L'histoire
A la mort de son père alors qu’il n’avait que 15 ans, Jet Cosgrave (John Derek) avait été déshérité du ranch familial par son oncle Linton (Jim Davis) après que ce dernier eu modifié le testament avec l’aide d’un avocat corrompu. Plusieurs années ont passé et voici que Jet revient à Colton, Colorado, bien décidé à faire valoir ses droits sur ce qu’il considère être son bien, quitte à le reconquérir par la force faute d’y parvenir légalement. Pour mener sa vendetta, il fait appel à une bande de mercenaires sans scrupules qu'il destine à combattre Linton et ses hommes. En arrivant en ville, Jet tombe sous le charme de Miss Austin (Catherine McLeod) ; pas de chance, elle n’est autre que la future épouse de son oncle et ennemi juré…
Analyse et critique
Metteur en scène hollywoodien très prolifique, William Witney fit surtout les beaux jours du serial, ayant notamment mis en scène en 1939 l’un des plus réputés auprès des aficionados, Zorro's Fighting Legion, mais également des aventures des célèbres Dick Tracy, Fu Manchu ou encore du docteur Satan. Il réalisa aussi bon nombre de série B ou Z avant de terminer sa carrière toute aussi féconde à la télévision avec de nombreux épisodes de Bonanza, Chaparral, Tarzan, Le Virginien… Du peu de westerns que je connais de ce cinéaste, Les Proscrits du Colorado est sans conteste le plus sympathique, bien plus satisfaisant en tout cas que ceux qu’il tourna avec Audie Murphy en tête d’affiche et distribués par la Columbia durant les années 60, que ce soit le plutôt plaisant La Fureur des Apaches (Apache Rifles), le désolant Représailles en Arizona (Arizona Raiders) ou encore le très mauvais 40 fusils manquent à l’appel (40 Guns to Apache Pass). Le studio Republic Pictures créé par Herbert J. Yates n’aura finalement pas été avare en bonnes surprises et ne fut pas durant les années 50 que la compagnie qui aura produit Rio Grande de John Ford ou Johnny Guitare de Nicholas Ray même si ces deux titres semblent insurpassables. Allan Dwan (La Femme qui faillit être lynchée), Budd Boetticher (La Dame et le toréador), Frank Lloyd (Quand le clairon sonnera) ou Ray Milland (Un Homme traqué) nous auront eux aussi offert quelques belles pépites en travaillant pour ce studio.
Si Les Proscrits du Colorado n’atteint pas le niveau des titres cités précédemment il n’en constitue pas moins un bon cru de série B westernienne que les aficionados devraient apprécier. Le film possède un point de départ assez classique, vu et revu, le traditionnel conflit entre éleveurs et (ou) fermiers pour la possession de parcelles de terrains. Sauf qu’en l’occurrence, cette rivalité oppose deux membres de la même famille, les Cosgrave, un oncle et son neveu qu’il avait spolié du ranch familial à la mort de son frère avec la complicité d’un homme de loi véreux. Le jeune homme (Jet) qui revient dans la région après quinze années d’absence (on ne saura jamais vraiment où il était et ce qu’il a fait durant ce laps de temps) tient à récupérer son bien par n’importe quelles méthodes, même les plus illégales. Il est bien décidé à voler les bêtes de son oncle Linton, à modifier leurs marques et ensuite à déloger voire tuer ce membre de la famille malveillant. A cet antagonisme familial vient s’en greffer un autre, de voisinage celui-ci, une haine farouche qui s’est faite jour depuis déjà quelques années entre Linton, le despote du coin, et des ranchers un peu plus modestes, les Polsen, qui se sont vus eux aussi dépossédés de portions de terres avec une certaine violence, certains des leurs ayant d’ailleurs mystérieusement disparus. Si l’on ajoute à ça que le patriarche des Polsen ne fait aucune différence entre Jet et Linton puisque faisant partie de la même famille, une bataille semble aussi s’engager entre Jet et les Polsen, les deux clans ayant pourtant le même ennemi commun. Arrivez-vous toujours à me suivre ?! Car si ce n’est pas le cas, pas de panique : les scénaristes John K. Butler & Richard Wormser parviennent avec talent à rendre tous ces enchevêtrements de conflits relativement fluides.
Quand on saura aussi qu’au sein de la famille Polsen, la jeune Judy tombe amoureuse de Jet alors que celui-ci courtise la future épouse de son oncle, que cette dernière ignore tout des malversations de son futur mari et que les hommes de main des deux clans sont prêts à lâcher ceux pour qui ils travaillent si la partie adverse venaient à leur offrir mieux… on imagine aisément qu’en 90 petites minutes de temps, nous n’aurons pas eu le temps de nous ennuyer d’autant que William Witney n’était pas le dernier venu en terme d’action et que les séquences mouvementées qu’il nous propose ici sont souvent d’une redoutable efficacité, que ce soient les bagarres à poings nus vraiment teigneuses (notamment celle opposant John Derek à Jim Davis), les fusillades pétaradantes, les morts violentes parfois assez sadiques ou les spectaculaires chevauchées au cours desquelles les comédiens et cascadeurs s’en donnent à cœur joie, notamment Slim Pickens et John Derek d’une étonnante dextérité. Il ne me semble d'ailleurs avoir encore jamais vu dans un autre western un Fistfight alors que les deux rivaux se trouvent en pleine cavalcade, au grand galop ! Le tout se déroule au sein de très beaux paysages superbement photographiés par un Reggie Lanning qui nous ravit les yeux par son utilisation flamboyante du Trucolor qui fait également rutiler de magnifiques costumes. Aux séquences d’action viennent se superposer des romances assez prenantes et souvent tendues d’autant que Jet fait donc la cour à deux femmes à la fois, la fille du chef d’un clan opposé à sa famille que le père corrige d’ailleurs sauvagement en apprenant son idylle, ainsi que la promise de son oncle dans le seul but d'irriter ce dernier.
Les deux comédiennes, Joan Evans et surtout Catherine McLeod s’en sortent avec les honneurs d’autant que leurs personnages sont très bien écrits et qu’ils bénéficient d'une importance considérable dans le déroulé de l'histoire, ce qui n’était pas toujours le cas dans ce genre de productions. D’innombrables très grands seconds rôles du western sont également réunis ici pour la plus grande joie des amateurs du genre : outre ceux déjà nommés, Frank Ferguson, James Millican, Ben Cooper, Harry Carey Jr., Bob Steele, Jim Davis (qui dirigera à nouveau avec poigne un ranch à la fin des années 70, dans la fameuse série Dallas)… Un très bon divertissement qui ne lésine pas sur les retournements de situation mais qui surtout met en avant un protagoniste principal qui s’humanise au fur et à mesure de l’avancée du récit. Et John Derek est loin d’être mauvais, très charismatique et finalement assez attachant après avoir semblé antipathique durant un bon tiers du film, cynique et manipulateur, tout entier à ses idées vengeresses, capable de tout pour mener à bien ses représailles familiales. Ça file à 100 à l’heure et ça canarde à tout va sans quasiment de baisse de rythme, c’est réalisé avec savoir-faire, scénarisé avec une grande maitrise des multiples arcs narratifs et fort bien interprété. On regrettera juste qu’à un thème musical très réussi, R. Dale Butts substitue ensuite le plus souvent une resucée d’un standard de la musique classique. Que demander de plus à condition de n’y rechercher que du pur divertissement ?! Merci à Sidonis de nous avoir déniché ce western méconnu et éminemment sympathique !
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LES PROSCRITS DU COLORADO
Combo Blu-Ray/DVD
Sortie le 11 avril 2025
éditions Sidonis