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Critique de film
Le film
Affiche du film

Le Masque du démon

(La Maschera del demonio)

L'histoire

Au 17ème siècle, la sorcière Asa et son amant Igor, accusés de vampirisme, sont mis au supplice mais promettent une vengeance éternelle à leurs tortionnaires. Deux siècles plus tard, la malédiction se réalise : les vampires reviennent à la vie et recommencent à semer la terreur et la mort...

Analyse et critique

Le Masque du démon est la première réalisation « officielle » d’un Mario Bava cependant loin d’être un novice. C’est un enfant de la balle qui emboîtera le pas à son père, passé de sculpteur à chef-opérateur sur des productions italiennes. Mario Bava au fil de ses expériences va également occuper ce poste de chef-opérateur en se spécialisant sur les effets spéciaux, ses études aux Beaux-Arts servant grandement le traitement des images par la lumière. Il accompagne les premiers pas du néo-réalisme en signant la photo de court-métrages puis du long Le Navire blanc (1943) réalisé par Roberto Rossellini, puis le plus populaire néo-réalisme « rose » dans des comédies comme Gendarmes et voleurs de Mario Monicelli ou Boulevard de l’espérance (1953) de Dino Risi. Ce sera cependant, à l’instar d’un Sergio Leone à la même période, pour son brio sur les productions hollywoodiennes délocalisées telle Esther et le Roi (1960) de Raoul Walsh, ou le cinéma italien de genre sur Les Travaux d’Hercule et sa suite Hercule et la reine de Lydie de Pietro Francisi (1958 et 1959), qu’il se fait remarquer par la célérité de son travail et son style visuel baroque. Il est ainsi le co-réalisateur officieux de deux films laissés inachevés par un caractériel Riccardo Freda, en conflit avec ses producteurs, Les Vampires (1957) et Caltiki, le monstre immortel (1959). C’est donc en remerciement de ces désastres financiers évités tout en livrant des œuvres de qualité que les producteurs lui offrent la possibilité de réaliser son premier film officiel.


Bava jette son dévolu sur le conte Vij écrit par Nicolas Gogol en 1835. Le film sera l'une des premières productions gothiques italiennes (voire la première dans un cadre d’époque puisque Les Vampires, dans cette veine, se déroule à l’époque contemporaine). Mario Bava va signer une synthèse parfaite de ce courant cinématographique, convoquant autant l’expressionnisme allemand, les productions Universal que les plus récentes approches à succès de la Hammer. Il y apporte cependant sa patte visuelle et une vraie identité latine en faisant siennes toutes les figures de ces prédécesseurs. L’atout principal est l’indéniable sens de l’atmosphère du réalisateur, qui frappe dès une entrée en matière d’anthologie. L’ambiance se fait morbide, étouffante et inquiétante le temps d’un prologue où la sorcière Asa (Barbara Steele) est vouée au bûcher pour sorcellerie. Les cadrages et la stylisation de la photo font basculer le décor dans le pur cauchemar abstrait, les gros plans saisissants sur le visage déformé de haine d’Asa jouent sur le grotesque et cet expressionnisme, tandis que le macabre sanglant glace avec l’apparition du fameux masque. Cette introduction nous a exposé crûment le Mal, qui se manifestera de manière plus insidieuse par la suite. Dès le sacrifice d’Asa et l’ellipse deux siècles plus tard, la caméra de Bava adopte des mouvements à la Orson Welles, décorrélés de tout point de vue logique et humain. C’est une manière de créer un sentiment de paranoïa, de peur indicible, où la nature inconnue du regard crée une anxiété qui fait ressentir la menace avant de la voir. Tout le cheminement du récit consiste à progressivement re-matérialiser ce Mal flottant dans l’air. Les éléments d’ambiances tels que le vent, les portes qui claquent et les arbres qui bruissent amorcent la bascule tandis que les personnages découvrent ou prennent conscience du passif du monde occulte qui les entoure. Une crypte inquiétante met à mal la rationalité des Docteur Gourbec (John Richardson) et Krouvajan (Andrea Checchi) qui réveillent malgré eux la sorcière, alors que Katia (Barbara Steele) et sa famille voient tout simplement un environnement s’altérer avec ce regain du Mal, notamment le tableau à la composition changeante. Le brio formel de Bava excelle particulièrement à traduire la porosité croissante entre les différents niveaux de réalité.


Ce côté indicible travaille ainsi grandement la menace de l’obscurité. Le réalisateur suscite l’angoisse et l’attente par ces longs plans de décors plongés dans une pénombre plus ou moins profonde, dont les créatures laissent surgir une main décharnée ou un visage hagard. Parfois la frayeur agit aussi par une pure idée poétique comme lorsque l’éclairage laisse peu à peu découvrir des spectres dans les ténèbres et les fait avancer à coups de purs effets photographiques, dans une vraie sidération d’épouvante.  Bava n’en oublie pas pour autant d’offrir un film sanglant et réellement organique. La lente reconstitution du visage squelettique d’Asa est une merveille d’imagerie du dégoût, faisant ressentir l’anormalité et la monstruosité de ces tissus reprenant vie. Les producteurs souhaitaient que le film soit tourné en couleur pour faciliter la parenté du film avec les productions Hammer auprès du public. Bava préféra le noir et blanc pour accentuer justement cet aspect sanglant et putride que la couleur ne permettait pas, et surtout pour mieux utiliser certains de ses trucages fétiches. L’un des moments les plus impressionnant des Vampires était l’effet de vieillissement instantané d’un personnage en un plan, donnant le sentiment d’avoir vu un morphing avant l’heure. Le principe reposait sur un maquillage aux éléments pouvant être plus ou moins mis en valeur par l’usage de lumières rouges et vertes spéciales qui donne cet incroyable moment de métamorphose instantanée. Cet effet est repris avec le même brio dans Le Masque du démon quand Asa cherche à aspirer la vie de sa descendante Katia.


L’histoire, qui suit un déroulé de récit gothique relativement convenu (notamment dans sa romance), est ainsi totalement transcendée par la mise en scène de Bava. Barbara Steele voit sa beauté singulière utilisée avec brio par le réalisateur qui joue de son visage anguleux, de ses grands yeux expressifs et de sa silhouette gironde au gré de son incarnation dans ce double rôle pour attiser la peur, le désir, la compassion ou le dégoût. Coup d’essai et coup de maître, donc, pour Mario Bava qui saura poser cette esthétique, ce stupre et cette identité dans d’autres films gothiques - Les Trois visages de la peur (1963), Le Corps et le fouet (1963), Opération Peur (1966) -, l’étendre dans des genres plus inattendus - le péplum Hercule contre les vampires (1961), le film d’aventures La Ruée des vikings (1961) -, puis les convier sur des territoires novateurs du cinéma de genre avec les proto-gialli La Fille qui en savait trop (1963), Six femmes pour l’assassin (1964) et même le slasher sur La Baie sanglante (1971).

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 28 mars 2022