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Critique de film
Le film
Affiche du film

Le Droit du plus fort

(Faustrecht der Freiheit)

L'histoire

Franz Biberkopf, dit Fox, forain chômeur, gagne le gros lot au loto. Grâce à Max, un antiquaire qu'il a dragué, il est vite introduit chez les bourgeois homosexuels allemands. Franz est bientôt subjugué par l'un d'eux, Eugen, qui essaie de l'éduquer un peu tout en se servant dans son compte en banque…

Analyse et critique

Le film est notable pour son ton comique un peu plus prononcé - une nouveauté chez Fassbinder. De la scène de la chaussette à celle du guichet de banque, tout cela reste bien sûr à froid. Fassbinder y joue pour la dernière fois dans sa filmographie [depuis la mise en abyme de Prenez garde à la Sainte Putain] un rôle principal. Il avait jusque là mis en scène des transpositions masculines ou féminines de lui-même plus ou moins précises : mais le parcours de Franz "Fox" Biberkopf dans le film, prolo aimé/haï par la bourgeoisie, peut rappeler le rapport de Fassbinder avec l'établissement culturel, sa peur d'être récupéré, dilué dans les conventions que lui-même dénonçait. De même, Fassbinder avait déjà évoqué les homosexuels dans ses films, mais il le fait ici de manière frontale, naturaliste [les sexes, les bars, le tapin dans les toilettes, les saunas, le tourisme sexuel au Maroc]… ce qui a déplu à quelques homosexuels, allemands ou non. Horreur : culture et bon goût de l'homosexuel seraient-ils maquillage social ? A voir Eugen, caricature wildienne vide mais présentant bien, c'est possible.

Le fond du film reste familier : propriété amoureuse, aliénation, fossé social, un Petra Von Kant certes ouvert mais qui s'étire un peu d'autant qu'on sait que l'histoire va très mal se finir. La scène de la signature du contrat liant Fox à la société d'Eugen peut alors s'envisager au début comme un mariage civil, tournant au pacte tranquille avec le diable. Il y a du masochisme dans la manière dont Fassbinder charge, humilie son personnage, naïf riche et aveugle mais trop sensible, face à la conspiration qui se noue autour de lui. Et du masochisme donc chez le spectateur, amené à s'identifier au pauvre Franz, à le regarder chuter, parce qu'il a voulu rester lui-même, ce type "à l'intelligence animale" qui s'en fiche de prendre du blanc avec son poisson. Mais après tout, c'est un mélodrame, non ? Cela signifie que cela fonctionne [Fassbinder a tiré son scénario de la mésaventure réelle d'un de ses colocataires, patron de bar ayant gagné au loto]. SPOILER Franz mourra donc seul et ruiné, et la scène finale où deux gamins dépouillent son cadavre en dit long sur la confiance de Fassbinder dans la jeune génération


Que retenir du film? Que Fassbinder n'est pas un cinéaste littéralement "gay" : foutaise puisque ses constats ont force universelle. L'amour, hétéro ou homo, est une constante. Aux protestations des homosexuels face au Droit du plus fort, Fassbinder répondait : "en Allemagne, quand l'homosexualité paraît dans une expression artistique, elle est le thème principal. D'un côté, l'accent est mis sur la répression des homosexuels, et, de l'autre, sur une vue romantique de la vie joyeuse des homosexuels. Personne n'a jamais dit que la vie des homosexuels était régie par les mêmes mécanismes que celle des gens normaux". Ouf ! Les homosexuels sont comme tout le monde [leur oppression n'est que brièvement évoquée au travers d'un problème de bail]. Les parents d'Eugen - un père lucide mais pas trop et une mère détestant Stravinsky - sont ainsi plus gênés par la personnalité brute, l'absence de manières de Fox que par sa relation avec leur fils. Ce qu'attaque RWF, c'est le couple en général : la nécessité d'aimer, d'être à deux, c'est triste. L'entropie à deux, c'est tout aussi triste.

J'aime beaucoup une certaine scène dans Le Droit du plus Fort : Franz et Eugen déambulent dans un centre commercial désert, de fin du monde. Ils sont en train de rompre. Ils descendent les divers niveaux en spirale, accompagnés par un Max silencieux, qui a l'air d'être une apparition, de ne pas être là ou de tenir la chandelle. C'est une constante chez Fassbinder : derrière ses héros ou héroïnes, des personnages figurent en arrière-plan pour les épier, pour peser sur eux, les encadrer comme si les chambranles de porte ne suffisaient pas. La scène se fait l'écho de celle de la drague du prostitué à Marrakech, présence tierce massive faisant ressortir les contradictions des personnages [Fox la victime, le traitant comme un souvenir de souk] mais maintenue derrière la barrière de la langue et de l'argent. Le trio incertain - avec Max, joué par Karlheinz Böhm, voyeur chez Powell - atteint le rez-de-chaussée du centre commercial, sorte d'amphithéâtre où trône un flipper incongru. Cette scène m'inquiète : d'un coup, on est à côté du film. La rupture amoureuse comme cauchemar d'urbaniste.

Je suis d'autant plus inquiet que Fassbinder a confirmé que ce lieu a un jour existé dans l'imagination d'un architecte munichois.

DANS LES SALLES

CYCLE FASSBINDER PARTIE 2

DISTRIBUTEUR : CARLOTTA
DATE DE SORTIE : 2 mai 2018

Présentation du cycle

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Leo Soesanto - le 25 mars 2005