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Critique de film

L'histoire

Alexis Tremblay, le conteur de Pour la suite du monde, se rend en France sur la piste de ses ancêtres. Pierre Perrault le suit à Tourouvre, où se trouve la ferme des premiers Tremblay. Il filme Alexis, sa femme Marie, et Léopold qui découvrent le quotidien de ce petit coin de France et, de l’autre côté de l’Océan, le Québec.

Analyse et critique

La poésie est particulièrement prégnante dans Le Règne du jour. Le dispositif, très simple, met en parallèle la vie au Québec et celle de cette région du Perche où les Tremblay se rendent en pèlerinage. « Vu que c’est demandé par un Tremblay… et que c’est pour aller voir des Tremblay »… après quelques hésitations, Alexis accepte la proposition de se rendre en France pour rencontre leurs cousins du continent, remonter à la source de la famille et se faisant de l’histoire de l’Île-aux-coudres. Accompagné de sa femme Marie, de Léopold et de son épouse, les voici partis à la recherche du berceau des Tremblay. Ce passé passe d’abord par des traces écrites, actes de naissances, de mariages, éléments éparses de la vie de Pierre, le premier des Tremblay qui partira au Québec. Mais ces documents disent peu de choses sur l’histoire des Tremblay, ils manquent de vie, de sève. Alexis recherche des traces qui éveilleraient quelque chose : les ruines d’une ferme ayant appartenu aux premiers Tremblay, un champ qu’ils ont cultivé. Mais à leur contact, le passé ne s’incarne toujours pas. Il faut que la parole, de nouveau, investisse le film pour que la vie de nouveau déborde. C’est Grand Louis et Alexis, formidables conteurs. C’est une poésie qui naît des mots, des expressions, des accents : la pitoune ou le radoub là bas au Québec, « c’est pas de la charpette ! » ou une tance dans le Perche. Ces langues qui se répondent, ces mots qui se rencontrent créent cette rencontre à laquelle nous invite Perrault. Ce sont également des chansons, les unes québécoises sur le voyage en France, les autres françaises sur les cousins canadiens. Des paroles se croisent, des rythmes se répondent, des cultures se parlent au-delà des océans.

Perrault ne réalise pas un film nostalgique sur une mère patrie fantasmée, il met en place un dialogue entre les deux pays. Après avoir relié l’île à son histoire, à ses traditions, Perrault tisse un lien non plus seulement temporel mais également géographique entre les habitants de l’île et leur passé. Un lien culturel également. Ainsi les Tremblay et les habitants de la Normandel comparent leurs modes de vie. En Normandel les fermes sont louées, alors que tous sont propriétaires à l’Île-aux-coudres. Il y a des tracteurs, mais pas d’eau courante partout. Les enfants sont plus « portants » en France qu’à l’Île, on ne tue pas le cochon de la même manière. Mais ces différences ne font que les rapprocher. Paysans du Perche ou paysans de l’île, ils conçoivent leur métier, leur rapport à la terre de la même façon. Perrault nous montre comment ces paysans qui se rencontrent prennent conscience d’appartenir, d’un bord à l’autre de l'Atlantique, à une même classe sociale. Ceci passe parfois par des détails (la vessie de cochon utilisée pour faire des blagues à tabac des deux côtés de l’Atlantique), mais c’est en profondeur que l’on ressent les liens étroits entre ces hommes et c’est le langage qui une fois de plus les rapproche. Lorsque les Tremblay vont assister à une chasse à courre à l’invitation d’un garde-chasse, ils n’apprécient guère ces aristocrates qui ne daignent même pas leur adresser la parole. Ils sont surpris d’entendre le garde-chasse leur raconter comment ces grandes familles furent décimées lors de la Seconde Guerre mondiale, nombre d’entre elles s’étant illustrées dans la résistance. Le garde-chasse lui-même, prisonnier au camp de Buchenwald, fut témoin de la manière dont certains de ces aristocrates, arrêtés et envoyés dans le même camp, ne purent survivre. Repliés sur eux-mêmes, préférant se retrouver entre gens de leur rang, car ayant du mal à converser avec des ouvriers ou des paysans, ils ne purent apprendre des autres quelques rudiments leur permettant d’avoir une chance de survivre.

Ce retour vers le passé (la vie des ancêtres Tremblay, la guerre, Jacques Cartier, des photos de Marie jeune…) est comme un refuge pour Alexis, terrassé par son incompréhension du monde moderne et par la peur du futur. Sa manière de rejeter un présent qu’il ne comprend pas (« Le peuple est à la folie Marie ! Le luxe… mais on vit moins bien qu’avant je te dis ! ») entraîne d’innombrables bagarres avec Léopold. Marie explique qu’« il a toujours été vieux… alors avec l’âge… ». Le film est construit sur des échos, des éléments qui se répondent, font musique. Le montage nous transporte de l’Île-aux-coudres à la France, des Tremblay en France à leurs préparatifs du voyage ou leur retour sur l’île, des habitants du Perche à ceux restés sur l’Île-aux-coudres, le tout au gré des paroles qui surgissent devant la caméra. Très découpé, Le Règne du jour rapproche ainsi les deux pays, les deux cultures, abrogeant les frontières et les milliers de kilomètres par la grâce du montage, réinventant un territoire commun aux hommes. Le film, en accompagnant le langage et les mots, les pensées et les souvenirs des personnages, virevolte, prend constamment des chemins de traverse, des sentiers buissonniers. La liberté du film nous fait éprouver une joie immense, nous fait renouer avec le plaisir de la découverte.

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Par Olivier Bitoun - le 20 juillet 2007