Critique de film
Le film
Affiche du film

Quand le clairon sonnera

(The Last Command)

L'histoire

En 1830 le Texas fait encore partie de la république du Mexique ; de nombreux colons américains s'y sont néanmoins établis avec l’aval du gouvernement mexicain qui avait ainsi dans l’idée d’accélérer le développement du territoire. Mais les tensions deviennent vives entre ces citoyens américains et les autorités du pays de plus en plus tyranniques. De passage à Anahuac, l’ex-colonel Jim Bowie (Sterling Hayden) est sollicité par ses compatriotes pour obtenir la libération de l'avocat William Travis (Richard Carlson), leur porte-parole récemment arrêté. Bowie ayant combattu aux côtés du général Santa Anna (J. Carrol Naish), l’actuel président du Mexique, il semblait être le choix le plus approprié pour de telles négociations. Et en effet Bowie obtient la délivrance de Travis qui, aussitôt libéré, tente de convaincre les colons de créer une milice et de lutter contre le pouvoir despotique de Santa Anna. Bowie, voulant rester neutre et d'abord prudent concernant l'indépendance du Texas, s'attire la méfiance des plus virulents des colons, d'autant plus que sa femme est mexicaine et qu'il est devenu un riche propriétaire terrien…

Analyse et critique

L'idée d’un film sur le siège d’Alamo avait germé depuis quelques années dans la tête de John Wayne qui chercha dès 1950 à y intéresser Herbert J Yates, le patron du petit studio Republic pour qui il avait tourné à de nombreuses reprises avec quelques chefs-d’œuvre à la clé tel le sublime La Charge héroïque (She Wore a Yellow Ribbon) de John Ford. Il souhaitait ardemment s’atteler à ce projet dont Johnny Weissmuller aurait été l'interprète principal. Les deux hommes ne parvinrent pas à s'entendre ; John Wayne quitta le studio alors que Yates poursuivit l’idée, produisant en 1955 The Last Command (Quand le clairon sonnera). Le film sera réalisé par Frank Lloyd avec, pour interpréter les trois officiers qui périrent lors de l’assaut final, Arthur Hunnicut dans le rôle de Davy Crockett, Sterling Hayden dans celui de Jim Bowie et enfin Richard Carlson incarnant William Travis. La sortie de ce western à gros budget (tout du moins pour la Republic) ne découragea pas pour autant John Wayne qui continua de son côté à travailler sur son projet de bien plus ample envergure, une production qu’il voulait beaucoup plus prestigieuse et ambitieuse et dont on connait le résultat tout à fait exceptionnel tourné dans les mêmes décors que son prédécesseur, à Bracketvillle, Texas. Au vu de ce chef d’œuvre célébré autant par la critique que par le public, il ne faudrait pas pour autant dénigrer le film de Frank Lloyd (dont ce sera le dernier titre de la filmographie) qui s’était avéré également être une jolie réussite sans néanmoins avoir – tout du moins en France - marqué les esprits malgré les moyens considérables déployés par la Republic (probablement son film le plus couteux).

Frank Lloyd, né en Ecosse, encore aujourd’hui assez peu connu, fût très prolifique, que ce soit en tant que réalisateur, producteur, scénariste et même acteur, jouant dans plus de 60 films à l’époque du muet. De sa centaine de films derrière la caméra, il ne reste aujourd’hui, vu de l'Hexagone, plus que très peu de titres passés à la postérité à l’exception de sa version des Révoltés du Bounty avec le duo inégalable Clark Gable/Charles Laughton, très belle réussite du film d’aventures qui a marqué un nombre considérable de jeunes cinéphiles en herbe lorsqu’ils le découvrirent à la télévision durant les années 70. Il est également reconnu outre-Atlantique pour ses nombreuses adaptations littéraires et remporta deux Oscars au cours de sa longue carrière qu’il termine avec un certain panache au vu du western qui nous concerne ici. Dès le générique, l’on est conquis par la chanson ‘Jim Bowie’ interprétée avec talent par Gordon MacRae et écrite par un Max Steiner très inspiré qui nous délivrera tout du long une bande originale ne manquant pas de lyrisme et notamment un très joli thème d’amour, la charmante comédienne Anna Maria Alberghetti l’ayant certainement inspirée ; le compositeur lui permettra d’ailleurs à l'occasion d'une séquence de nous faire profiter de sa belle voix de soprano. Dommage que cette ravissante actrice n’ait pas fait une plus grande carrière, ici très convaincante aux côtés de Sterling Hayden pour une romance certes assez classique mais cependant très attachante. Pour en rester sur Steiner, il réécrira aussi pour l’occasion un ‘El Deguello’ (la mélodie mexicaine qui préfigure une bataille dont le but est de ne laisser aucun survivant) très différent de celui sublime et déchirant de Dimitri Tiomkin entendu dans Rio Bravo et Alamo.

Le film de Frank Lloyd est basé essentiellement sur le personnage de Jim Bowie alors que John Wayne fera de David Crockett son principal porte-parole. Guère plus fidèle aux faits historiques que John Wayne, le scénariste Warren Duff s’avère cependant un peu moins manichéen par le fait que les camps adverses aient tous deux droits à la parole, qu’ils soient décrits avec humanité, chacun avec leurs nobles buts, leurs sincères arguments mais aussi leurs mesquineries, et que l’on expose avec clarté les tenants et aboutissants du conflit, avec concision et fluidité les enjeux politiques, les motivations et points de vue respectifs. Jim Bowie est présenté comme un citoyen mexicain ayant épousé une fille du pays et combattu pour l’indépendance du Mexique aux côtés de Santa Anna de qui il s’est fait un ami : une situation fantaisiste mais bien pratique pour rendre l’intrigue plus équivoque. Ceci rend en effet les relations de Bowie avec le futur dictateur assez captivantes, refusant au début de prendre parti pour un camp ou l’autre, profitant de sa neutralité pour jouer les médiateurs avant de de rallier la cause des colons américains qui veulent créer une milice et exhorter à la révolte au vu du changement de tempérament de l’homme politique mexicain. Une décision difficile d’autant qu’il sait son choix extrêmement dangereux voir suicidaire connaissant parfaitement bien la puissance de l’armée adverse et la détermination de son chef. Tout aussi intéressants les rapports qu’il entretient avec les Américains, méfiants envers lui du fait de son intégration et ses attaches mexicaines dont principalement son amitié avec celui qui veut désormais se frotter à eux.

Une première heure totalement dévolue à la situation politique, presque exclusivement constituée de dialogues cependant jamais ennuyeux, une histoire d’amour venant néanmoins s’y inviter, non dépourvue d'un certain charme dû particulièrement à l’alchimie qui se dégage entre les deux comédiens dont un Sterling Hayden doté d’une belle prestance. Cette romance n'en sera que plus déchirante puisque se mettant en place après que Bowie ait perdu femme et enfants emportés par une épidémie. Quant à la deuxième partie, c’est celle du siège et de l’assaut dont les séquences mouvementées ont été très efficacement mise en boite par une seconde équipe dirigée par William Witney qui a accompli en l’occurrence un travail assez remarquable, sachant aussi bien diriger son importante figuration qu'apporter du réalisme et une violence assez sèche à l’ensemble. A la fin du film, Sam Houston annonce la chute du bastion d’Alamo et jure de venger les 187 résistants assiégés et sacrifiés ; c’est ce que Byron Haskin nous montrera en 1956 dans son film The First Texan (Attaque à l’aube). En attendant, Quand le clairon sonnera et le Alamo de John Wayne sont deux films différents dans le fond comme dans la forme mais au final assez complémentaires pour bien appréhender cette passionnante page de l’histoire des États-Unis, les citoyens américains du Texas voulant se libérer de la surpuissance mexicaine. A signaler qu’une partie non négligeable du casting du génial Johnny Guitar se retrouve à entourer à nouveau Sterling Hayden dans cet attachant western historique qui certes manque un peu de puissance dramatique mais qui mérite d’être sorti de l’oubli tout autant par sa sagesse que par la richesse dans la peinture de personnages souvent ambivalents.

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La fiche IMDb du film

quand le clairon sonnera
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Sortie le 12 février 2025
éditions Sidonis

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Par Erick Maurel - le 26 février 2025