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Critique de film
Le film
Affiche du film

Passe ton bac d'abord

L'histoire

Dans la région de Lens, le quotidien morne d'un groupe d'adolescents de terminale ne sachant pas de quoi l'avenir sera fait. Leur horizon est celui de la chaîne de l’usine, des chaînes d’un mariage non désiré. Certains entrevoient dans le départ vers Paris une possibilité d’échapper à ce futur servile...

Analyse et critique

Dix ans après L’Enfance nue, Maurice Pialat discute avec l’une des actrices du film, Pierrette Deplanque. Elle lui raconte son adolescence, ses espoirs, ses déceptions, l’école, l’amour, le travail. Pialat demande à Arlette Langmann d’écrire un scénario qui restituerait ce que lui a raconté la jeune fille. Mais bientôt, ce qui se présentait comme le portrait d’un couple d’adolescents se transforme en un film de groupe, mosaïque d’histoires de jeunes de Lens, portrait d’une génération et d’une époque. Pialat réalise ce que l’on pourrait qualifier de teen movie, comme il en fleurissait à l’époque sous la caméra de Michel Lang ou Pascal Thomas. Mais Pialat étant Pialat, Passe ton bac d’abord ne ressemble bien sûr en rien à ces autres films.


Ici pas de regard un brin libidineux sur les culottes des adolescentes, pas de boum, pas de drague. Où plutôt si, il y a bien tous ces éléments, mais ils ne captent pas l’œil, ils flottent à l’image puis disparaissent sans que l’on y fasse attention. L’enjeu n’est pas le premier slow, le dépucelage espéré ou craint, mais le quotidien morne d’un groupe de jeunes dans un Nord en déliquescence. Ce que l’on remarque, c’est la désindustrialisation violente de cette région de Lens, le chômage qui galope, les usines qui ferment. Rien de gai ou d’affriolant donc dans ces histoires adolescentes, mais une gangue de plomb qui s’abat sur eux alors même qu’ils n’ont même pas mis un pied dans l’âge adulte.


On ressent l’angoisse de ces ados qui ne veulent pas avancer dans la vie, par peur, par désespoir. D’où un vain surplace qui n’est que l’illusion de pouvoir retenir l’insouciance de leur jeunesse. Les garçons et les filles ne cessent de se regarder, désir sexuel que cependant ils ne cessent de repousser par crainte de mettre en route l’engrenage qui les mènerait à reproduire la vie morne de leurs parents. Leur horizon est celui de la chaîne de l’usine, des chaînes d’un mariage non désiré. Certains entrevoient dans le départ vers Paris une possibilité d’échapper à ce futur servile. Mais les mères guettent, et si elles n’ont guère de prise sur les fils, elles imposent aux filles de reproduire le modèle familial et pour cela les marient vite et mal. Environnement social mortifère, cellule familiale dévorante. Passe ton bac d’abord est une réaction salutaire aux Diabolo Menthe et autres A nous les petites Anglaises (alors le parangon du genre, La Boum, sortant l’année suivante). Une version réaliste, crue et tragique du monde adolescent qui s’oppose à la vision puérile et démagogique de la jeunesse véhiculée par tout un pan du cinéma français (quelques années plus tard, de l’autre côté de l’Atlantique, John Hughes réagira de la même manière à la vague des Porky’s avec quelques œuvres magnifiques sur l’adolescence).


Un film qui sait saisir ce moment de la vie (avec ses poses, son langage, ses rituels) et l’air du temps. Pialat passe d’un personnage à l’autre sans prévenir, suit une histoire puis l’abandonne en cours de route pour suivre d’autres visages. Il parvient à capter en quelques instants l’atmosphère d’un lieu, d’une ville. Passe ton bac d’abord est de ces films qui nous frappent par leur vérité, qui parviennent à arracher au quotidien des images et des instants de vie et à nous les restituer par la grâce d’une mise en scène d’une honnêteté, d’une intégrité et d’une intelligence hors norme.

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La fiche IMDb du film

Par Olivier Bitoun - le 5 janvier 2021