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Critique de film
Le film
Affiche du film

Né un 4 juillet

(Born on the Fourth of July)

L'histoire

Etats-Unis, années soixante. Elevé dans le patriotisme et l'esprit de compétition, le jeune Ron Kovic (Tom Cruise) s'engage dans les Marines et part la fleur au fusil pour le Vietnam. Il y perdra ses illusions et l'usage de ses jambes. De retour au pays, il sombre dans la dépression et l'alcoolisme. Mal à l'aise avec ses proches, il s'exile un temps au Mexique. Il finit par retrouver un sens à sa vie en s'engageant pleinement dans le mouvement pacifiste.

Analyse et critique


L'autobiographie de Ron Kovic, publiée avec succès en 1976, suscite très vite l'enthousiasme d'Al Pacino et de son producteur Martin Bregman. Toutefois, insatisfaits par le développement du scénario, les deux hommes finissent par passer la main. Parallèlement, Kovic se lie d'amitié avec le scénariste Oliver Stone, un vétéran du Vietnam comme lui. En cette fin des seventies, Stone tente déjà de monter le projet Platoon et promet à Kovic de s'atteler à Né un 4 juillet si Platoon est un succès. Centré sur un handicapé pacifiste, Né un 4 juillet est évidemment difficile à vendre aux studios hollywoodiens mais le retentissement public et critique de Platoon (1986) puis de Wall Street (1987) change la donne. Après avoir envisagé Sean Penn ou Nicolas Cage, Stone et Kovic (ici co-scénariste) se laissent séduire par la candidature spontanée de Tom Cruise, qui souhaite tout à la fois casser son image et prouver ses capacités d'acteur. Universal y voit une garantie commerciale suffisante et accorde à Stone un budget confortable pour la reconstitution - superbe - des sixties. A l'arrivée, et malgré sa dureté (notamment le massacre des villageois vietnamiens et la rééducation de Kovic dans un hôpital infect), le film remporte un beau succès public et critique : Golden Globe du meilleur acteur pour Cruise, Golden Globe du meilleur scénario dramatique pour Stone et Kovic ; Golden Globe et Oscar du meilleur réalisateur pour Stone (son second après Platoon). Belle période. D'ailleurs, Né un 4 juillet (1989) est filmé pendant l'âge d'or d'Oliver Stone. De 1986 à 1995, il livre en effet un grand film par an : Salvador (1985), Platoon (1986), Wall Street (1987), Talk Radio (1988) puis juste après Né un 4 juillet, The Doors (1991), JFK (1992), Heaven & Earth (1993), Tueurs nés (1994) et Nixon (1995).



La notion d'âge d'or est d'autant plus émouvante ici qu'elle est le sujet profond de Né un 4 juillet : marqué par les années Kennedy, Ron Kovic, qui a eu une enfance idéale et qui est né à une date idéale pour un Américain, veut faire quelque chose de grand pour son pays. C'est bien ce qu'il finit par faire, non pas en faisant la guerre du Vietnam, comme il le pense au début, mais en s'opposant à celle-ci. Là était, selon Stone, le vrai message de Kennedy. C'est pourquoi il ne faut pas voir d'ironie cruelle dans Né un 4 juillet : il ne s'agit pas pour Stone et Kovic de se moquer de l'idéalisme américain ou de dire que c'est un mensonge mais simplement de dire qu'il a été dévoyé. En ce sens, Kovic n'est pas du tout un anti-héros et c'est pourquoi le film a plu au public. Né un 4 juillet est bel et bien une épopée.


La supériorité de Stone à cette époque, c'est qu'il est non seulement un cinéaste engagé, courageux, mais qu'il devient aussi un très grand formaliste. En effet, à partir de Talk Radio, il stylise de plus en plus sa mise en scène et son montage, délaissant le réalisme simple de Salvador, Platoon et Wall Street. Avec son chef-op attitré Robert Richardson, il va de plus en plus vers l'allégorie. Né un 4 juillet est justement passionnant par sa position d'entre-deux : le film possède encore des traces du réalisme de Platoon mais il se permet quelques envolées formelles, comme autant de poussées de fièvre ou de ferveur, accès délirants qui iront croissant à partir de The Doors, pour atteindre leur point culminant avec les quasi expérimentaux Tueurs nés et Nixon. C'est aussi pour Stone et Richardson le premier film en format Cinémascope et, à ce titre, Né un 4 juillet s'inscrit pleinement dans l'héritage des grandes fresques hollywoodiennes du début des années 1960.



Si le récit de Kovic est classique dans sa construction christique en trois temps (ascension, chute sacrificielle, nouvelle ascension), il est transfiguré par Stone, et ce dès le départ. L'âge d'or de Ron Kovic (sa jeunesse, ses premières amours) est filmé dans une lumière rasante de Paradis terrestre, sous le vent doux et le pollen flottant. La musique élégiaque de John Williams élève le tout à des sommets de beauté, tout en donnant un indice de la suite (assombrissement du thème lorsque le petit Ron regarde au ralenti les vétérans handicapés de la Seconde Guerre mondiale).



La saison en Enfer de Ron Kovic est amenée par une ellipse saisissante : son baiser d'adieu à Donna (Kyra Sedgwick), au son de Moon River, se dissout pour laisser apparaître un arbre mort sur une plage désolée. Nous sommes tout à coup sur le littoral vietnamien. Contrairement à Platoon, l'Enfer n'est plus vert et sombre mais jaune et lumineux. Plus que lumineux : aveuglant. Cet aveuglement est à la fois réel (les soldats américains distinguent mal leurs cibles) et symbolique (Ron s'est fourvoyé en prenant résolument le chemin de la guerre). Dans les moments de massacre, la caméra quitte les très gros plans sur ses yeux éblouis pour parcourir, affolée, le sol jonché de mourants. La seule envolée sera désormais celle des hélicos chargés de blessés, dans un crépuscule de fin du monde. Dans toutes ces scènes, la musique de Williams devient atonale, effrayante (le compositeur est un champion en la matière). Cet affolement de notes et de mouvements de caméra aboutit à une fosse, non pas la fosse commune mais presque : l'hôpital de campagne débordé de blessés agonisants, puis le centre de rééducation insalubre. Plongée extrême dans les excréments. L'idée de fosse, d'Enfer sur terre, est à son comble.



La transfiguration - ou nouvelle ascension - de Ron commence en douceur, lors de son retour parmi les siens : la caméra suit avec fluidité le moindre mouvement de sa chaise roulante, épousant sa soif désespérée d'aller vers l'autre ; elle tente même par moments de s'élever (par exemple pour suivre Donna sur les marches d’un immeuble) mais ne peut aller très loin : Ron butte contre le trottoir. Interruption de mouvement redoublée par son impuissance sexuelle. Ron comprend alors qu'il ne doit pas se précipiter vers les autres, en les agressant verbalement (voir la scène terrible où il hurle contre sa mère bigote), mais qu'il doit au contraire faire venir les autres à lui, en délivrant un message positif. Il redevient sciemment le leader qu'il était enfant, mais sans l'esprit belliqueux qui marquait alors ses jeux. En prônant la paix pour les autres, Ron parvient à apaiser ses démons. La caméra, qui depuis le début épouse sa pensée, reprend de l'ampleur, tout comme la musique de Williams, au milieu de centaines de manifestants idéalistes luttant contre la guerre.



Dans la dernière scène, notre héros fend la foule sur fond bleuté, comme au début du film, lorsqu’il court sous une pluie diluvienne pour rejoindre Donna au bal de fin d’année. La boucle est bouclée. Ron redevient ce qu’il a été. Entre ces deux moments de grâce, le Vietnam aura été sa Révélation.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Claude Monnier - le 18 mai 2023