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Critique de film
Le film
Affiche du film

Les Horreurs de Frankenstein

(The Horror of Frankenstein)

L'histoire

Le jeune Victor Frankenstein n’hésite pas à occire son propre père quand celui-ci refuse de financer ses études de médecine... et il ne s’arrête pas en aussi bon chemin. Ayant réussi à ressusciter, grâce à l’électricité, une tortue préalablement tuée par ses soins, il décide de passer à l’étape suivante et réunit progressivement, avec l’aide du croque-mort de la ville, toutes les « pièces » nécessaires pour composer une créature à laquelle il entend donner vie. Et malheur à ceux qui prétendent s’opposer à son projet. Seulement, le résultat n’est pas tout à fait à la hauteur de ses ambitions.

Analyse et critique

Si Dracula et Frankenstein sont des héros aussi récurrents dans l’histoire du cinéma, c’est parce que, comme l’ont fait remarquer certains commentateurs, tous deux peuvent être vus comme une métaphore du cinéma lui-même. En buvant le sang de ses victimes, le premier s’empare de leur vie tout comme la pellicule s’approprie l’image des sujets filmés, qu’elle fait alors entrer dans la catégorie des undead, puisqu’ils pourront revivre, éternellement ou presque, sur un écran entouré de ténèbres. Quant au docteur Frankenstein, il accomplit un travail d’assemblage qui évoque furieusement celui d’un monteur : le jeu consiste à réunir des éléments a priori disparates pour créer une continuité et un mouvement qui sont ceux du vivant.

Ce lien quasi mythique entre ces personnages et leur support incite à penser qu’on les verra revenir très régulièrement longtemps encore, et avec d’infinies variations, mais, à la fin des années soixante, la Hammer, qui s’était assuré plusieurs beaux succès après les avoir ressuscités douze ans plus tôt, ne savait plus très bien quoi faire d’eux. Manquant d’inspiration mais refusant de l’admettre, elle opte alors pour une politique de renouvellement partiel. Si le rôle de Frankenstein, jusque-là réservé à Peter Cushing, est confié au jeune Ralph Bates (ce descendant de Louis Pasteur venait, la même année, d’incarner un disciple de Dracula dans Une messe pour Dracula), le scénario et la réalisation des Horreurs de Frankenstein échoient à Jimmy Sangster, vieux scénariste maison. Sangster, que ce projet n’enthousiasmait guère et qui n’a accepté de participer à l’aventure que parce qu’on lui offrait la double casquette de scénariste et de metteur en scène, choisit de s’acquitter de sa tâche en livrant une espèce de remake parodique de Frankenstein s’est échappé et de La Revanche de Frankenstein, écrits par lui-même et réalisés par Terence Fisher en 1957 et 1958. Choix audacieux... ou choix prudent, puisque l’auto-ironie permet de devancer les critiques de tous ceux qui jugeraient la copie inférieure aux originaux.

Il y a toujours eu, par définition, une composante grotesque dans le mythe de Frankenstein, mais le mot grotesque prend hélas ici essentiellement sa valeur péjorative : inutile de chercher du sublime là où on ne trouvera que du ridicule. Témoin, par exemple, cette séquence où Frankenstein voit littéralement apparaître sur le front de son interlocuteur le chiffre correspondant au cerveau dans le diagramme placardé dans son atelier et représentant les différentes « sections » de la créature qu’il est en train de composer avec la complicité d’un récupérateur de cadavres. On devine que le verre de vin qu’il offre à cet interlocuteur quelques instants plus tard ne contient pas seulement du vin...

Mais peut-on s’amuser d’un bout à l’autre avec le mythe de Frankenstein ? Même si l’humour noir, la black comedy sont des genres reconnus, le comique se heurte ici à une difficulté théorique : alors que - relisons Le Rire de Bergson - son essence peut se résumer à la formule « du mécanique plaqué sur du vivant » (ou, légère variante, « du mécanique dans du vivant »), la créature de Frankenstein n’est-elle pas exactement l’inverse, à savoir « du vivant plaqué sur du mécanique » ? C’est cet aspect que Mel Brooks a su prendre en compte dans son Frankenstein Junior : la parodie chez lui n’exclut en aucun cas l’émotion. Qui ne partage pas l’exaltation de Gene Wilder lorsque celui-ci, découvrant tout d’un coup et reconnaissant le génie de son ancêtre, hurle : « My name is Frankenstein ! » [et non plus Fron-kon-stine] ?

Le docteur Frankenstein a toujours été cynique et n’a jamais hésité, en tout cas au cinéma, à occire de malheureux innocents pour mener à bien ses travaux et donner vie à sa créature, mais ce cynisme, ce dédain de la morale la plus élémentaire trouvent normalement un embryon de « justification » dans la folie qui est celle des savants hantés par leur projet. Or Ralph Bates affiche dans Les Horreurs de Frankenstein un détachement souverain à l’égard de tout, y compris de lui-même : père, ami, maîtresse(s), serviteur sont évidemment expédiés outre-tombe sans l’ombre d’un scrupule, mais c’est tout juste si lui-même s’anime un peu lorsqu’il se retrouve face à sa créature. Il est vrai que celle-ci est incarnée par Dave Prowse, bien plus expressif, sept ans plus tard, avec son casque de Darth Vader sur la tête qu’il ne l’est ici avec son vrai visage. Et lors de la catastrophe finale, que nous ne révélerons pas, seul un sourire légèrement désabusé viendra nuancer la désinvolture du créateur.

Les bonus du coffret Hammer tome 2 nous invitent à saluer la distanciation toute brechtienne avec laquelle est traitée cette histoire. C’est une manière d’envisager les choses. Mais on peut voir aussi dans les outrances cinématographiques de ces Horreurs les héritières directes du Théâtre du Grand-Guignol, avec toute la gratuité que cela peut impliquer. L’horreur est un genre intéressant, voire légitime, quand entre en jeu la question de l’identité : c’était le cas avec le Psychose de Hitchcock, bien sûr, et c’est aussi ce vers quoi tendaient, à travers une déclinaison de transferts de personnalités, tous les Frankenstein interprétés par Peter Cushing (dont, soit dit en passant, les traits émaciés, et dès son jeune âge, faisaient mieux comprendre son désir de recréer la vie à tout prix). Si l’on veut être vraiment ému, c’est d’abord Le Retour de Frankenstein qu’il convient de revoir.

Retenons cependant de ces Horreurs de Frankenstein Jon Finch, dans le rôle épisodique mais marquant, du lieutenant finissant par comprendre que le monstre aperçu par certains au cœur de la forêt n’est pas le produit d’une hallucination. Finch allait jouer l’année suivante dans un vrai film d’horreur - le Macbeth de Polanski.

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La fiche IMDb du film

Par Frédéric Albert Lévy - le 14 janvier 2021