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Critique de film
Le film
Affiche du film

Simba

L'histoire

Dans les années 50, Alan Howard atterrit au Kenya pour rejoindre son frère qui dirige une exploitation agricole. Il est accueilli à l’aéroport par Mary Crawford, une amie de la famille. Au moment d’arriver chez son frère, ils découvrent que celui-ci a été assassiné, victime de la révolte des Mau-Mau qui se développe sur le territoire. Alan est tiraillé entre d'un côté les idéaux de son défunt frère et Mary - pour laquelle il nourrit un sentiment amoureux - qui défendent le peuple africain, et de l'autre la colère qui monte en lui alors que les victimes des Mau-Mau se multiplient.

Analyse et critique

Au cours de son histoire, le cinéma anglais a toujours montré sa capacité à intégrer rapidement les évènements de son Histoire comme toile de fond de ses productions, qu’elles soient de purs divertissements ou des œuvres au discours politique plus marqué. Cette utilisation de l’Histoire s’est d’abord faite à des fins de propagande, comme c’est le cas de nombreux films tournés au début de la Seconde Guerre mondiale mais aussi d’autres productions plus confidentielles aujourd’hui, comme Bozambo qui en 1935 faisait un éloge pénible du colonialisme. Quelques années après la guerre vint le temps du recul, avec des films de guerre à la fois divertissants et lucides sur le conflit mondial, comme par exemple Les Briseurs de barrages dont la dimension documentaire reste passionnante aujourd’hui. Toutefois, malgré cette capacité de la production britannique à se confronter à son Histoire récente, il reste très surprenant de découvrir un film prenant pour cadre une guerre encore en cours, qui plus est lorsqu’il sait traiter la situation avec une certaine objectivité. C’est le cas assez unique de Simba, qui sort sur les écrans en 1955 alors que sa toile de fond, la révolte des Mau-Mau, fait toujours rage au Kenya. Malgré un contexte probablement lourd pour l’époque, qui en faisant vaciller le colonialisme remettait en cause l'un des fondements de la pensée européenne, Simba évite tous les écueils pour nous offrir un film d’aventure efficace doublé d’une réflexion plutôt intéressante sur la situation tragique qu’il décrit.


Pour faire un bon film d’aventure, on doit utiliser de nombreux ingrédients : de l’action, de l’exotisme, du suspense et une pincée de romance, le tout lié par un rythme soutenu. Simba bénéficie d’une belle dose de tous ces composants. Avant même l’entrée en scène des principaux protagonistes, le film s’ouvre sur une séquence violente très sèche, annonciatrice d’une atmosphère tendue qui sera habilement entretenue tout au long du film. On retrouvera à plusieurs reprises ce type de séquence, notamment lors de l’attaque des révoltés chez les parents de Mary ou lors de l’intense final. Brian Desmond Hurst fait preuve dans ces moments de sa capacité à filmer des scènes très dures sans la moindre fioriture, leur donnant une intensité appréciable qui permet de tenir en haleine le spectateur. Une sensation largement renforcée par le montage dynamique du film que l’on mettra au crédit du monteur Michael Gordon, qui connaitra quelques mois plus tard le sommet de sa carrière en travaillant sur Rendez-vous avec la peur de Jacques Tourneur. Entre ces instants de violence, on remarque d’abord la volonté de réalisme avec laquelle Hurst filme le Kenya, ceci étant souligné par la photographie du grand chef opérateur Geoffrey Unsworth qui donne un aspect presque documentaire au film. On découvre alors de très beaux décors, ainsi qu’une vision qui semble assez réaliste de la situation au Kenya dans les années 1950, en tout cas pour un film qui se veut essentiellement être un divertissement. Néanmoins, on regrettera parfois certains excès dans la volonté d'exotisme, notamment une confrontation entre le chef des Mau-Mau et un lion qui parait bien plus ridicule qu’impressionnante. Enfin, on prend un grand plaisir à voir se construire la relation amoureuse entre Mary et Alan, un rapport riche et complexe écrit avec beaucoup de subtilité qui est le reflet d’un scénario impeccable.


Simba nous propose de suivre la destinée d’un jeune Anglais, Alan Howard, plongé dans les tourments de la révolte Mau-Mau alors qu’il se rend au Kenya. Arrivé pour aider son frère à tenir son exploitation agricole, il est immédiatement confronté à la mort de ce dernier, massacré par les rebelles. Il va devoir alors choisir un camp, entre les colons les plus violents qui souhaitent prendre les armes et la ligne apaisée incarnée par Mary Crawford, amie de la famille Howard et du peuple kenyan. Alors que le rôle d’Alan devait être initialement tenu par Jack Hawkins, acteur majeur du cinéma anglais de l’époque, il échut finalement au jeune Dirk Bogarde, le jeune premier du moment qui n’était alors pas encore l’acteur inquiétant que révèlera Joseph Losey avec, entre autres, The Servant. Le rôle d’Alan fait apparaitre, par instants, ce jeu torturé que Bogarde développera dans sa carrière grâce à la richesse du personnage, déchiré entre ses sentiments pour Mary et son envie de vengeance, et dont l’état d’esprit est bouleversé par les évènements. Face à Bogarde, on retrouve Virginie McKenna, habituée au cours de sa carrière des films "exotiques", dont le personnage est plus monolithique mais particulièrement attachant grâce à la force de ses convictions cachées derrière une fragilité apparente. Mais au côté de ces deux personnages principaux, celui qui attire le plus notre attention est celui de Karanja, un docteur noir tiraillé entre sa solidarité envers son peuple et l’amitié qu’il nourrit pour plusieurs colons, dont Mary. Ce personnage est particulièrement riche et intelligemment écrit, et soulève des questions d’une étonnante modernité pour l’époque, en incarnant les souffrances d’un peuple africain modéré, rêvant d’émancipation mais rejetant la violence absolue des plus extrémistes.

Tout au long du film, Karanja se voit ainsi soupçonné de complicité envers les Mau-Mau par les Blancs et rejeté par sa propre famille, qui voit en lui un traitre à cause de ses amitiés avec des Anglais. Il est vraisemblablement le porte-parole du scénariste et du réalisateur, son personnage étant présenté à l’écran comme le plus sage et le plus raisonné. Ceci donne une coloration particulièrement moderne au film, qui tient un propos étonnant pour une œuvre de divertissement contemporaine des conflits coloniaux. Evidemment, il faut saluer la performance d’Earl Cameron qui donne à Karanja une profondeur remarquable. Autour de ces protagonistes, une galerie de personnages, noirs ou blancs, extrémistes ou modérés mais jamais caricaturaux, propose un large panel de points de vue dans un film qui laisse la parole à chacun, avec respect. Il n’y a dans Simba pas de "bons Blancs" et de "mauvais Noirs", pas de "bons Noirs" et de "mauvais Blancs" de manière simpliste. Pour reprendre le mot de La Règle du jeu, « chacun à ses raisons » et tous ces personnages sont écoutés et ont une légitimité à porter leur message dans une réalité brutale pour chacun d’entre eux. Bien sur, il reste les Mau-Mau. Eux sont exagérément violents et menaçants. Mais Brian Desmond Hurst ne s’en sert pas pour montrer de dangereux sauvages mais plutôt pour symboliser une menace presque surnaturelle, à l’image de ce que faisait Hugo Fregonese avec les Indiens dans le fameux Quand les tambours s’arrêteront. Un choix qui ajoute au film une dimension quasi fantastique particulièrement appréciable.


Simba est un divertissement réussi qui emporte son spectateur, une heure trente durant, dans un voyage intense et dépaysant qui n’est pas sans évoquer l’esprit du western américain. De plus, le film bénéficie d’une approche historique plutôt intelligente, ce qui est particulièrement appréciable. On regrettera ça et là quelques fautes de goût, notamment une fin excessivement mélodramatique, mais on prend globalement beaucoup de plaisir devant ce film dynamique et riche.

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La fiche IMDb du film

Par Philippe Paul - le 17 septembre 2015