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Critique de film
Le film
Affiche du film

Le Marchand des quatre saisons

(Händler der vier Jahreszeiten)

L'histoire

Dans les années 50, Hans, fraîchement revenu de la Légion Etrangère, monte un commerce de fruits et légumes. Rejeté par sa famille, incompris, Hans est d'humeur de plus en plus sombre.

Analyse et critique

"Mais ils ne sont pas heureux. Ce qui leur manque, c'est l'amour."
Rainer Werner Fassbinder, Mirage de la vie : sur les films de Douglas Sirk

Irm Hermann (sosie allemand de Margaret Thatcher) rajustant son porte-jarretelles à l'ombre d'une cour, ça résume presque tout le film : un érotisme et donc un espoir mort-nés. Etouffé. Si l'on se fie à la chronologie, ce film est le premier réalisé par Fassbinder après qu'il ait reçu sa visitation sirkienne – on lira avec profit l'article faussement candide qu'il a écrit après cette vision. Elle porte ses fruits : cela se voit et ne se voit pas. Le film est plus coloré que l'ordinaire fassbindérien, mais en plus pastel que flamboyant technicolor. Premier succès commercial RWF, ce Marchand évoque surtout une version provinciale, prolo de Ecrit sur du vent (1) de Sirk, située comme pour ce dernier dans les années 50. En cela, il se veut plus direct sans pour autant se renier, raconté avec des moyens simples tout en étant lourd de sens. Ainsi, par contrainte (budgétaire), la reconstitution de l'Allemagne après-guerre dans le film n'est pas entièrement fidèle : on est dans un monde de cuisines et de coiffures de l'ère Adenauer, de téléphones des années 70 et où certains personnages ont des noms de nazis célèbres (2). L'Allemagne d'hier et d'alors. Avec ce Marchand, Fassbinder esquissait lentement son projet de généalogie d'un pays. Le drame est celui d'un homme et d'une époque que l'auteur juge particulièrement mesquine et petite-bourgeoise.

Le début du film pose le sujet, ouvre la plaie : Hans retrouve sa mère qui l'accueille froidement. "Ce sont les meilleurs qui s'en vont, il n'y a que des gens comme toi pour revenir", lui dit-elle. Contrairement à la plupart des héros fassbindériens, Hans – en s'engageant dans la Légion Etrangère - a pu un temps s'évader d'un monde de plomb. Mais il a eu le malheur de revenir. Le malaise existentiel de Hans (Hans Hirschmüller, impressionnant en ours sensible) est au cœur de ce grand mélo cru et sensuel, où l'on est coincé entre une famille méprisante et des souvenirs, des regrets de ce qui aurait pu être. Fassbinder a de l'empathie pour Hans et les personnages, des gens ni bons ni mauvais. On bat sa femme et on est la victime pathétique d'une crise cardiaque. D'un Hans violent mais blessé par la vie à sa sœur certes sympathique mais éloignée de lui par son éducation, on les comprend sans vraiment les juger.

Miroirs, scènes d'attente, silences : on est bien chez RWF. Le film fonctionne constamment sur le mode du décalage : décalage de Hans face à un monde où il se sent déplacé, contraste entre son corps massif et la ritournelle italienne légère, lumineuse qu'il écoute par nostalgie. Quand le quotidien mortifère de Hans menace d'achever le spectateur, Fassbinder glisse une scène en contrepoint, comme les apparitions littéralement angéliques d'Ingrid Caven ou un flash-back étrangement masochiste à la Légion Etrangère. La force du film, outre sa trajectoire claire vers le destin de Hans (3), est d'alterner ces instants très violents et délicats, de nuancer le genre mélodramatique jusqu'à brouiller les conventions de fin malheureuse ou non. Dans Le Marchand de Quatre Saisons, on ne distingue plus l'automne du printemps.


(1) L'alcoolisme désespéré de Hans – inspiré aussi d'un oncle de RWF selon ce dernier - renvoie à celui de Robert Stack dans Ecrit sur du vent. Sa promenade nostalgique au bord d'une rivière rappelle fortement celle de Dorothy Malone dans le film de Sirk.
(2) L'avocat de Hans s'appelle Von Schirach, comme le chef des Jeunesses Hitlériennes.
(3) Selon Thomas Elsaesser, la séquence initiale avec la mère démontre qu'elle ne pourra l'aimer tant qu'il sera vivant.

DANS LES SALLES

CYCLE FASSBINDER 1ère PARTIE

DISTRIBUTEUR : CARLOTTA
DATE DE SORTIE : 18 avril 2018

Présentation du cycle

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Leo Soesanto - le 27 octobre 2006