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Critique de film
Le film

Rio Conchos

L'histoire

Un groupe d’Apaches en train de pratiquer une cérémonie mortuaire est massacré par un certain James Lassiter (Richard Boone), un ex-soldat confédéré. Arrêté par la cavalerie américaine, ce dernier explique son geste par sa farouche haine à l’encontre des Indiens, ayant perdu sa famille par leur faute. Depuis, il ne cesse de vouloir se venger, les exterminant dès qu'il en a l'occasion et sans aucun problème de conscience. Le Capitaine Haven (Stuart Whitman) lui propose de le libérer s’il se joint à lui pour aller récupérer une cargaison de 2 000 fusils qu’il s’est fait subtiliser. En effet, l’arme qui a servi à la tuerie opérée par Lassiter faisait partie du lot et Haven est certain que celui-ci connait le coupable du vol des fusils qui risque d’aboutir à un massacre si, comme il le pressent, la marchandise atterrit dans les mains des Indiens. Pour retrouver sa liberté, Lassiter accepte à condition qu’un de ses compagnons de cellule se joigne à eux. Rodriguez (Anthony Franciosa), un coupe-gorge mexicain, aurait fini sur l’échafaud s’il n’avait pas pu rejoindre ce petit groupe composé seulement de quatre éléments, le quatrième étant le Sergent Franklyn (Jim Brown), le bras droit de Haven, un Afro-Américain taciturne. Voilà ce "commando" hétéroclite en route pour un périple ô combien dangereux...

Analyse et critique

Déjà détenteur d’une conséquente filmographie westernienne, Gordon Douglas poursuit sa contribution au genre en cette fin d’année 1964 avec l’un de ses meilleurs opus, ce Rio Conchos qui annonce à quelques semaines d’intervalle les westerns italiens à venir, dont les premiers signés Sergio Leone qui n’allaient pas tarder à secouer le genre avec le succès retentissant que l’on sait. Le personnage picaresque interprété avec jubilation par Anthony Franciosa aurait d’ailleurs tout à fait pu être le modèle du futur Tuco, sans d’ailleurs avoir à rougir de la comparaison tellement il trouve le juste équilibre dans son cabotinage. D’emblée, avec une stupéfiante scène de massacre en préambule du générique, nous avons comme l’impression que le western a définitivement tourné une nouvelle page. L’utilisation de la profondeur de champ, du zoom avant et de la musique diffère de tout ce qui s’était fait auparavant et préfigure grandement ces westerns "spaghettis" qui n’allaient pas tarder à faire couler tant d’encre, à faire naître de nouvelles vocations et de nouvelles passions même chez ceux jusqu'à présent peu adeptes du western classique. Cette séquence, d’une redoutable violence et d’une étonnante sécheresse, nous promet donc sans tarder un western au ton nouveau même si Budd Boetticher avec L’Aventurier du Texas (Buchanan Rides Alone), Marlon Brando avec La Vengeance aux deux visages (One-Eyed Jack) et Sam Peckinpah avec Coups de feu dans la Sierra (Ride the High Country) avaient déjà déblayé la piste qui allait aboutir à Pour une poignée de dollars, pour le meilleur ou pour le pire, c'est selon.

L’intrigue de Rio Conchos rappellera sans doute à beaucoup la deuxième partie des Comancheros de Michael Curtiz, au cours de laquelle un petit groupe s’infiltrait chez des bandits sur le point de lancer des Indiens sur le sentier de la guerre grâce à des fusils volés. Ceci n’est pas étonnant, et cette impression de ressemblance est renforcée par la présence de Stuart Whitman dans les deux westerns mais également par celle du même co-scénariste, Clay Huffaker - Rio Conchos pouvant être vu comme la face noire et nihiliste du très bon divertissement de Curtiz. Deux films qui, sans atteindre des sommets, s’avèrent tout aussi recommandables. Rio Conchos, c’est en quelque sorte un film de commando qui voit quatre hommes totalement différents et aux motivations très diverses être réunis pour une mission quasi suicidaire, essayer d’empêcher que se déclenche un massacre par la récupération d’un chargement d’armes devant tomber aux mains des Indiens prêts à se lancer sur le sentier d'une guérilla sanglante. L’homme à l’origine de ce vol de plusieurs milliers de fusils est un général sudiste qui n’accepte toujours pas la défaite de son camp lors de la Guerre de Sécession, et qui pense se venger en envoyant des Apaches anéantir les civils américains. Un mégalomane illuminé qui se fait construire une bâtisse coloniale au milieu des paysages désertiques du Mexique ; une courte mais mémorable performance de l’excellent Edmond O’Brien (le flic infiltré du White Heat de Raoul Walsh, le Casca du Jules César de Mankiewicz...) d’autant qu’on le voit parcourir les pièces de sa demeure en construction, déjà partiellement meublée mais encore privée de toiture (une géniale idée que ce décor presque surréaliste dans le dernier quart du film).

Le petit groupe qui va tenter de contrer ce rebelle est composé de deux soldats de la cavalerie américaine, d’un ex-Confédéré assoiffé de haine à l’encontre des Apaches et d’un coupe-gorge mexicain ; ils vont être rejoints en cours de route par une Indienne qu’ils font prisonnière. Le chef du petit commando n’est autre que le capitaine qui s’était fait subtiliser la cargaison d’armes. Honteux, il souhaite mener à bien la tâche qu’on lui a confiée et qui lui ferait probablement retrouver son aura. Certains pensent même que ses motivations sont plus ambigües, le soupçonnant de vouloir prendre encore du grade, ce qui pourrait fort bien advenir s’il mène à bien sa mission. Stuart Whitman incarne avec juste ce qu'il faut de fermeté ce soldat sévère cachant bien son caractère et ses motivations derrière une certaine raideur et un visage impassible qui en imposent assez pour entrainer ses hommes jusqu’au bout. Il faut dire qu’il est soutenu par son "sergent noir" tout aussi taciturne et encore plus charismatique de par sa carrure et son visage carré, que joue pour son premier rôle au cinéma l’ex-footballeur Jim Brown dont le personnage semble être un modèle de droiture. Ils sont accompagnés par un Mexicain fourbe savoureusement campé par un Anthony Franciosa tout à fait réjouissant (alors qu'il en manquait de peu pour le rendre insupportable), qui arrive même à voler les scènes qu’il a en commun avec Richard Boone. Amoral, individualiste, roublard, gouailleur, cupide et criminel, le comédien (plus connu sur le petit que sur le grand écran) nous livre ici sans cabotinage trop éhonté un personnage haut en couleur qui apporte énormément d’humour noir à ce western. Toutes ses apparitions se révèlent jubilatoires, à commencer par la séquence du début qui se déroule en prison où il voit au dehors la potence qui lui est destinée se mettre en place.

Enfin, quel plaisir de constater que ce fabuleux second rôle qu’a très souvent été Richard Boone - Alamo de John Wayne, L’Homme de l’Arizona (The Tall T) de Budd Boetticher, Le Raid de Hugo Fregonese... - se voit enfin offrir un rôle complexe à la mesure de son immense talent. Son James Lassiter partage quelques points communs avec le Nathan Edwards de John Wayne dans La Prisonnière du désert (The Searchers) ; c’est un homme qui a contracté une haine farouche à l’encontre des Indiens après qu’ils ont torturé puis tué sa femme et sa fille. Depuis ce temps-là, il n’a plus qu’une seule idée en tête : en anéantir le plus possible, le génocide ne semblant lui poser aucun problème de conscience. Et c’est d’ailleurs par la preuve de cet instinct sanguinaire que débute le film. La richesse du scénario aidant, Richard Boone parvient néanmoins à rendre son Lassiter attachant, tout simplement humain. Vient s’ajouter au groupe, à mi-film, une Indienne au caractère trempé mais mutique elle aussi, dont le personnage aurait pu s’élever au niveau de ses "compagnons de route", mais sur lequel les scénaristes n’ont pas assez pris le temps de s’appesantir. La jeune Wende Wagner n’a ainsi pas beaucoup d’occasions pour faire preuve de son talent et c’est bien dommage. A signaler cependant qu’elle n’est à l’origine d’aucune romance, cette absence d'intrigue amoureuse pouvant être comptée comme l'une des autres originalités du film. Par ailleurs, les Indiens ont beau être les ennemis de nos "héros", ils sont néanmoins décrits avec dignité, le chef des guerriers se révélant être une sorte de double de Lassiter ; leur confrontation sera à l’origine d’une des séquences les plus puissantes du film, chacun se rendant compte beaucoup ressembler à son adversaire. Rodolfo Acosta campe le chef indien avec lui aussi beaucoup de charisme.

Une intrigue "mission commando" somme toute assez classique (un style d’histoire que l'on a déjà rencontré mais qui sera encore plus souvent réutilisé durant la décennie, dans tous les genres touchant à l’action) soutenue par de brillants dialogues et dynamitée par une morale plus trouble qu'à l'accoutumée, ainsi qu'une galerie de protagonistes divers et variés un peu plus ambiguë que la moyenne, ses membres formant un groupe hautement improbable, pour notre plus grand plaisir. Un scénario d’une solidité à toute épreuve si ce n’est lors d’une dernière partie qui s’étire bien trop en longueur, le climax s'avérant décevant au vu de ce qui a précédé. Quant à la forme, on peut dire que Gordon Douglas n’a pas tort lorsqu’il affirme qu’il s’agit de l'une de ses plus belles réussites. Il semble ici très à l’aise avec le Cinémascope, le maniement de la caméra, l’utilisation des décors naturels, et il nous offre quelques séquences d’action anthologiques. Outre évidemment le prologue puissamment rugueux, on se rappellera également longtemps du guet-apens des tueurs mexicains en pleine montagne mais surtout du blocus de la ferme incendiée et abandonnée où ne reste comme seul survivant qu’un nouveau-né. Parfaitement bien rythmée et montée, il s’agit probablement de la séquence mouvementée la plus virtuose du film, aussi bien dans sa construction que dans sa vitalité. En effet, comme nous venons de le dire, la séquence apocalyptique finale tant attendue parait faible en comparaison, bien trop confuse dans son ensemble. Gordon Douglas a été formidablement secondé par son chef opérateur Joseph MacDonald mais surtout par son compositeur Jerry Goldsmith qui signait ici une admirable partition, très moderne pour l’époque et annonçant elle aussi celles qui n’allaient pas tarder à faire le tour du monde... bien évidemment les bandes originales d'Ennio Morricone.

S’il est permis de lui préférer son coup d’essai dans le genre, le dynamique et généreux Fâce au chatiment (The Doolins of Oklahoma), ou encore le réjouissant Sur la piste des Comanches (Fort Dobbs), le meilleur de son trio avec Clint Walker (un comédien qui aurait eu parfaitement sa place dans la peau du personnage interprété ici par Stuart Whitman), Rio Conchos est sans aucun doute l’une des œuvres les plus réussies de son auteur avec également durant la même décennie le jubilatoire Tony Rome est dangereux avec Frank Sinatra. Un western qui ne manque pas de brio, réussissant la parfaite synthèse de l’âpreté et du picaresque, à la mise en scène efficace et précise, à l’interprétation réjouissante, soutenu par une musique lancinante et entêtante. La mutation du western est plus que jamais en marche ; le genre va devoir désormais partager le parc de salles de cinéma avec son pendant transalpin. Définitivement mis de côté les cow-boys élégamment vêtus et rasés de près ; une nouvelle ère s’ouvre désormais, plus que jamais !

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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 19 septembre 2015