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Critique de film
Le film
Affiche du film

Panic sur Florida Beach

(Matinee)

L'histoire

Octobre 1962, Gene Loomis (Simon Fenton) vit avec sa mère et son petit frère dans le camp militaire de Key West. Son père est en mission sur un cargo au large de Cuba. Aux informations, Gene apprend que Cuba vient de se doter de puissants missiles nucléaires. Autour de lui, c’est la panique générale. A l’école, on lui enseigne à se protéger contre une probable attaque soviétique et les adultes se ruent dans les supermarchés pour s’approvisionner à long terme dans leurs abris antiatomiques. Au cours d’un week-end qui voit l’Amérique au plus fort de sa paranoïa, Gene n’a qu’une idée en tête : ne pas manquer le dernier film d’horreur de Lawrence Woolsey (John Goodman) sur la mutation d’un fabriquant de chaussures irradié en fourmi. Au cours de cette séance, Gene devra affronter ses pires phobies et déclarer sa flamme à l’une de ses camarades de classe.

Analyse et critique

Curieux statut que celui de Panic sur Florida Beach. Sorti seulement en 1993, réédité aujourd’hui par Carlotta après avoir été hautement désiré, fantasmé par une armée de fans "dantesques", il fait déjà figure parmi eux de classique, d’objet culte alors qu’il reste relativement méconnu du grand public. Matinee est aussi le dernier de ses films où Joe Dante bénéficia, dans les limites d’un budget moyen, d’une complète liberté artistique. Et puis, on le devine à la lecture de son résumé, c’est une œuvre éminemment personnelle. Le projet Matinee est antérieur à la sortie des Gremlins 2 en 1990. C’est à cette époque que le scénariste de ce deuxième volet, Charlie Haas, commence à réécrire un script de Jerico Stone qui est censé évoquer, sous la forme d’un film de vampires, la mort d’un cinéma de quartier et les souvenirs de quelques uns de ses spectateurs. Entre-temps, Ed Naha débarrasse peu à peu le scénario de son aspect fantastique. Charlie Haas pense à situer l’action en octobre 1962, durant la crise des missiles à Cuba. Il fait intervenir un personnage de producteur réalisateur inspiré par William Castle. La Warner n’en veut pourtant pas à cause de l’échec des Gremlins 2 que Spielberg a détesté. On aurait même entendu le père d’E.T. dire à son propos qu’il était le pire film qu’il avait jamais vu à cause de son absence de point de vue moral. Warner ne croit d’ailleurs pas en Matinee, et Dante et Haas se lancent sur un autre projet qui ne verra jamais le jour : Termite Terrace, inspiré des mémoires de Chuck Jones et qui raconterait quelques exploits des grands animateurs de la Warner.

Joe Dante reçoit pourtant l’aval de producteurs étrangers qui, en contrepartie, tentent de faire jouer des stars en perte de vitesse. Mais durant la pré-production, les chèques n’arrivent pas et Dante demande à la Universal d’avancer les capitaux avant de les convaincre de racheter entièrement le film. Il aime à raconter à ce propos que le directeur de la Universal aurait mis moins d’une heure pour accepter le financement de Matinee en déclarant : « La passion l’a emporté sur la raison. » Une anecdote tellement édifiante qu’on la croirait sortie de l’univers du film dans lequel les deux personnages principaux, Woolsey et  Gene Loomis, entretiennent des liens sacrés avec le cinéma.

Si le film est peut être, dans sa forme avec L’Aventure intérieure, le plus classique de Joe Dante, à mille lieux de la fantasmagorie foutraque de Gremlins 2, il le doit bien entendu à son sujet : la fascination pour un certain cinéma bis au début des années 60. Amour mis en image à travers Mant, le film dans le film (analysé dans les bonus), et bien entendu le personnage de Lawrence Woolsey, génialement campé par John Goodman. Woolsey est inspiré de William Castle qui lui-même fabriquait ses bandes-annonces sur le modèle de celles d’Alfred Hitchcock. Au cours de la très savoureuse séquence où est exposé dans une station-service le personnage fauché de Woolsey, un pompiste le prend d’ailleurs pour le maître du suspense. On retrouve dès cette scène le goût de Dante pour les clins d’œil dans les private jokes, les mises en abymes labyrinthiques et les appels du pied au spectateur pour s’amuser à jouer avec lui à un jeu commun. Castle était notoirement connu pour avoir inventé tout un système de gadgets qui servaient à immerger le spectateur dans la salle de cinéma et à lui donner l’illusion que la fiction et la réalité se mélangeaient. Les fameux procédés dont use Woolsey dans Matinee, l’Atomo Vision et le Rumble Rama (en fait, de la 4D, du surround et des sièges vibrants) ont été pensés sur les modèles des trucs mis en place par Castle. D’ailleurs, Matinee s’ouvre sur la bande-annonce de Mant, immergeant dès les premières minutes le spectateur dans une œuvre qui a pour but de briser toutes frontières entre le vrai et le faux. Au cours de cette bande-annonce, on voit plusieurs fausses productions toutes imaginées sur le modèle des films d’horreur de Castle. Néanmoins, en 1962, année où est censé se dérouler Matinee, les films d’horreur parodiés par Dante n’existaient déjà plus et le cinéaste reconnaît lui-même que Castle n’a jamais tourné de films de ce type. Les œuvres qu’il s’amuse à détourner dans Mant sont plutôt inspirées de celles de Jack Arnold ou Bert Gordon. Comme l’explique le cinéaste dans les bonus de cette édition vidéo, il a eu la possibilité avec ce film de recréer un monde dans lequel il aimerait vivre. Cette affirmation fait figure de sésame pour comprendre le projet de Matinee et peut-être même toute l’œuvre de Dante : retrouver l’âme d’un enfant et surtout épouser sa capacité extraordinaire à être captivé par ce qu’il regarde. Il y a bien une nostalgie qui parcourt tout le film. Dante cherche à rendre compte de la force d’immersion du regard de son jeune héros en opposant ses yeux à ceux du monde adulte.

Joe Dante s’attèle à une reconstitution réaliste de Key West, port américain proche de Cuba, au début des années 60. Il se sert évidemment de ses propres souvenirs puisqu’il avait à cette époque le même âge que Gene et qu’il avait aussi un petit frère qui le suivait partout. Fils d’un joueur professionnel de golf, Dante était aussi transbahuté souvent d’une ville à l’autre, tentant à chaque fois de se faire aimer et accepter dans les écoles où il atterrissait en milieu d’année. Matinee fut donc pour lui l’occasion de ressortir une ribambelle d’objets d’époque pour accroître le pouvoir nostalgique de la reconstitution. Ainsi Gene, qui vit une certaine constance du monde à travers le cinéma, collectionne la revue Monsters qui ne parle que de films d’horreur. Avec son camarade, ils écoutent en cachette un 33 tours de Lenny Bruce en se marrant à chaque fois que l’humoriste prononce des mots interdits. Les gamins jouent au yo-yo dans la cour de récré. On leur apprend à l’école comment ils doivent se nourrir. Et surtout, Dante réutilise de vieilles émissions télé, de vieux spots pour montrer à quel point la petite lucarne avait déjà à cette époque pris possession des foyers. Ainsi au milieu d’un célèbre tour de magie, un carton interrompt subitement le programme pour laisser entendre une allocution du président Kennedy. Dante utilise exactement le même procédé de repiquage à l’intérieur de Matinee que dans Mant où il insère des plans volés à de vieux films d’horreur. Il modèle ses deux films à partir d’extraits d’images anciennes pour accroitre leur réalisme. Matinee et Mant sont tous deux des films qui puisent dans la mémoire des images pour immerger le regard du spectateur. Dante poursuit une méthode à laquelle il avait lui-même donné ses lettres de noblesse, étant étudiant, lorsqu’il montait The Movie Orgy dans les campus : une œuvre de plus de sept heures composée de toutes les images trouvées et piquées un peu partout.

Joe Dante reconstitue également la mentalité d’une époque très particulière et éminemment symbolique. La crise des missiles de Cuba annonce la fin de l’innocence américaine qui surviendra à la mort de Kennedy quelques mois plus tard. Il tente de montrer le regard d’une nation qui se pense à l’aube de sa propre destruction et qui envisage d’être pour la toute première fois attaquée. Matinee raconte donc la manière dont un petit garçon regarde son pays en train de sombrer dans la paranoïa. Une scène est très emblématique à ce propos : Gene et son copain sont dans le supermarché en train d’observer les adultes se battre pour emporter le maximum de provisions chez eux ou dans leurs abris antiatomiques. Dante cadre les deux gosses au premier plan avec au devant d’eux les adultes hurlant, se pressant et se chamaillant pour une boîte de céréales. De toute évidence, les enfants se sentent extérieurs au théâtre du monde adulte.

Dans ses meilleurs films, Dante a toujours su opposer par la direction d’acteurs le monde adulte et celui des enfants. Les grandes personnes sont généralement grimées de manière caricaturale, outrancière. Ils grimacent en permanence, affichent leur hystérie. (1) A ce propos, son acteur le plus emblématique est sans doute Robert Picardo qui joue dans tous ses films depuis Hurlements. Avec son visage très étrange, Picardo exprime immédiatement, frontalement, la monstruosité du monde adulte. C’est lui qui concluait Gremlins 2 en se faisant à l’idée qu’il pourrait tout à fait convoler avec la créature femelle. Une note pour le moins pessimiste qui se voulait, de la part de Dante, prophétique de ce qu’allait devenir la société américaine gouvernée par des hommes d’affaires. Dans Matinee, Robert Picardo campe le très paranoïaque directeur de salle où aura lieu la projection de Mant. C’est lui qui se fait construire un abri antiatomique dans le cinéma, écoute sans cesse la radio pour être le premier au courant en cas d’alerte et tentera de s’enfermer seul sans sauver personne. Sa peur l’isole des autres et le rend monstrueux et compulsif. On peut dire que le visage et le jeu de Picardo sont les incarnations mêmes de tous ces personnages "dantesques" qui n’ont jamais réussi à surmonter leurs phobies dont ils deviennent les esclaves (2). Suivant un chemin bien différent, Gene, au terme de la séance de Mant, aura réussi à l’intérieur du cinéma (et donc par extension, grâce au cinéma) à sublimer ses angoisses pour pouvoir affronter sereinement la comédie du monde.

Gene observe donc l’univers des adultes en spectateur. Son regard se fait amusé ou sceptique plutôt que critique. Les enfants qu’affectionne Dante ont généralement les traits de Gene : ils sont doux, un rien effacés tel Billy dans les premier Gremlins ou Ethan Hawke dans Explorers. Sa connaissance, sa culture cinéphile lui permettent également de ne pas être dupe des pièges tendus pour en faire un strict consommateur. Ainsi, devant le cinéma, il voit deux hommes en train de s’insurger contre la violence des films d’horreur. Après les avoir observés longuement, il reconnaît l’un d’eux dans un vieux Monsters, comme étant un vieil acteur de films d’horreur ayant joué dans Les Sangsues du cerveau. Ce faux bigot, vrai comédien, est interprété par Dick Miller, lui aussi comme Picardo fidèle de la bande "dantesque". Miller a œuvré dans pas mal de productions New World, la société créée par Corman en 1970 où Joe Dante a fait ses premiers pas. Depuis, la plupart des grands noms sortis de la New World (Scorsese, Demme, Sayles, Howard, Cameron) font faire à Miller des apparitions comme pour se rappeler de quelle école ils viennent. Quoi qu’il en soit, le fait d’avoir demandé à Dick Miller de jouer un comédien ringard qui se fait passer pour un bigot dans le seul but d’attiser les spectateurs est une vraie idée à la Dante : une sorte de clin d’œil avec le spectateur qui multiplie les mises en abyme et les interprétations. C’est par son regard, sa mémoire, son attention que Gene rétablit la vérité et déjoue les stratégies géniales de communication de Lawrence Woolsey. Selon ce procédé d’éclairage, le regard du jeune garçon va subir, selon un procédé dramatique traditionnel, un véritable chemin initiatique. C’est la raison pour laquelle, entre autres, le film s’achève en apothéose dans le cinéma en flammes. C’est dans la salle que Gene Loomis va finir par surmonter et sublimer toutes ses peurs. Il va réussir à séduire une jeune fille, protéger son petit frère et se faire accepter des autres. Le cinéma est par essence cathartique.

C’est peut être dans la partie sentimentale, à la American Graffiti, que Matinee se montre le plus inspiré et poétique. Si le film se situe dans les yeux de ses jeunes héros, si Dante filme à hauteur d’enfants, il réussit à retranscrire la puissance du foudroyant premier regard amoureux. Le plus merveilleux moment a ainsi lieu lorsque les gamins sont obligés de faire leurs exercices d’alerte à la bombe et de se ranger dans le couloir, à la file indienne, tête baissées et à genoux. Tandis qu’un magnifique travelling (3) inscrit le processus collectif imposé aux jeunes gens, une jeune fille se rebelle. Ce personnage inspiré des premiers Beatniks hurle à ses professeurs combien ces courbettes sont absurdes et ne servent à rien. Dante fait pivoter un peu sa caméra pour bien montrer que l’on observe la scène à travers les yeux de Gene agenouillé dans le couloir. Et soudain, cette petite fille, qui ne veut pas faire comme tout le monde, devient une héroïne tragique. Toujours de biais, on la voit s’escrimer contre les adultes dans le couloir comme une déesse qui voudrait faire savoir aux hommes une vérité que le système chercherait à taire. C’est le seul regard de Gene qui la transforme en héroïne. C’est cela le coup de foudre pour Joe Dante : un regard qui réinvente n’importe qui en héros de cinéma. (4)

Gene ne sera pas seul à sublimer ses peurs pour ne pas devenir un adulte monstrueux et pétri de trouille : son meilleur copain séduira également une fille qui elle-même pourra enfin affronter son désir normatif de faire l’amour. Ils viendront à bout d’un ado rebelle, débile et jaloux. La crise des missiles passée, Gene pourra désormais attendre le retour de son père absent, en mission jusque-là sur un cargo au large de Cuba. Le dernier et magnifique plan du film, peut être le plus beau de toute son œuvre, est d’ailleurs à ce sujet ultra symbolique : on y voit des hélicoptères revenir de Cuba et passer au-dessus des enfants qui se tiennent chaleureusement par la main sur la plage. Superbe image qui n’a rien d’un lénifiant happy end puisque les hélicoptères sont ceux employés durant la guerre du Vietnam. On entend d’ailleurs la chanson The Lion Sleeps Tonight qui annonce combien le lion est sur le point de se réveiller. Si la crise est passée, une guerre désormais se profile et bien des désillusions pour le jeune couple. Et le vieux Joe Dante qui se souvient d’une époque où il rêvait encore d’un monde meilleur qui n’est jamais venu.

L’une des beautés qui concourt à faire de Panic sur Florida Beach l’un des plus formidables films de Joe Dante vient de sa manière à faire cohabiter le regard d’un adulte (Lawrence Woolsey) et celui d’un enfant (Gene Loomis). Cette alliance des regards a lieu au cours de la plus célèbre séquence du film. On y voit les deux hommes discuter du cinéma d’horreur. Woolsey met la main au mur et fait apparaitre un mammouth qu’il va peu à peu transformer en une bête terrifiante. Juste après, on pénètre dans une salle de cinéma par ses yeux, en caméra subjective. Il décrit alors son amour pour la salle, pour ses rituels. Ainsi le cinéma est une religion ritualisée qui permet de communier et de sublimer ses peurs, comme vont le découvrir les jeunes héros de Matinee. Woolsey a une théorie de la catharsis cinématographique qui n’est pas sans rappeler ce qu’écrivait Akira Kurosawa dans son autobiographie : le cinéma apprend à nous faire voir pour nous permettre de ne plus avoir peur. La scène est évidemment touchante dans la mesure où, au moment où apparaît le mammouth, on ne sait pas encore si l’on est à l’intérieur du regard de l’adulte ou de l’enfant. Dante nous fait alors penser que les deux visions se sont enfin rejointes. On devine que cette scène se fait une profession de foi pour le cinéaste qui, à cet instant, utilise Woolsey comme porte-voix.

Woolsey possède deux grandes qualités : il réussit par moments, comme par magie, à retrouver un regard d’enfant et il est capable d’en affubler ses spectateurs adultes. Expert comme Castle de la stratégie commerciale, il invente des tours de publicité habiles pour appâter ses ouailles. Il crée un faux groupe contestataire de bigots puritains, il fabrique de subtils gadgets pour réduire la frontière entre la fiction et la réalité. Dans une belle scène, il s’adresse à l’équipe entière du cinéma comme à une armée. Son charisme, sa voix, sa passion emportent son assistance. Durant quelques minutes, les adultes oublient leurs réticences, leurs problèmes, leur paranoïa, et écoutent Woolsey religieusement comme les enfants suivent, captivés, ses films d’horreur. On pourrait d’ailleurs dire qu’en se transformant, comme au cinéma, en général, Woolsey permet aux adultes de devenir des spectateurs assidus.

Woolsey a la passion des films. On le voit, il passe son temps à regarder les objets et à imaginer de nouvelles histoires. Il a une capacité de magicien à transformer le réel en un pitch. Durant la séance de Mant, il caresse rapidement l’épaule d’un jeune homme qui, croyant avoir été frôlé par sa voisine, l’enroule amoureusement de ses bras. Geste qui permet à Woolsey de lui piquer quelques popcorns. Métaphore limpide du métier qu’exerce Lawrence Woolsey : il gagne sa pitance en transformant la réalité en histoires dans les salles de cinéma. On le voit également cadrer le monde entre ses mains. Le geste est connu mais il acquiert une très belle dimension dans Matinee. On a souvent l’impression que le producteur fauché cherche à voir si entre ses mains le réel peut devenir autre chose. C’est comme s’il avait la capacité, entre les paumes de sa main, de voir le monde comme un enfant. Woolsey pourrait redevenir un spectateur idéal en cadrant simplement le monde avec ses doigts.

Il y a un souci quand on s’attaque à un film éminemment nostalgique comme celui-ci. On peut s’amuser à le démembrer repiquage par repiquage, le déconstruire jusqu’à sa moelle cinéphile, compter les références, les private jokes, les clins d’œil. Enfant de Frank Tashlin, le cinéma de Joe Dante est truffé de mises en abyme et d’appels du pied au spectateur. Il ne s’agit pas pour autant de tout traiter avec une dérision permanente. Dante prend très au sérieux ses personnages d’enfants pour qui le monde adulte est une aberration loufoque. L’ambivalence de son ton résulte d’un sentiment équivoque à l’égard du monde : les enfants sont des adultes en puissance et, manifestement, Joe Dante doute des hommes. On peut ainsi regarder Matinee par le biais douceâtre de sa nostalgie ou en n’appréciant que sa dimension ludique. Choisir entre l’impudeur d’une rêverie autobiographique et le cynisme d’un jeu qui tente d’amoindrir la sentimentalité du propos. Compter les private jokes et les clins d’œil cinéphiles est l’un de ces jeux auquel nous invite, par pudeur, le cinéaste et auquel il a toujours convié son public depuis The Movie Orgy. On pourrait strictement s’amuser avec Dante mais cela retirerait à Matinee son extraordinaire puissance émotionnelle.

Avec les Gremlins, Joe Dante avait prouvé qu’il était le cinéaste de films d’horreur pour enfants. Matinee est le lieu où il peut enfin mettre en scène les films d’horreur de sa jeunesse qui l’ont inspiré à devenir un inventeur d’images. Dans Matinee, on comprend la démarche globale de son auteur : poursuivre le travail de ses prédécesseurs. A sa manière, œuvrant parfois dans un système qu’il aime critiquer, Dante continue à fabriquer des films d’horreur qui s’adressent à un jeune public. Matinee, en forme de confession et de profession de foi, est une œuvre plus douce qu’à l’accoutumée. Il n’y a pas dedans la charge terroriste des Gremlins 2, la corrosivité monstrueuse des Banlieusards, l’aspect déceptif d’Explorers. Aussi bien formellement que dans son ton, Matinee se rapproche de L’Aventure intérieure : deux films à la fois nostalgiques d’un certain cinéma classique (Innerspace est une screwball comedy) et assez déjantés pour penser se prémunir contre la sentimentalité de leurs sujets.

Dans Panic sur Florida Beach, Joe Dante se projette en lui-même à une époque où il pensait pouvoir changer le monde. Il s’exprime au travers d’un cinéaste producteur dont il se sent proche mais qui, malheureusement, n’existe plus et qui ne pourrait survivre en 1993. Matinee est donc pour Dante l’occasion de reconstruire un monde idéal, au risque de s’enfermer dedans et de se rêver en cinéaste du passé. Le film éclaire la part nostalgique et mélancolique de toute son œuvre.

Sorti durant le Super Bowl, Matinee est assuré de ne même pas empocher les maigres recettes escomptées à l’origine du projet. Par la suite, à l’exception d’Ed Wood et de The Majestic, les studios vont peu à peu renoncer à produire ce type de films qu’ils ne savent pas vendre. Dante, quant à lui va revenir de temps en temps filmer des œuvres souvent violentes et désillusionnées sur le monde. Il trouvera parfois à la télévision l’espace pour pouvoir s’exprimer. Ces derniers films sont ainsi chargés d’une vraie violence intérieure qui trahit la perte d’innocence de son créateur contre laquelle son œuvre entière semble vouloir combattre. Matinee, à sa manière flamboyante, ensoleillée, sentimentale mais toujours loufoque, décrit exactement le monde dans lequel Joe Dante voudrait vivre et faire du cinéma. Désormais, il existe un Paradis de Dante en DVD où nous pourrons indéfiniment  revenir faire un tour pour nous ressourcer.


(1) On peut dire aussi que dans ses moins bons films, Dante n’épargne personne et caricature autant les adultes que les enfants, n’établissant plus aucune séparation entre eux. Ainsi, dans Les Banlieusards (The Burbs), ils sont logés à la même enseigne d’une vision très pessimiste, méchante et un peu conservatrice du monde pavillonnaire. Dans les Gremlins, le problème est un peu plus compliqué. Si dans le premier, Billy Peltzer (Zach Galligan) est encore un vrai gamin comme les aime Dante (doux, effacé, passionné) ; dans le second, il est en train de se transformer en adulte. On le remarque particulièrement avec le personnage de sa petite amie, Kate Beringer (Phoebe Cates), qui a été dirigée de manière beaucoup plus hystérique que dans le premier. L’hystérie mécanique est le signe chez Dante d’une transformation, mutation adulte.
(2) C’est un peu le sujet de L’Aventure intérieure où Jack est un personnage hystérique, névrosé, totalement dominé par ses peurs. C’est par la grâce de la fiction, l’intrusion d’un pilote dans son corps, qu’il réussira à devenir un héros, un homme qui croit et vit des histoires, et non un grand enfant monstrueux et conformiste.
(3) Dante travaille dans Matinee l’une de ses figures de style privilégiées : le travelling latéral. C’est ainsi qu’il montre ses jeunes spectateurs captivés par le film dans le film qu’ils regardent. La scène fait directement écho à celle dans Gremlins où l’on voyait les créatures absorbées par la projection de Blanche Neige et les sept nains. Dante réutilise le travelling lorsqu’il montre les gamins entassés dans les couloirs de l’école en train de faire leurs exercices d’alerte. Le travelling lui sert à montrer la manière dont réagit une communauté à une série de rituels.
(4) Cette remarque mérite d’être pourtant allégée : on assistera plus tard à un autre coup de foudre quand son meilleur copain verra une jeune fille en haut d’une échelle. D’un coup de caméra, elle n’aura pas l’air d’une héroïne tragique mais cadrera parfaitement avec le cliché même de la lycéenne selon l’imagerie de l’Americana.

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Par Frédéric Mercier - le 28 mai 2011