses productions des années 80 qui mettait son nom bien en avant. Dans Gremlins et Innerspace, « Steven Spielberg presents » étaient quasiment les tout premiers mots que le spectateur était invité à lire, inscrits en gros sur l'écran pour introduire le générique. Sur Small Soldiers, il n'est crédité nulle part, de même qu'Amblin n'accorde pas son égide. Spielberg supervise pourtant d'assez près le projet. Plusieurs documents filmés nous le montrent en effet bien présent sur le plateau ou commentant le design des jouets au studio de Stan Winston. Il a donc clairement sa part dans le résultat final. Ce refus de profiter de sa renommée pour mieux vendre le film pourrait s'expliquer par le louable désir de laisser à Dante la possibilité d'en endosser pleinement la paternité. Sauf que lorsque la campagne publicitaire se mettra enfin en branle à l'été 1998, le nom de Joe Dante sera lui-même à peine souligné et qu'il se sera battu seul jusqu'au bout pour défendre sa vision.

REVUE DE TROUPE

Small Soldiers est aussi pour Dante une nouvelle occasion de diriger des acteurs enfants. Il avait dans ce domaine déjà fait ses preuves sur Explorers, qui mettait en vedette un trio de jeunes garçons très convaincants. Alan Abernathy, le protagoniste de Small Soldiers, sera incarné par Gregory Smith, alors âgé de 14 ans. D'origine canadienne, Smith a débuté sa carrière dès six ans par de la figuration dans des séries télévisées, puis dans des films pour enfants. On le recroisera ensuite en fils de Mel Gibson dans The Patriot (Roland Emmerich, 2000), puis à partir de 2002 dans la série Everwood. Sa partenaire à l'écran est la jeunette Kirsten Dunst, pleine de vitalité et de malice dans le rôle de Christy Fimple, la girl next door. À cette date, Dunst est déjà une actrice aguerrie, révélée surtout grâce à sa prestation remarquable dans le film de Neil Jordan, Interview With the Vampire (1994).

Pour le monde des adultes, Dante fait appel à plusieurs acteurs dont il avait apprécié le talent sur The Second Civil War, sidérante politique-fiction aussi drôle que grinçante qu'il tournait pour HBO un an plus tôt : Denis Leary, Kevin Dunn et Phil Hartman. Hartman y incarnait un président des États-Unis d'une grotesque incompétence. Vedette du Saturday Night Live pendant de nombreuses saisons, doubleur régulier des Simpsons (notamment de Troy McClure), Hartman est une figure très populaire dans son pays. Avec Paul Reubens il avait créé le personnage de Pee Wee Herman qui s'illustrera d'abord dans son propre show avant d'être porté à l'écran par Tim Burton pour son premier long métrage. En 1987, Hartman apparaissait dans le film à sketches coréalisé par Dante Amazon Women on the Moon. Dans Small Soldiers il interprète Phil Fimple, le père de Kirsten Dunst. Désormais consacré comme acteur dramatique, Denis Leary s'était pour sa part fait connaître par le ton très corrosif de ses spectacles de stand-up. Les deux ingénieurs peu futés de la compagnie de jouets Heartland sont également interprétés par des personnalités comiques issues de la télévision : Jay Mohr (Larry l'arriviste) et David Cross (Irwin le doux rêveur).


On le sait, le réalisateur aime travailler en famille. Les amateurs de son œuvre s'amusent de film en film à retrouver des visages familiers. Évidemment incontournable, véritable mascotte de son cinéma, Dick Miller incarne ici la voix de la prudence et l'attachement au passé. Sorte de Jiminy Cricket trop confiant, c'est lui qui met entre les mains du jeune Alan la boîte de Pandore. L'irrésistible Robert Picardo, joue quant à lui, un technicien idolâtrant la puce informatique qu'il a créée. Toujours sur le fil du cabotinage, Wendy Schaal interprète avec beaucoup d'humour Madame Fimple, gentiment portée sur l'alcool et les cachets. On repérera également les apparitions très furtives de Belinda Balaski et Jackie Joseph (Madame Futterman, l'épouse de Dick Miller dans les deux Gremlins), toutes deux en voisines.

Comme il est désormais de coutume dans le cinéma d'animation, les personnages animés - ici les jouets - seront doublés par des célébrités. Dans le rôle du Major Chip Hazard, chef du Commando Elite, Tommy Lee Jones livre une interprétation jubilatoire, caricaturant jusqu'à l'os le militaire viril et obtus. Autour de lui - et l'idée est vraiment brillante - Dante réunit George Kennedy, Clint Walker, Ernest Borgnine et Jim Brown, soit quatre des acteurs rescapés du casting des Douze salopards (Robert Aldrich, 1967). Richard Jaeckel avait également été sollicité mais décédera peu de temps avant le début des enregistrements, et c'est Bruce Dern qui le remplacera au dernier moment (Dern qui avait déjà tourné pour Dante dans The 'Burbs en 1989). En reconstituant cette équipe, Dante montre bien que l'une de ses ambitions est d'inscrire son film dans une mémoire cinématographique, celle du film de guerre, et de jouer avec. De sa voix grave mais douce, Frank Langella apporte quant à lui beaucoup de noblesse au personnage d'Archer, émissaire des gentils Gorgonites qui sympathisera avec Alan. Régulièrement primé au théâtre, Langella s'est fait plus rare au cinéma. On se souvient de son rôle de Dracula dans le film éponyme de John Badham (1979). On l'a vu plus récemment en rédacteur en chef du Daily Planet dans Superman Returns (Bryan Singer, 2006). Le doublage du reste des Gorgonites, créatures aux caractéristiques très pittoresques, se partage entre Christopher Guest, Harry Schearer et Michael McKean. Trio mythique puisqu'il s'agit des membres de Spinal Tap, ce vrai faux groupe de hard-rock immortalisé en 1984 dans l'hilarant rockumentaire de Rob Reiner, This Is Spinal Tap ! Enfin, Sarah Michelle Gellar et Christina Ricci complètent le casting des doubleurs en prêtant leur voix de petites pestes aux Gwendy Dolls, les affreuses poupées de Kirsten Dunst auxquelles le Commando Elite donnera la vie lors d'une des plus belles séquences du film. On notera également pour l'anecdote que le doublage français de tous ces personnages a été confié aux voix des Guignols de l'Info (Yves Lecoq, Nicolas Canteloup, Daniel Herzog, Sandrine Alexi).

CHAÎNE DE MONTAGE

Le design des jouets ainsi que les animatroniques sont confiés à Stan Winston, l'un des meilleurs spécialistes dans ce domaine à Hollywood (Predator, Terminator, Edward Scissorhands, A.I., Iron Man). Pour lui, ce projet est un travail idéal, qu'il entame bien en amont de la production et du casting. Le fabricant de jouets Hasbro, qui a acquis les droits des produits dérivés, est consulté pour assurer l'authenticité de la conception des petits soldats, de leur texture à leurs articulations, en passant par le packaging. Sur ce plan, le souci du détail a été poussé assez loin, rendant chacune de ces créatures aussi cohérente que fascinante à regarder. Pour les différents besoins du récit, plusieurs versions seront réalisées : l'une est inerte et simplement destinée aux cascades (explosions, chutes, etc.), l'autre est une marionnette manipulée à l'aide de baguettes qui sont ensuite effacées digitalement, la dernière est une animatronique activée par câbles, mécanismes internes ou commande à distance. L'essentiel des plans tournés ainsi sera ensuite traité par les artistes d'ILM qui renforceront les expressions des visages et ajouteront des effets de mouvement plus complexes, gérant également les interactions avec l'environnement réel. Cet aspect du travail est supervisé par deux pointures des effets spéciaux : Stefen Fangmeier (Terminator 2, Jurassic Park, Saving Private Ryan) pour les effets visuels et David Andrews (Mars Attacks !, Harry Potter and the Prisoner of Azkaban, Transformers 3) pour l'animation.

Ayant quasiment toujours œuvré dans le genre fantastique, Dante est un habitué du film à effets spéciaux. En 1987, les trucages inédits supervisés par Dennis Muren pour Innerspace étaient d'ailleurs récompensés aux Oscars. Après avoir appris l'art des bouts de ficelle chez Roger Corman, puis collaboré avec les plus grands (Rob Bottin, Chris Walas, Rick Baker... et Dennis Muren donc), Dante se frotte pour la première fois aux techniques de pointe de l'imagerie numérique. Dans les plans larges, les jouets sont de pures créations infographiques, associées aux effets mécaniques réalisés et filmés sur plateau. Cette multiplication des techniques, entre prises de vues réelles, animatroniques et images de synthèse, est la recette idéale pour perdre le spectateur et lui faire accepter l'illusion. L'animation des petits soldats du film ne souffre ainsi d'aucun défaut, et sur ce plan-là le film est une incontestable réussite qui a étonnamment bien supporté l'épreuve du temps. Les visages en latex des jouets, inévitablement figés, parviennent malgré tout à être expressifs (surprendre le sourire du Major Hazard lors d'un bref plan devient un moment irrésistible), et les scènes de bataille de la fin impressionnent par le nombre de belligérants à l'écran et la multiplicité de leurs actions, jusqu'à culminer lors d'un duel vertigineux et énergique entre Archer et le Major. L'époque de la stop-motion est révolue, mais on demeure bien dans l'héritage de Willis O'Brien et Ray Harryhausen (une scène coupée nous montre d'ailleurs l'image de la Gorgone du Choc des Titans lorsque les Gorgonites font une recherche Internet sur leur monde natal).


Production cinéma oblige, Dante se voit enfin redonner les moyens de se payer son cher Jerry Goldsmith pour la bande originale. Leur complicité a donné lieu auparavant à quelques-unes des partitions les plus inspirées du compositeur. On devine que les deux artistes partagent le même goût pour l'iconoclasme et ce film est un terrain rêvé pour jouer avec les clichés du film de guerre (ses roulements de caisse claire, ses cuivres solennels). L'humour comme les scènes d'action sont à chaque fois judicieusement accompagnés par une musique qui sait suggérer au spectateur la bonne distance à avoir avec ce qui est montré. Les clins d'œil sont nombreux. Goldsmith glisse ainsi son thème de Patton lors de la scène où Chip Hazard motive ses troupes devant un puzzle du drapeau américain, réplique dérisoire de George C. Scott dans le film de Franklin J. Schaffner (1970). On peut également reconnaître quelques mesures du score de Franz Waxman pour La Fiancée de Frankenstein (James Whale, 1935) pendant la résurrection des poupées. Dante ne se privera d'ailleurs pas du plaisir de faire pousser à l'un des membres du Commando le fameux cri du Dr. Frankenstein : « It's alive ! » À partir de là, comment faire l'impasse sur Wagner et sa charge des Walkyries, citation évidente d'Apocalypse Now (Francis Ford Coppola, 1979), lorsque Chip attaque à bord d'un hélicoptère miniature en déclarant : « J'adore l'odeur du polyuréthane au petit matin ! » Goldsmith ne fait cependant pas qu'accentuer l'ironie du film. Au sein d'une partition riche et variée, on retiendra aussi le thème puissant et plein de majesté du Main title, le leitmotiv du Commando à la guitare électrique, ainsi que le très beau thème lyrique de Gorgon, qu'on peut entendre se développer lorsque Archer découvre l'Histoire de l'humanité devant un écran de PC.

Dreamworks tient à obtenir un film aux niveaux de lectures multiples, c'est-à-dire appréciable par les adolescents comme par les adultes. D'où l'inclusion de tubes pop, plus ou moins justifiés par rapport à l'action qu'ils soutiennent : de Queen (Another one bites the dust) à Henry Rollins (War) en passant par Flea, The Cult ou encore Gary Glitter. Ce choix - qui en douterait ? - est surtout motivé par des raisons mercantiles. Dante tentera autant que faire se peut d'en limiter le nombre et de laisser le plus d'espace au score de Goldsmith : « Les musiques qu'on voulait m'imposer dans Small Soldiers étaient si mauvaises que j'ai dit : Mettez-les dans le disque de la bande originale. Je ne les mettrai pas dans le film. » Seuls deux titres trouvent un emploi réellement pertinent : Wannabee des Spice Girls est détourné de façon savoureuse en arme psychologique, diffusé à plein volume par les soldats du Commando pour épuiser leurs adversaires humains, tandis que Communication Breakdown de Led Zeppelin, qui accompagne l'assaut des Gwendy Dolls sur Kirsten Dunst, conjugue avec violence cette musique incontestablement adulte et ces objets liés à l'enfance retournés contre leur propriétaire. Association d'autant plus sadique que le personnage de Dunst est précisément fan du groupe.

LA FAMILLE EN BOÎTE

L'action du film est située dans un de ces univers urbains typiques tant de Dante que des productions Spielberg. Le premier aperçu nous est d'ailleurs donné dès la scène post-générique où l'on suit le personnage d'Alan qui traverse sa cité, sa place et ses parcs, à vélo sur une musique guillerette, véritable figure emblématique de ce cinéma-là. Le décorateur William Sandell (Robocop, Total Recall, Master and Commander, Poseidon) s'est efforcé ici de renforcer le caractère plus vrai que nature de cette zone résidentielle, avec ses pavillons aux pelouses bien entretenues. Si cet environnement apparaît comme un cadre idéal pour subir les dévastations de jouets défectueux, sa banalité est déjà en soi faussement rassurante et c'est très vite une vision quelque peu tordue de la famille américaine qui nous est dévoilée. Entre les exercices de respiration yogique des Abernathy et le goût des Fimple pour les somnifères, les parents semblent au bord de la dépression nerveuse. On se dispute à propos d'un arbre dont les branches débordent sur la propriété attenante, et cette guerre des voisins n'est pas sans rappeler l'ambiance folle de The 'Burbs.

Alan entre quant à lui dans l'adolescence après une enfance turbulente. Renvoyé de plusieurs écoles pour des actes de vandalisme, obligeant ses parents à déménager, il consulte un psy. Partout où sa famille s'installe, sa réputation le précède. À l'occasion il s'en vante, mais la plupart du temps il traîne ce passé difficile comme un boulet, s'efforçant de regagner la confiance de ses parents qui vont jusqu'à croire qu'il se drogue lorsqu'il tente de leur démontrer les capacités des jouets. On ne compte plus les films mettant en scène des enfants ou des ados vivant des aventures extraordinaires et qui doivent faire face à l'incrédulité des adultes. Dans Gremlins, Billy devait par exemple supporter les commentaires sarcastiques du shérif avant que la menace soit prise au sérieux. Si Alan semble collectionner les ennuis, même quand il n'est pas directement responsable, c'est néanmoins bien lui qui va déclencher la catastrophe en introduisant secrètement quelques boîtes littéralement "tombées du camion" dans le magasin de jouets de son père. Ses intentions étaient bonnes mais il a transgressé un interdit parental. Monsieur Abernathy père tient en effet un commerce obsolète en ces temps de grosses multinationales, avec ses vieux jouets en bois, et refuse par principe les jouets guerriers qui pourtant se vendraient bien mieux. La boutique s'appelle The Inner Child (l'enfant qui est en nous) et n'est pas sans rappeler le bric-à-brac du vieux Chinois de Gremlins, dépourvu lui aussi de la bosse du commerce (c'est pour l'aider, et en cachette, que son petit-fils décidait de livrer Gizmo au père de Billy). Le père d'Alan évoque d'ailleurs celui de Billy à plus d'un titre, cet inventeur un peu loser, passionné mais totalement improductif. Toujours dans cette idée de filiation, on peut ajouter à son compte le fait qu'il roule dans une vieille Volkswagen décapotable, peut-être un clin d'œil au tacot capricieux que conduisait Billy dans les rues enneigées de Kingston Falls. De son côté, adolescente mal dégrossie, Christy Fimple sort avec des garçons plus âgés qu'elle mais dans le secret de sa chambre collectionne les Gwendy Dolls. Elle et Alan s'apercevront qu'ils abhorrent les mêmes sitcoms insipides et partagent la même passion pour Led Zeppelin. Leur complicité se transformera en sentiment amoureux lorsque ensemble ils auront à faire face aux attaques du Commando, des situations dans lesquelles ils se montreront d'ailleurs bien plus avisés et déterminés que les personnages adultes, clairement dépassés par la folie qui a gagné leur quartier.

LE GRAND BAZAR

Ce n'est pas vraiment à tort que l'on a parlé de Small Soldiers comme d'un croisement entre Gremlins et Toy Story. Dans sa construction et ses motifs, le récit est à l'évidence similaire à celui de Gremlins : introduction dans un environnement familier d'un élément étranger, quelque chose dérape et c'est l'engrenage. Le chef des méchants est vite identifié : Stripe le Gremlin à la crête dans l'un, Chip dans l'autre. Après une première défaite où ses compagnons sont éliminés, il va revenir en nombre pour un ultime raid (Stripe en plongeant dans la piscine, Chip en détournant un camion rempli de jouets). Les jouets étaient déjà présents dans Gremlins. Le climax du film se déroulait en effet dans un grand magasin avec un passage au rayon jouets où Stripe se dissimulait parmi les peluches (notamment un E.T. en mousse). Gizmo lui-même triomphait de son adversaire à bord d'une voiture-jouet. Dans Gremlins 2, le gentil mogwaï subissait de nouvelles tortures, ligoté par ses vilains cousins sur la voie d'un petit train électrique. Et tout comme Toy Story, Small Soldiers se nourrit de l'héritage des Voyages de Gulliver de Jonathan Swift (l'agression de Kirsten Dunst par ses poupées en provient directement) et de L'Homme qui rétrécit (le roman de Richard Matheson porté à l'écran par Jack Arnold en 1957). Sur le même principe de rapports d'échelle qui recèlent de nouveaux dangers, le film se propose en effet de renouveler la vision que l'on peut avoir de nos objets les plus quotidiens. Dès la mise sous tension du Commando, la nuit dans le magasin de jouets, les petits soldats brisent et abandonnent les armes à feu en plastique avec lesquels ils sont fournis. Intentionnellement, Dante opte de façon beaucoup plus ludique pour l'art de la récupération et du bricolage. La cabane à outils recèle alors un impressionnant arsenal militaire, et l'assaut d'un simple vélo devient une mission hautement périlleuse. Les nombreux détournements que subissent les objets apparaissent très vite comme autant de trouvailles amusantes.

Small Soldiers fait partie de ces films qui reposent davantage sur un concept que sur un véritable scénario. En développement depuis plusieurs années, le script prend l'eau de toutes parts alors que le tournage a déjà commencé. Si la Writer's Guild of America accordera officiellement à quatre de ses membres le droit d'apparaître au générique, en réalité un grand nombre de scénaristes se seront succédé au fur et à mesure de la production. « Je recevais des pages écrites par des scénaristes qui n'avaient pas lu ce qu'avaient écrit les autres, et à la fin, une grande part du scénario a été récrite par ma scripte [Kathryn Zatarga] et moi dans notre loge sur le plateau », révèle Joe Dante. L'improvisation règne donc en maître, telle que le réalisateur n'en avait pas connue depuis le premier Gremlins (ce qui n'est pas peu dire). Il est souvent difficile d'imaginer que de telles conditions de tournage puissent aboutir à un résultat cohérent. Coutumier du fait malgré lui, Dante est pourtant parvenu à chaque fois à profiter au mieux de ce désordre ambiant pour livrer un film qui se tient, et surtout imprimer sa marque. « Bien sûr, Casablanca et Son of Frankenstein ont été faits de cette manière, mais le résultat a été meilleur », disait-il déjà au sujet de Gremlins. À propos de ce dernier, Dante se souvient encore : « La majeure partie de ce qui a été ajouté dans le film a été littéralement inventée au jour le jour au tournage. On avait un petit bloc-notes sur le plateau : "trucs déments à faire faire aux Gremlins". » C'est cette méthode éprouvée qui va être remise en œuvre sur Small Soldiers. De nouvelles idées naissent sans cesse, les acteurs apportent leurs suggestions, et les storyboards sont bientôt dépassés. La seule véritable barrière empêchant un trop grand éparpillement, c'est la date de sortie, impossible à reculer car calée sur la mise en vente des produits dérivés. Le tournage s'étalera de novembre 1997 à mars 98 pour une distribution prévue début juillet.

Les scènes nécessitant des effets spéciaux en post-production sont imaginées sur place, véritable challenge qui nécessite la présence permanente d'une équipe d'ILM pour garantir leur exécution. Les créatures gagnent alors en capacité de mouvement et d'action, la mise en scène en liberté. « C'est une manière de faire le Gremlins que je n'ai jamais pu faire », dira le réalisateur. D'une magnifique élégance, sa caméra n'a peut-être jamais été aussi fluide, exploitant les possibilités offertes par l'écran large du Cinémascope que Dante utilise ici pour la première fois, à l'exception d'un court métrage réalisé en 1992 pour Disney. Grâce à la grue et à la steadycam, il n'y a quasiment pas un seul plan qui ne soit en mouvement, ou qui ne dénote un sens du cadre inspiré. Dante retrouve son directeur photo Jamie Anderson, ex-collègue chez New World avec lequel il avait travaillé sur Hollywood Boulevard, Piranhas et The 'Burbs, ainsi que sur le pilote de la série abandonnée The Osiris Chronicles, et qui signe ici une image chaleureuse. Le duo est remarquablement complété par le talent du monteur Marshall Harvey, autre fidèle collaborateur de l'univers dantesque. Le film est ainsi mené sur un rythme trépidant, en particulier dans la dernière partie qui cumule humour, suspense et action non-stop. La scène de poursuite en scooter, dynamisée par d'impressionnants effets pyrotechniques et par la musique géniale de Goldsmith, est à elle seule un grand moment de cinéma. Nul ennui et toujours ce délicieux sentiment d'être devant un spectacle bourré d'idées et pétillant d'intelligence qui se refuse le moins de choses possibles.

ACTION COMMANDO

Avec ce film, c'est une nouvelle apocalypse que Dante déclenche, un jeu de massacre qui prend pour cibles de nombreux travers de la société occidentale, économiques, sociaux et culturels. L'invasion des petits soldats est évidemment calquée sur les films de monstres alarmistes des années 50, inépuisable source d'inspiration du cinéaste. Le fait d'avoir affaire à des personnages de petite taille permet de multiplier les gags à l'écran. Comme il l'avait montré dans les deux Gremlins, comme il le montrera encore dans Looney Tunes Back in Action (2003), Dante aime remplir son cadre de détails et de clins d'œil qui ne se repéreront qu'au fil des visionnages, mini-sketches se déroulant à l'arrière-plan, quasi subliminaux. Physiquement, les membres du Commando Elite sont des ersatz en plastique des Stallone, Schwarzenegger, Dolph Lundgren et autres super-soldats bodybuildés. Mâchoire carrée, testostérone en étendard et sens du sacrifice, c'est toute la mythologie du film de guerre qui est ici prise au pied de la lettre et passée à la moulinette de l'absurde. Tous les clichés y passent : baratin militaire, passage en revue des troupes, discours pour les motiver, soins aux blessés, mort du troufion dans les bras de son supérieur, autant de situations vues et digérées par l'inconscient du spectateur lambda. L'obstination bornée des militaires avait déjà été moquée, et avec une audace réjouissante, dans The Second Civil War. On a déjà cité les références à Patton et Apocalypse Now. Au détour d'un plan, d'autres allusions plus ou moins cryptées pourront être captées, allant même au-delà du film de guerre, de Rambo (qui avait déjà traumatisé Gizmo dans Gremlins 2) à Terminator en passant par Night of the Living Dead ou Titanic. Un soldat meurt en imitant la pose de Willem Dafoe dans Platoon, l'un des Gorgonites se prend pour le Quasimodo de Disney, s'accrochant à une clochette en criant « Asile ! » Les dialogues subissent évidemment le même traitement. Le Commando Elite se caractérise par ses répliques programmées et répétées mécaniquement. Jusqu'à la fin, le Major fera entendre comme un disque rayé sa devise : « There will be no mercy ! » Dante pousse la logique d'un genre et les conventions hollywoodiennes jusque dans leur ultime retranchement, avec ces attitudes de soldats de cinéma qui, placés dans des situations de grand danger, trouvent malgré tout le temps et l'inspiration pour balancer d'improbables punchlines et des calembours pathétiques. Lors de l'attaque finale, quasiment chacune de leur réplique dissimule un pastiche de film. Il faudra non seulement plusieurs visions pour les saisir mais également préférer la VO qui en est bien plus truffée.


LA GUERRE DE L'IMAGE

Satire avisée de la guerre en tant que genre cinématographique, Small Soldiers distille en filigrane un autre discours, interrogeant au fond de façon assez sévère le pouvoir des images. Aujourd'hui, une guerre ne se résume plus à un affrontement sur un champ de bataille. Elle passe aussi - voire surtout - par sa médiatisation, en particulier par la maîtrise de l'image télévisée. Trop d'exemples récents nous le rappellent, et sur ce plan, le film de Dante se permet d'étonnantes audaces. Il serait bien sûr absurde de pousser trop loin cette interprétation et de faire de Small Soldiers le pensum qu'il ne prétend pas être. Mais à l'inverse, ce serait passer à côté du film que de n'y voir qu'un inconséquent divertissement. Ce discours propose une triple approche :

1. Devant l'image.

Le père interprété par Phil Hartman est un maniaque de la Hi-fi. La télévision par satellite lui permet de voir un nombre incalculable de programmes, mais au lieu de s'extasier devant son monstrueux home cinéma qui a failli faire exploser ses enceintes surround, il vient coller son nez à l'écran pour dépister les défauts de l'image, le grain et les couleurs, alors que passe une émission à sensation montrant un crash autoroutier. Il ne voit que la technique, la surface et non plus le fond. Devant un film de guerre, depuis son canapé, il fera cette déclaration équivoque : « I think World War II was my favorite war », avant de nous faire savoir qu'il considère Audie Murphy comme le plus grand héros de guerre américain. L'ironie étant bien sûr que Murphy, avant de se distinguer à Hollywood, a précisément été le soldat le plus décoré de la Seconde Guerre mondiale. La confusion entre fiction et réalité est cette fois totale. Chez Dante, à l'inverse de Godard, le cinéma c'est du mensonge 24 images par secondes. Twilight Zone, Gremlins, Gremlins 2, Explorers, Matinee, The Second Civil War témoignent tous de la position morale du réalisateur quant au pouvoir de l'image et ses conséquences. C'est la thématique de son cinéma par excellence.

2. Dans l'image.

Small Soldiers s'ouvre sur une fausse publicité d'entreprise chantant les louanges de Globotech, avec cet art du pastiche que Dante s'est toujours plu à pratiquer (Reckless youth dans Amazon Women on the Moon, Starkiller dans Explorers, Mant ! dans Matinee, le clip de fin d'antenne de Clamp dans Gremlins 2) et qu'il a poussé particulièrement loin dans The Second Civil War, où la mise en scène et le montage s'efforçaient de faire disparaître la frontière entre reportage télévisé fictif et vraies images d'actualité, jusqu'à en devenir dérangeant. La publicité en question annonce déjà une forme de perversion. Gil Mars, patron de Globotech, prend possession de Heartland : l'industrie d'armement avale la société de jouets pour enfants. Business is business. Heartland est un nouveau jouet entre les mains d'un dieu (Mars, le dieu de la guerre de l'Antiquité). Il impose son style et annonce vouloir faire cesser la différence entre ce que promet la publicité (des jouets qui parlent et qui défoncent leur boîte d'emballage) et la réalité. Le plan qui nous montre un immense PLV en mouvement du Major Hazard viendra littéralement illustrer ce désir, annonçant ce basculement de la fiction dans la réalité. Mais comme le dit dès le début Irwin, l'inventeur des Gorgonites, « Reality sucks », et ce rêve d'enfant de voir soudain ses jouets vivants va vite se transformer en cauchemar prométhéen. La scène de l'attaque des Gwendy Dolls en est sans doute le meilleur exemple. Toutes ces créatures choyées, habillées et coiffées se mettent à répondre de façon totalement dégénérée aux soins de leur maîtresse. Elle les détruira avec une jubilation non feinte, découvrant qu'en fait elle les avait toujours détestées. Son bâton de majorette, symbole d'innocence, devient une arme redoutable et idéale, comme s'il trouvait là sa vraie fonction.

Lorsque les personnages adultes comprendront enfin que la menace est réelle, il sera déjà tard. Parce qu'ils les hébergent, les humains sont désormais considérés comme alliés des Gorgonites et deviennent de fait les cibles du Commando. Dante transforme alors son troisième acte en un brillant film de siège. Les humains doivent résister aux assauts des petits soldats revenus en nombre et rivalisant d'inventivité dans les armes et projectiles utilisés : clous, lames de cutter, balles de tennis enflammées, lances-flammes, feux d'artifice, bombes artisanales, etc. Derrière la drôlerie de ces situations quasiment surréalistes, Dante n'omet pas de signifier la réelle violence de ces attaques. Déjà dans Gremlins, l'ambiance généralement cartoonesque était contrebalancée de façon saisissante par ces rares plans qui nous rappellent soudain que ces créatures sont dangereuses (le coup de griffe de Stripe, le carreau d'arbalète que se prend Billy). Alan se fera de même écorcher le doigt avec la lame électrique près de l'évier de la cuisine, puis cribler la jambe de piques à épis de maïs. La vision du sang et le cri de douleur au sein d'un tel spectacle, qui semblait pourtant jouer la carte de l'excès, créent un effet assez puissant car inattendu, rappelant que les personnages courent un vrai danger, que leur corps n'est pas invulnérable. Ces blessures à l'arme blanche sont comme la brutale irruption du réalisme dans la fiction. La fable a ses limites et ce n'est que de cette façon que Joe Dante provoque l'éveil d'un spectateur blasé par toutes ces représentations de la violence à l'écran. Il nous dit ici clairement que la guerre est une activité violente, n'est pas un jeu, et que sa représentation aux actualités comme au cinéma, parce qu'elle crée inévitablement de la distance, ne doit pas faire perdre de vue l'atroce réalité. Des jouets de guerre à la vraie guerre il n'y a qu'un pas, une simple différence d'échelle. Car le Commando Elite ne considère certainement pas sa mission (traquer et détruire la "racaille" gorgonite) comme un jeu. Il applique au contraire toute une série de tactiques militaires, de la mission commando à la charge en passant par le chantage à l'émotion.

3. Derrière l'image.

Alan reçoit ainsi une vidéo montrant Christy prise en otage et filmée par le Commando à grands renforts de zoom sur les larmes. Ce grossier stratagème lui fera pousser un soupir de consternation. Le jeune héros a sa chambre au dernier étage, chambre mansardée qui semble être le parfait décalque de celle des protagonistes de Gremlins et Explorers. Éduqué avec les images, il sait les décrypter. Comme les soldats du Commando, les Gorgonites vivent dans une fiction qu'on leur a implanté. En naviguant au hasard sur l'ordinateur d'Alan, Archer s'arrête sur l'image du Yosemite National Park qui lui évoque instantanément Gorgon. Lui et les siens ne font cependant pas de différence entre le cadre délimité par un écran d'ordinateur et celui d'une fenêtre ouverte sur le monde. Un Gorgonite s'extasiera devant un spectacle de catch (= simulant la réalité) proposé par la télévision en disant : « It looks so real ! », tandis qu'un autre est fasciné par un extrait de film noir et blanc montrant un monstre tentaculaire, son presque reflet. Cette fascination s'explique par un regard encore vierge de toute référence. Sous l'écran du PC s'inscrit comme une devise (ou comme un avertissement destiné au public ?) la phrase : « Question reality. » Au contact des Gorgonites, c'est Alan qui devra remettre en cause sa capacité à tout rationaliser et redonner un nouveau sens aux images. Devant la fenêtre de sa chambre, les Gorgonites le pressent de questions pour savoir ce qu'il y a au-delà. Au fur et à mesure de ses réponses, Alan va laisser place à l'imaginaire, élargissant de plus en plus le périmètre du monde visible. D'abord le voisinage, puis le centre commercial, puis l'autoroute, puis la campagne. Au-delà, il y a ce qui demeure ignoré, et cet inconnu ce ne peut être que Gorgon, concluent d'un air entendu les Gorgonites. CQFD. Il s'agit ainsi de rendre sa place à l'imagination, de croire à l'invisible comme on croit au vent. Cette foi étant constitutive de leur identité, les Gorgonites partiront en quête de leur terre d'origine, après avoir rencontré leur créateur (Irwin) et survécu à la décharge électromagnétique fatale en se dissimulant sous la parabole du père Fimple, qui trouvait là une utilité insoupçonnée. Face à la rationalisation des esprits, Dante veut encore nous faire croire à l'utopie, à une vision poétique du monde. Le final "à la E.T." où les Gorgonites font leurs adieux à Alan et s'embarquent à bord d'un modèle réduit de navire viking (emblème du magasin de jouets) vient enfin apporter une couleur poétique à ce conte qui jusque-là en était dénué. Associé à la très belle musique de Jerry Goldsmith, le mouvement de caméra qui accompagne le dernier regard d'Alan, semblant soudain étrangement mûr, conclue le film en beauté.

JEUX D'ENFANTS

Pour Irwin, nerd sensible et idéaliste, les jouets doivent avoir une vocation pédagogique. Lorsqu'il évoque cette idée à son nouveau patron, ce dernier manque de s'étrangler (« Did you say learn ? »). Le PDG de Globotech va alors complètement pervertir le concept original, fusionnant tel un savant fou deux gammes de jouets en une, exacerbant l'esprit guerrier du Commando et transformant les gentils Gorgonites en ennemis à abattre. Pour accéder au serveur de Globotech, Irwin se voit donner "Gizmo" comme mot de passe. Son collègue Larry lui volera cet accès pour commander le microprocesseur nécessaire au fonctionnement des jouets, se contentant de choisir la plus puissante technologie disponible, une technologie dont même le Pentagone ne voulait pas. Ce non-respect des règles va déclencher la catastrophe. Ainsi la puce électronique X-1000 fait en quelque sorte le même office que le mogwaï, pouvoir trop grand placé entre les mains d'individus pas encore prêts à le maîtriser. Comme le disait le vieux Chinois à la fin de Gremlins : « With mogwai comes much responsibility. » "Gizmo" sert ici de clé pour passer d'un état à un autre, en l'occurrence à un état perverti.

Les Gorgonites sont reconditionnés et transformés en ennemis, losers-nés sans amour-propre, pas très vifs dans leur raisonnement. Leur devise consiste à se cacher pour perdre, et après leur première défaite Alan les retrouvera au fond d'une poubelle. Alors que les brutes du Commando affichent clairement un comportement de machine et sont plus ou moins calquées sur un même modèle de gros tas de muscles humanoïde, le look vraiment bizarre et hétéroclite des Gorgonites les renvoie plutôt à une imagerie proche du cinéma fantastique (le monstre de Frankenstein, le cerveau rampant, Quasimodo). Ils sont davantage tournés vers la Nature. Les attributs d'Archer l'apparenteraient presque à un guerrier rasta. Bref, il s'agit de "freaks", des parias qui ne feront clairement pas le poids dans le cœur des enfants consommateurs, plus immédiatement séduits par la virilité du Commando. Sur l'emballage des Gorgonites, on peut lire cette prérogative qui est censée les définir péjorativement : « ignorent l'ordre et encouragent le chaos ! » On est là devant le credo de Joe Dante en personne, qui pourrait ainsi prétendre tel un Flaubert des drive-in que les Gorgonites c'est lui. Et c'est bien vers eux que la sympathie du héros et des spectateurs va se porter, tandis que ceux qui avaient été conçus comme les vrais héros idéalisés, les membres du Commando, vont vite apparaître comme les méchants, à cause de leur comportement outrageusement belliqueux.

C'est là que réside véritablement, s'il était besoin de la chercher, la différence profonde entre les Gremlins et ces petits soldats. Les mogwaïs sont d'une nature totalement ambivalente, à la fois la créature pelucheuse la plus mignonne qui se puisse concevoir et l'horrible monstre griffu capable des pires vilenies. Small Soldiers propose pour sa part un univers beaucoup plus manichéen mais à l'envers. « Ce qui est drôle, dira Dante, c'est d'aller voir un film intitulé Small Soldiers, avec cette bande de machos. On s'attend à une sorte de G.I. Joe s'en va-t-en guerre. Le seul coup de théâtre, franchement, c'est qu'ils ne sont pas les héros. » Les jouets respectent jusqu'au bout leur programmation avec d'un côte le Commando qui applique jusqu'à l'absurde la logique guerrière, et de l'autre les Gorgonites qui incarnent leur rôle de victimes pacifistes avec une inconscience presque inquiétante. Les deux mondes n'existent que dans l'opposition, bien qu'ils soient profondément liés. Véritable intelligence artificielle, la puce qu'on leur a implantée va pourtant leur permettre d'apprendre et d'évoluer. Apprendre pour survivre. C'est ainsi que les Gorgonites finiront par réagir et lutter contre le Commando, non pas pour se défendre mais pour prêter main-forte aux humains qui les abritaient.

En sortant de la projection de Gremlins 2, Spielberg aurait parait-il déclaré, quelque peu effrayé : « C'est donc à ça que vont ressembler les années 90 ? » Lors d'un bref plan de Small Soldiers, l'œil avisé pourra apercevoir un petit Gizmo en plastique au milieu d'autres détritus, dans la poubelle où Alan retrouve les Gorgonites. Commentaire cruel qui semble dire que c'est là désormais la place de cette icône appartenant déjà à un passé révolu. Comparativement au discours à l'œuvre dans Gremlins 2, on constatera que la situation est ici beaucoup plus grave. Dans le film de 1990, le magnat Daniel Clamp apparaissait comme un entrepreneur finalement aimable, naïf et idéaliste, autant de traits qui, alliés à un comportement souvent comique, rendait le personnage réellement sympathique. Dans Small Soldiers, son équivalent Gil Mars est montré du début à la fin comme un atroce capitaliste, dénué de la moindre éthique, grossier et cynique. Dans sa volonté de satire de la grande industrie, Dante fait feu de tous bois. Le mot "violence" est mal vu ? Gil Mars conseille "action". Tout son plan marketing est pensé pour se prémunir contre d'éventuelles attaques en justice. La seule chose qui compte, c'est de séduire les enfants par une campagne de pub agressive et de pousser les parents à vider leur porte-monnaie. On aura noté qu'Alan, le héros du film, n'éprouve aucun intérêt particulier pour les jouets, qu'il envisage d'abord en tant que valeur marchande par rapport au travail de son père. Autrement dit, l'identification avec le spectateur ne cherche pas à exercer sur ce dernier la fascination du monde magique des jouets, présenté ici sous un jour clairement désenchanté. Dans la dernière scène, le petit frère de Christy, dégoûté ou traumatisé par la violence des petits soldats qu'il avait d'abord trouvés "cools", préférera se contenter de vêtements pour son prochain anniversaire. Constatant le potentiel destructeur de ces jouets produits pour un coût dérisoire, Mars ne se démontera pas et décidera de les améliorer afin de les vendre aux rebelles d'Amérique du Sud, déplorant tout de même de ne pas pouvoir exploiter les retombées publicitaires de la catastrophe (ce qu'a dû se dire également Hasbro après la sortie du film). Et il reviendra à Dick Miller de conclure par la phrase-clé : « Toys is hell. » Avec cette approche, Dante est tout simplement en train de saborder la commande du studio et les espoirs de son département marketing. Et l'on se demande encore comment ils pouvaient attendre autre chose en faisant appel à l'un des réalisateurs les plus subversifs de Hollywood.

FAST FOOD, FAST MOVIE

Face au premier montage, la MPAA (Motion Picture Association of America) menace de classer le film R (interdit aux moins de 17 ans non accompagnés). Les corps des jouets sont un peu trop allégrement brisés, démembrés, broyés ou décapités. L'attaque des poupées en particulier horrifie même les exécutifs du studio, qui vont alors faire des efforts désespérés pour obtenir au moins un classement PG (accompagnement parental suggéré). Car le non-dépassement de cette classification est une des clauses majeures du contrat signé avec Burger King, partenaire qui a déjà investi dans sa propre campagne de communication, ciblée pour son public habituel âgé de... 2 à 8 ans. Désireux de bien faire, les responsables de la chaîne de fast food transmettent une liste de suggestions concernant les points qui leur semblent litigieux. Les dialogues en particulier doivent être lissés. Des répliques sont ainsi supprimées, le discours à la Patton devient bien plus chaste, les gros mots sont remplacés par des euphémismes (« darn ! » au lieu de « damn' ! »). La violence graphique se voit également drastiquement réduite. Les coupes interviendront parfois sur des bouts de plans. Consterné, Dante se voit "offrir" quelques jours de tournage complémentaires au début du mois de mai. Réalisateur responsable, il préférera encore superviser lui-même le film dans ces conditions plutôt que de le laisser définitivement se faire défigurer par quelqu'un d'autre.

Avec Explorers, Small Soldiers sera la production la plus douloureuse du cinéaste. On en est arrivé à un stade où c'est le sponsor qui possède le final cut et Dante n'y pourra rien : « L'énorme contrôle que Burger King a obtenu est, je crois, unique dans les annales du cinéma. Il a été le résultat du désespoir du studio, d'une véritable terreur que leur contrat à plusieurs millions de dollars s'envole en fumée et même qu'ils soient poursuivis en justice. C'est devenu un problème commercial, et non artistique. » À tous ces problèmes, s'en ajoute un dernier, particulièrement dramatique : la mort tragique de Phil Hartman, assassiné par sa femme le 28 mai, soit un mois et demi avant la première du film. Étant donné la popularité de l'acteur, l'événement est fortement médiatisé et cette publicité macabre embarrasse à son tour le studio, ce qui entraîne de nouvelles modifications de montage, tandis que les apparitions de l'acteur sont éjectées des bandes-annonces. Sa voix devait également accompagner une attraction centrée autour du film au Parc Universal. Elle est là aussi remplacée. Hartman mort, il est évidemment impossible de retourner ses scènes, notamment celle du somnifère qui posait problème, toute allusion aux drogues étant prohibée. La scène restera mais sera raccourcie. Le film est dédié à l'acteur, qui aura de plus l'honneur d'une dernière séquence clin d'œil en fin de générique.

Ainsi reconditionné, Small Soldiers écope d'un PG-13 (interdiction aux moins de 13 ans non accompagnés) et Dreamworks accepte de s'en tenir là : la date de sortie est dangereusement proche et les produits dérivés défilent déjà sur les chaînes de montage de Hasbro. Burger King est contraint de revoir à la hâte toute sa communication. Les publicités télévisées sont retirées, un message d'avertissement est placardé dans les restaurants donnant aux clients le choix de préférer d'autres jouets que ceux du film, sans armes.

Small Soldiers sort donc comme prévu le 10 juillet aux États-Unis sur un nombre conséquent d'écrans, le même jour que L'Arme fatale 4 (Richard Donner) de Warner et une semaine après Armageddon (Michael Bay) de Touchstone. Dreamworks avait clairement pensé son film comme un blockbuster estival, véritable genre en soi de même qu'il existe des films de Noël. La côte de Dante ayant sérieusement baissé, les publicités ont cessé de capitaliser sur son nom. Il est déjà loin le temps où l'affiche d'Explorers arborait fièrement la mention "par le réalisateur de Gremlins". Le film va se faire littéralement massacrer par la presse américaine, qui semble être totalement passée à côté du propos de Dante, aussi aveugle face à cette satire qu'elle l'avait été face au Starship Troopers de Paul Verhoeven l'année précédente. Ces critiques publiées à l'époque montrent bien l'embarras et l'incompréhension qu'a provoqués le film : « A charmless, violent, effects-driven movie aimed squarely at the hearts of 6-and 7-year-old boys. » (Steven Rea, Philadelphia inquirer) ; « The film is too absurd to be frightening and too creepy for lighthearted fun. » (Janet Maslin, New York times). La fusillade qui a éclaté peu de temps auparavant dans un lycée fait que les médias ne veulent pas voir enfance et violence associées, sans tenir compte du fait qu'à ce stade, Small Soldiers a cessé d'être un film pour enfants. Persuadés qu'il s'agit d'un pur produit d'appel destiné à vendre des jouets, ils en jugent la violence déplacée et hurlent à l'hypocrisie, ignorant la présence à la barre de l'iconoclaste Joe Dante.

L'accueil du public dans sa majorité se calera sur ces positions. Le cinéaste constate les faits : « Le cinéma devient un objet de merchandising. Les films ne sont plus vus, même par le public, que comme des produits, et non comme des prises de position, ni des histoires, ni des points de vue. (...) Les gens ne veulent plus creuser aucun des sujets que les films abordent. Ils veulent juste s'asseoir et qu'on leur jette des trucs à la figure, comme s'ils se payaient un tour de manège. (...) La plupart des gens qui ont vu Small Soldiers n'y ont pas vu la satire. Dans ce cas, il doit en effet y avoir de longs passages où il ne se passe rien. »

Malheureusement pour le cinéaste, le drame qui se joue ici n'est qu'une redite. De même que Gremlins, Explorers ou Looney Tunes Back in Action, Small Soldiers est un film inclassable, un objet bizarre et déstabilisant. Derrière son imagerie enfantine, le discours à l'œuvre est davantage destiné aux adultes. Mais ceux-ci s'arrêtent le plus souvent sur la fausse promesse vendue par l'affiche (ratée parce qu'illisible). Dante souffle le chaud et le froid, mélangeant divertissement mené de main de maître et réflexion qui accuse en quelque sorte les ressorts de ce même divertissement. Son cinéma n'opte jamais pour le juste milieu. Le public dès lors ne sait plus sur quel pied danser. Il faut simplement accepter cet inconfort - c'est-à-dire accepter que le film est un dialogue - pour que le spectacle révèle pleinement toutes ses saveurs.


Troisième au box-office lors de son premier week-end, le film est bientôt oublié lorsque le 24 juillet sort la nouvelle production des studios Dreamworks, Saving Private Ryan de Steven Spielberg, film dont la violence ne constituera pas un problème pour susciter l'enthousiasme quasi général de la critique avant de triompher aux Oscars (nulle injustice là-dedans, mais cela montre bien que le rapport des critiques à la violence au cinéma demeure ambivalent). Les jouets auront, eux, un véritable succès et atteignent aujourd'hui des côtes déraisonnables. Un an plus tard, Joe Dante se rendait à Locarno et recevait les honneurs d'une rétrospective complète. Small Soldiers demeure aujourd'hui encore un titre mal-aimé dans la carrière de son réalisateur, carrière qu'il n'a malheureusement pas aidée à relancer. Il est temps d'offrir leur revanche aux petits soldats.


Toutes les citations sont extraites de l'indispensable ouvrage dirigé par Bill Krohn : Joe Dante et les Gremlins de Hollywood, Éd. Cahiers du Cinéma / Festival international du film de Locarno, 1999.

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Par Elias Fares - le 23 novembre 2015