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Critique de film
Le film

Bozambo

(Sanders of the River)

L'histoire

Le commissaire Sanders fait régner l’ordre et la paix autour de la rivière, dans la province qu’il dirige au Nigeria britannique. Même les plus guerrières et brutales des tribus se soumettent à l’autorité de Sanders, aussi ferme que magnanime. Pour mener sa campagne de pacification, le commissaire a su tisser des liens de confiance avec certains chefs, notamment avec Bozambo dont il a accompagné avec bienveillance l’accession au pouvoir dans sa tribu. Mais l’équilibre qu’il a su créer est précaire et, alors que Sanders quitte pour un an sa province à l’occasion de son mariage, des trafiquants européens poussent Molofa, un chef de tribu cruel, à s’attaquer à Bozambo et sa famille.

Analyse et critique

Le nom de Korda est un patronyme qui domine incontestablement le cinéma anglais des années 1930. On pense dans un premier temps à Alexander Korda, réalisateur et producteur, qui donnera vie à de grands films prestigieux. Pèle-mêle, on citera parmi ses réalisations Rembrandt ou La Vie Privé d’Henry VIII et sous sa casquette de producteur, au milieu de dizaines d'oeuvres, on évoquera par exemple l'excellent film qui lança le duo Michael Powell / Emeric Pressburger, L’Espion noir. On pense ensuite à Zoltan Korda, réalisateur régulièrement aux commandes des productions de son frère Alexander, un exécutant dévoué plutôt qu’un auteur à part entière mais qui donne généralement l’impression d’être un solide technicien. En 1935, un film réunissant les deux frères Korda est donc a priori la garantie de voir un film de qualité, certainement pas extrêmement novateur du point de vue formel, mais à coup sûr divertissant et prestigieux. On est d’autant plus rassurés en s’apprêtant à voir Bozambo que le scénario est une adaptation d’un livre d’Edgar Wallace, l'un des écrivains les plus utilisés par le cinéma, notamment pour ses récits policiers, et qui est surtout l’auteur de King Kong dont l’adaptation a donné naissance à un grand classique hollywoodien deux ans plus tôt. Le générique de Bozambo met donc le spectateur en confiance. Il s’agit malheureusement d’un piège, le film se révélant éminemment décevant.


Le scénario nous plonge dans une Afrique sous domination anglaise, et son propos est évidemment de justifier et de glorifier la présence des colons. Le message est éminemment paternaliste, ce qui ne surprend pas nécessairement pour un film tourné en 1935. Le ton est d’ailleurs immédiatement donné par le carton d’ouverture qui salue en quelques mots la grandeur des quelques hommes blancs venant pacifier les tribus de l’empire britannique. Un propos qui sera réitéré dans les différents intertitres qui ponctuent le film et qui est le reflet évident d’une pensée qui semblera passablement archaïque au spectateur du vingt-et-unième siècle. Ne nous méprenons pas cependant, et il semble nécessaire de clarifier ce point, Bozambo ne doit pas être considéré comme un film raciste. Nous n’y entendons aucun propos nauséabond, nous n’y voyons aucune image explicitement dégradante, mais du début à la fin le film se fait le défenseur d’une idéologie paternaliste largement ancrée dans les esprits à l’époque de sa production. Avec un certain recul, ce discours pourrait être oublié ou au moins occulté pendant le temps du visionnage du film si le spectacle était suffisamment distrayant. Mais malheureusement les scénaristes choisirent d’orienter tout leur script sur cette idée, annihilant ainsi tous les éléments de divertissement qui auraient pu naître d’un tel sujet. Les scènes de combats sont occultées, tout souffle épique est étouffé, Bozambo ne présente malheureusement aucun élément spectaculaire qui pourrait élever le film au-dessus de son propos de départ. Une situation étonnante quand on constate que parmi les scénaristes se trouve Lajos Biro, auteur de certains des meilleurs scenarii tournés par Alexander Korda, incapable ici de proposer la moindre scène intéressante. Ce qui fait de Bozambo un mauvais film, ce n’est pas son intention initiale, mais le simplisme de son écriture, la médiocrité de son rythme et l’absence totale d’action qui aurait très bien pu élever le film et en faire un honnête divertissement.


Une fois ce constat effectué, il est bien difficile de percevoir quelconque qualité lors du visionnage de Bozambo. On sauvera peut-être la performance de Leslie Banks, qui a la chance d’interpréter le rôle du commissaire Sanders, un personnage pétri de qualités auquel l'acteur a le mérite d’offrir une certaine subtilité. Surtout, c’est l’occasion de voir pour une fois l’inoubliable interprète du comte Zaroff dans un rôle positif, fait exceptionnel dans sa carrière. Il sera plus difficile de trouver des points positifs dans la performance de Paul Robeson, qui incarne l’autre personnage principal du film, le chef Bozambo. Il faut admettre que son rôle est bien moins gratifiant. S’il est sympathique, Bozambo semble bien naïf et le personnage manque sérieusement de profondeur. Et malheureusement la production eut aussi l’idée de le faire chanter, certainement afin exploiter la réputation de Robeson, surtout construite sur sa voix. Les passages musicaux du film souffrent d’une mise en scène indigente, comparable au ridicule des paroles des chansons, des hymnes à la gloire du gentil colon Sanders. Très engagé politiquement, Paul Robeson était initialement enthousiaste à l’idée de tourner un film sur l’Afrique. On dit qu’il fut furieux du résultat et du ton du film, au point de vouloir en faire disparaître toutes les copies. Il est compréhensible qu’au-delà du propos global, il ne devait pas non plus être ravi de son rôle à l’écran. Ces chansons médiocres et hors de propos sont l’illustration d’une forme très hétéroclite. En employant trois chefs opérateurs différents, Korda semblait avoir l’intention de mêler trois ambiances distinctes dans son film, qui oscille entre atmosphère de studio, production d’aventure léchée et pseudo-documentaire. L’ambition est peut-être louable, mais le résultat est peu satisfaisant. Bozambo fait l’effet d’un patchwork sans le moindre liant dont la composante documentaire, avec ses animaux sauvages et ses décors spectaculaires, est la seule à être réussie. Finalement, on aurait d’ailleurs préféré que le film soit uniquement documentaire, il aurait au moins eu le mérite de constituer un recueil de belles images et nous aurait épargné le terrible manque de souffle de son scénario.


Il n’y a donc pas grand-chose à écrire pour la défense de Bozambo, tant ce film s'avère creux. Uniquement construite pour véhiculer son propos discutable et pour mettre à l’écran quelques interludes musicaux dispensables, il s’agit d’une œuvre parfaitement oubliable qui aurait au moins pu être un film d’aventure haletant si son scénario avait été un tant soit peu enrichi. Alexander Korda clairement nous déçoit, sa filmographie nous laissait espérer un film largement plus passionnant malgré son matériau de départ. Mieux vaut ainsi passer son chemin.

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La fiche IMDb du film

Par Philippe Paul - le 27 août 2015