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Critique de film
Le film
Affiche du film

Les Zozos

L'histoire

Début des années 60, au moment d’un doux printemps, dans un petit village du Poitou. Frédéric (Frédéric Duru) et François (Edmond Raillard) sont deux lycéens de 17 ans en internat. Ils ont pour petites amies Martine (Virginie Thévenet) et Élisabeth (Annie Colé) sans que chacun soit bien assuré de ses sentiments et de ses inclinations amoureuses. La sœur de Martine, Nelly (Caroline Cartier), ferait d'ailleurs tout aussi bien l'affaire pour Frédéric, du moment qu’elle soit plus entreprenante et que ça ne se limite pas à un simple flirt. Car c’est l’âge où les études passent un peu au second plan et où la seule pensée est tournée vers le sexe ; c’est une telle obsession que nos deux zozos décident de partir en stop pour rallier la Suède pour les vacances de Pâques, pays censé représenter la liberté sexuelle et où les filles sont semblent-ils faciles. Quitte au retour à se vanter d’aventures et de conquêtes qui n’auront en fait pas eu lieu…

Analyse et critique


"Frédéric et François qu'avez-vous fait de votre jeunesse ? Rien de particulier, nous l'avons paisiblement gâchée entre les murs d'un lycée, ou dilapidée auprès des filles qui voulaient bien de nous... Pas de quoi se vanter mais rien à regretter…" Appliquée sur une image poético-nostalgique de cour de lycée vidée de son chahut habituel par une pluie printanière, bercée par une poignante mélodie de Vladimir Cosma ('quand l’école sera finie') jouée sur un vieil instrument sonnant comme un orgue de barbarie, c’est sur cette note douce-amère écrite à l’écran que se conclut le premier long métrage de Pascal Thomas, film modeste au succès public inattendu mais amplement mérité (100 000 spectateurs en quatre semaines pour la seule exclusivité parisienne), matrice de la plupart des films français à venir sur l’adolescence, qu'ils soient, pour balayer le spectre au plus large, purement comiques (A nous les petites anglaises de Michel Lang) ou au contraire totalement dépressifs (Passe ton bac d'abord de Maurice Pialat). Rien de mieux que ces quelques phrases pour résumer ce superbe coup d’essai qui eut comme brouillon le court-métrage Le poème de l'élève Mikovsky tourné avec déjà les mêmes jeunes comédiens et personnages, les deux fictions ayant eu pour cadre le lycée même où étudia au début des années 60 le jeune Pascal Thomas qui pour Les Zozos se référa à sa propre et récente jeunesse, dépeignant les comportements d'adolescents en quête de leurs premières aventures amoureuses, n’hésitant pas avec beaucoup de mythomanie à transformer pour leurs camarades les revers subis auprès de la gent féminine en triomphe.


Le jeune réalisateur, alors âgé de seulement 27 ans, ne se destinait pas nécessairement à passer derrière la caméra mais c’est Claude Berri qui le pousse à le faire. Bien lui en a pris même si la carrière du cinéaste pourrait se scinder en deux parties bien distinctes, la première qui met toujours en joie un grand nombre de cinéphiles et qui pour certains perdure jusqu'à Confidences pour confidences, la suite, très inégale ne parvenant malheureusement plus guère à contenter les admirateurs de la première heure. En gros, tout ce qu’il aura tourné dans les années 70 est impérativement à remettre en avant, le reste, à quelques exceptions près comme Mercredi, folle journée, ne s’avérant pas forcément très passionnant. Mais ses films des seventies, Pascal Thomas gardera notre gratitude éternelle. Car que ce soit Pleure pas la bouche pleine, encore plus mémorable, ou encore, tout aussi délectable, le désopilant et champêtre Chaud lapin avec un Bernard Menez inénarrable dans le rôle-titre, il y avait encore largement de quoi se réjouir, y compris au sein de films plus modestes comme La Surprise du chef avec à nouveau Virginie Thévenet. Mais revenons en aux prémices de cette filmographie qui n'est autre que cette chronique provinciale sur l’adolescence avec ses zozos immatures, obsédés, paresseux et vantards, tenant éloignés la politique et les problèmes contemporains (la guerre d’Algérie) pour ne penser presque exclusivement qu’au sexe. D’ailleurs le proviseur leur rappelle bien qu’il faut qu’ils laissent la politique "aux grandes personnes" et ne surtout pas se battre pour des avis divergents. Mai 1968 est encore loin.


La principale motivation qui attire les spectateurs de l’époque dans les salles pour voir ce petit film sans aucune star à l’affiche, c’est le fait qu’il ait été tourné en une province reculée - en l’occurrence le Poitou et la ville de Moncontour – et que cette campagne française aura rarement été aussi amoureusement filmée : la photographie de Colin Mounier est d’une belle douceur et l’on se remémorera longtemps le plan-séquence qui ouvre le film au cours duquel nos quatre protagonistes principaux se promènent, se chamaillent et se rabibochent le long de chemins bucoliques et verdoyants, montrant d’emblée les incertitudes de cet âge difficile, entre délicatesse et brutalité, ou surtout aussi celui du champs dominant la route communale dans lequel Martine et Frédérique s’assoient pour flirter pour la première fois ; pas étonnant d’apprendre après coup que le chef-opérateur fût à l’époque aussi celui de Jacques Rozier, les deux cinéastes ayant pas mal de points en communs dont un naturalisme quasi documentaire. De nos jours non seulement Les Zozos se visionne à chaque fois avec autant de plaisir tellement le charme perdure mais il est également devenu un passionnant document sociologique nous faisant découvrir le fossé qui s’est creusé concernant l’évolution des mœurs entre ce début des années 60 et aujourd’hui. En revanche rien n’a changé concernant la testostérone active des jeunes lycéens, les filles étant de tout temps la préoccupation première de ces zozos pas nécessairement tous sympathiques mais tellement humains, des adolescents comme nous avons tous été ou que nous avons tous côtoyés.


C’est ainsi que nous croiserons au sein d’un lycée où la mixité n’existait encore pas, des jeunes garçons vantards, hâbleurs et prétentieux, prêts à raconter n’importe quel mensonge pour se faire passer pour d’insatiables Don Juan, un petit souffre-douleurs se faisant constamment chahuter voire même violenter (il aura droit à la fameuse bite au cirage, classique du bizutage de l’époque) ; nous serons témoins de flirts hésitants, de blagues crétines, de tapages dans les chambrée pour des photos de femmes dénudées, de moqueries sur les formes de certaines filles ou sur les coquineries des professeurs ; nous visiterons les dortoirs inconfortables, la salle de bain commune avec sa rangée de lavabos ; nous nous baladerons au travers les villages paisibles où suinte l’ennui ou la sérénité (c’est selon), au bord des rivières où la pêche va bon train… Le film possède une grande fraicheur de ton, une galerie de personnages à la fois cruels et tendres interprétés par de jeunes acteurs non professionnels pour la plupart, tous confondant de naturels. A signaler que Frédéric Duru deviendra par la suite l’assistant de Pascal Thomas. Parmi les comédiens professionnels, on notera certains protagonistes adultes campés par Daniel Ceccaldi qui sera l’un des acteurs de prédilection de Thomas ou encore Jacques Debary plus connu pour avoir été le commissaire Cabrol dans la série Les cinq dernières minutes. Mais si l’on ne devait ne retenir qu’une seule 'performance', ce serait néanmoins celle de la charmante Virginie Thévenet qui nous ravit à chacune de ses apparitions dans le rôle de Martine, toute en sourire, spontanéité et délicatesse. On la verra encore plus tard chez d’autres grands cinéastes tels Truffaut (L’argent de poche), Rohmer (Les Nuits de la pleine lune) ou Jean Eustache (Une sale histoire) et passera même à la réalisation dans les années 80 avec La Nuit porte-jarretelles. Quel regret que Pascal Thomas n'ait pas à nouveau fait appel à elle pour ses 'films-chroniques' suivants.


Télérama à l’époque de la sortie du film avait qualifié la manière de filmer de Pascal Thomas de ‘nouveau naturel’. C’est dire s’il a creusé un sillon tout neuf dans le cinéma français et aura beaucoup de suiveurs mais peu qui arriveront à ce degré de fraicheur dans la description de la banalité du quotidien de ces jeunes provinciaux. Il faut dire que tout ce que nous met le cinéaste sous les yeux est du vécu puisque son film est pour une grande partie autobiographique, ayant passé sa jeunesse auprès de ces jeunes gens et ayant vécu ses situations finalement assez communes et dans ces lieux qu’il aime assurément autant que ses protagonistes. Il dépeint de la façon la plus simple et la plus frontale les troubles, les velléités et les échecs de l’adolescence. Les revers tel ce voyage mythifié en Suède qui s’avère aussi décevant pour les protagonistes que frustrant pour les spectateurs car il s'agit du segment le plus sordide du film ; mais en cela il reflète à la perfection les déceptions suite à une trop grande attente au vu des rumeurs qui se révèlent fausses ou pas exactement telles qu’on les attendait, les jeunes suédois ayant beau être libéré semblent les personnes les plus tristes au monde. La fascination qu'exerçait ce pays, sorte de terre promise sexuelle, n’allait pas faire long feu, se traduisant dans le film d'une manière drôlement déprimante, l'adverbe drôlement pouvant être pris ici au premier degré, celui d'amusement. Car il suffit de se rappeler de la séquence de camping au bord de la baltique au cours de laquelle François narre sa difficulté à 'bander' ou sa 'chiasse incontrôlable' pour en avoir encore le sourire au lèvre. Car oui le film affiche sans honte sa trivialité qui continuera à faire partie du style du réalisateur.


La description à la fois souriante et grinçante d’une province campagnarde française reculée, une chronique de l’adolescence sans romantisme ni d’un trop plein de nostalgie, à l’image de ces zozos souvent obscènes et cruels ayant, écrivait Jacques Lourcelles – grand défenseur du cinéaste -, "une vocation plus ou moins hilare à l’échec". Il souffle sur ce film – et les suivants dont le sommet pourrait être Pleure pas la bouche pleine – une liberté de ton, un air pur, frais et léger particulièrement réjouissant ; il sourd de cette peinture de la jeunesse une grande vérité et une grande justesse, jamais mièvre mais d’un mémorable naturalisme poétique. Récit pas nécessairement bien charpenté et d’apparence décousu mais le réalisateur et son scénariste Roland Duval (son ex-professeur de français) se fichent comme d’une guigne de toute tension dramatique, de quelconque prétention esthétique, de tout moralisme ou profondeur thématique… et on les en remercie ! Qu’est-ce qu’une telle désinvolture voulue peut parfois faire du bien comme le fait de se laisser porter par cette sorte d'ode généreuse à la paresse, à l’insouciance et au bénéfique ennui. Le cinéma français aura souvent fait le portrait de ces zozos si sympathiques et si vrais ; ceux de Pascal Thomas n’ont rien à envier à ceux plus tardifs de Jean Eustache, François Truffaut, Cedric Klapisch ou de Riad Sattouf dont par jeu je vous laisse retrouver les titres sous entendus. Un régal !


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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 22 avril 2024