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Critique de film
Le film

Les Cloches des profondeurs

(Glocken aus der Tiefe - Glaube und Aberglaube in Rußland)

L'histoire

Au nord de la rivière Yenisei, en Sibérie, Werner Herzog rencontre différentes personnes qui lui font part de leur croyances religieuses. Rites orthodoxes, chamanisme, paganisme, sorcellerie, exorcisme, fantômes et cités englouties se côtoient lors de ce voyage dans le mystère de la foi.

Analyse et critique

Ce film est une nouvelle occasion pour Herzog, après Le Sermon de Huie, d’explorer les manifestations de la foi. Après avoir posé sa caméra du côté du "maître de cérémonie", il s’intéresse cette fois aux croyants, à leur pratiques et leur ferveur religieuse.

Werner Herzog se rend en Russie, plus précisément en Sibérie, dans le territoire qui s'étend au nord de la rivière Yenisei. Le film s’ouvre sur deux hommes qui rampent à la surface d’un lac gelé, comme s'ils cherchaient quelque chose qui se trouverait caché sous la pellicule de glace. Le cinéaste ne nous donne aucune explication, nous laisse avec nos questionnements, et passe à tout autre chose en filmant un chanteur face caméra. De lui émane non pas une voix, mais deux qui se répondent parfaitement. La fixité de l’homme avec en arrière-plan la rivière qui défile en charriant des blocs de glace crée un étrange effet de désynchronisation, comme ce double chant qui émane d'un même corps. Après avoir suivi une famille venue recueillir les prières d’un Chaman, on retrouve le chanteur, cette fois accompagné d'un autre jeune homme. Les multiples voix qui se mêlent aux accords d’un instrument à corde forment un étrange et improbable orchestre.

Herzog avance ainsi, de rencontre en rencontre, s’intéressant non pas aux croyances de ces habitants de Sibérie, mais à ce que celles-ci provoquent en eux. On croise ainsi un rédempteur, un mystique qui se dit être l’incarnation « des mots de Dieu », des participants à un baptême orthodoxe, un guérisseur qui fait de la transmission d’énergie cosmique, un sorcier qui pratique une séance d’exorcisme collectif… Dans cette partie de la Sibérie, les différentes croyances ne sont pas clairement séparées. Le culte du dieu unique côtoie des rites plus anciens, païens ou chamaniques, mysticisme et superstition se mêlent à des pratiques plus orthodoxes. Ce syncrétisme permet à Herzog d'évoquer le besoin qu'ont ces gens de croire. Ce qui lui importe ce ne sont pas les chapelles, la description des différents cultes, mais bien de montrer que ces hommes et femmes cherchent dans la foi un moyen de guérir leurs blessures. Tous ont des histoires terribles à raconter et croire est pour eux un moyen de colmater des brèches, de remplir ce vide qui sinon les aspirerait.

Herzog ne prend pas partie en tant que narrateur, il ne fait que traduire les paroles des personnes qu'il croise. C’est la juxtaposition des scènes qui peu à peu crée du sens. L’effet de la foi, cela peut être une lueur de bonheur passagère dans les yeux d’un homme meurtri (Youri, le joueur de cloches, qui raconte son histoire d’orphelin de guerre et le plaisir aujourd’hui pris à partager son amour de Dieu par la musique) ou la beauté d'un choeur religieux. A Zagorsk, tombeau de Saint Sergei, Herzog filme pendant près de dix minutes un rite religieux, une scène magnifique portée par un chant liturgique orthodoxe. Mais la foi ce peut être aussi une lueur de folie dans les yeux d'un dévot, une femme prise de démence car elle se croît possédée, de vieilles personnes qui rampent sur le sol à la recherche de traces laissées par Dieu....

Herzog est toujours ambivalent dans son rapport à la religion et lorsqu’une vieille dame raconte l’histoire de Kitezh, une cité engloutie par un Archange dans un lac sans fond, il ne manque pas d’introduire un contrepoint ironique à cette légende. On retrouve ainsi les deux hommes rampant sur la glace au début du film mais l'on comprend, cette fois, qu'il s'agit simplement de deux poivrots dénichés par le cinéaste au café du coin et non des Russes en transe cherchant la cité engloutie. Herzog évoque les débordements de la foi, la part de folie des croyants, mais dans le même temps il fait montre d'une certaine tendresse pour cette forme d’extase. La croyance sous toutes ses formes est une tentative de l'homme de s’élever au-dessus de sa condition terrestre, d'oublier ses malheurs, les faiblesses du corps, l'absence de sens de l'existence. Tentative certes illusoire et vaine mais que Werner Herzog comprend. Les Cloches des profondeurs est un film étrange, qui ne se place ni dans la critique ni dans la fascination, une film qui nous invite simplement à faire un voyage dans le mystère de la foi.

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Par Olivier Bitoun - le 9 juin 2011