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Critique de film
Le film
Affiche du film

Flic Story

L'histoire

Roger Borniche (Alain Delon) est un inspecteur de police efficace, intègre et profondément humain, qui ne supporte pas les manières un peu trop "énergiques" qu’emploient ses collègues pour faire parler les truands. En septembre 1947, le commissaire (Marco Perrin) lui confie pour mission d’appréhender l’ennemi public n°1 de l’époque, Emile Buisson (Jean-Louis Trintignant), braqueur violent et dangereux qui vient de s’échapper de l'hôpital psychiatrique pénitentiaire de Villejuif. Alors qu’on pensait qu’il se tiendrait tranquille et qu’il allait être difficile à retrouver, non seulement Buisson exécute froidement ceux qui l’ont trahi mais continue à commettre ses cambriolages en semant les cadavres derrière lui en plein Paris. La chasse à l’homme n’étant pas concluante et l’enquête s’éternisant un peu trop au goût du commissaire, on retire l’affaire à Borniche. Ce dernier va néanmoins se retrouver sur le chemin du tueur alors qu’il enquête sur un cas de meurtre qui se révèle être lié au parcours sanglant de Buisson...

Analyse et critique

Hormis quelques titres de Jacques Becker ou Jean-Pierre Melville, tout au long de mes plus de quarante ans de cinéphilie, j’ai rarement vu des polars français être considérés par la critique comme des chefs-d’œuvre du Film Noir, alors que de l’autre côté de l’Atlantique d’innombrables films des années 30 à 70 étaient adoubés comme tels, il est vrai à juste titre pour la majorité. Ce que je lisais du cinéma de Jacques Deray à l’époque de la sortie de ses films ou lors de leurs passages à la télévision était parfois positif mais très rarement enthousiaste, le cinéaste n'étant pour la plupart jugé que comme un bon faiseur et/ou une sorte de sous-Melville. La politique des auteurs en était sûrement un peu responsable : les réalisateurs rangés par cette théorie journalistique dans la case des artisans étaient alors souvent un peu méprisés face aux "vrais artistes". De son côté, le classicisme dans notre cinéma national était lui aussi un peu vilipendé par l'appellation assez péjorative de "qualité française". Heureusement cette différence s’est aujourd’hui un peu aplanie et n’avait d’ailleurs pas vraiment lieu d’être. Mais ce débat s'étant déjà tenu à de nombreuses reprises ici et là, regardons plutôt devant nous ! Car lorsque je revisionne ces jours-ci Flic Story, je m’étonne de la relative tiédeur de l’ensemble de la presse : même si une large majorité s’accordait au moins légitimement pour saluer le métier de Deray - pas grand monde reniait les qualités du film -, cela n’allait souvent malheureusement guère plus loin.


Bref, sans aucun paramètre touchant à la nostalgie, ni par un réflexe de "mémoire courte" comme quoi le cinéma aurait été mieux avant, je n'hésite plus à être dithyrambique concernant certains de nos polars français jadis boudés par l’intelligentsia et je le dis sans détours : je considère Flic Story comme un chef-d’œuvre à l’instar de certains films tout aussi moyennement défendus et qui se rapprocheraient à mon humble avis de ce statut, tels certaines oeuvres de Georges Lautner (Mort d’un pourri), Gilles Grangier (Maigret tend un piège) ou José Giovanni (Le Gitan), autrefois également assez mal lotis. Tout comme les titres cités ci-avant, Flic Story ne devrait pas avoir à rougir face aux plus belles réussites outre-Atlantique signées John Huston, Howard Hawks, Richard Fleischer ou Samuel Fuller pour ne citer que quatre noms peut-être encore connus auprès du grand public. Cela étant dit, le film de Deray étant l’adaptation de l’excellent roman éponyme et autobiographique de l’inspecteur Roger Borniche qui contait cliniquement sa traque de l’ennemi public N°1 après-guerre, il n’y a pas grand-chose à creuser au niveau analytique car l’intrigue est on ne peut plus classique et "se contente" presque tout du long de narrer assez froidement l’enquête qui va amener à la capture du fameux Emile Buisson, d’une manière très linéaire et sans aucun flash-back. D'où peut-être son manque de reconnaissance, beaucoup cherchant absolument au cinéma à trouver quelconque ambition psychologique ou message intellectuel. Mais voilà, l’épure classique peut se révéler donner un résultat parfait et c’est le cas ici d’autant plus que les participants au film ont tous accompli un travail remarquable.

Mais contrairement à ce qu’il pourrait donner à penser, y compris par ma description précédente, et même si Borniche est un pur et Buisson un salopard, le film de Deray n’est pas aussi manichéen, témoin cet épilogue qui voit des relations pleines de respect s’être nouées entre le chasseur et sa proie. Et auparavant, Borniche un peu déprimé au vu de la stagnation de son enquête, se posait la question de savoir s’il n’aurait pas préféré être dans la peau du bandit. Des fragments d’ambiguïté qui rendent le film encore plus riche et passionnant même si les auteurs ne s'appesantissent pas dessus. Borniche fut un inspecteur de police dans les années 40 et 50 qui se mit à écrire pas moins d’une trentaine de livres pour raconter ses exploits, et pas des moindres puisqu’il a participé à la répression du grand banditisme à grande échelle et qu’il prétendait avoir plus de 500 arrestations à son actif, dont celles de pointures comme non seulement Emile Buisson mais aussi René la Canne (qu’interprétera Gérard Depardieu dans le film homonyme de Francis Girod) ou encore Pierrot le fou que Jean-Luc Godard a immortalisé dans son chef-d’œuvre. N’ayant pas relu ce best-seller que fut Flic Story depuis une éternité et ne pouvant le comparer avec le film malgré parait-il sa grande fidélité, Deray a fait en tout cas de Borniche/Delon un policier honnête, minutieux, efficace et profondément humain, par exemple révulsé par les comportements violents de ses collègues quand il s’agit d’interrogatoires des prévenus. Denis Manuel est d’ailleurs excellent dans le rôle inquiétant de cet inspecteur hargneux presque plus antipathique que les truands qui lui passent sous la main.


A l’origine, Delon, producteur du film, souhaitait s’attribuer le rôle de Buisson ; on ne regrette pas qu’il ait changé son fusil d’épaule car l’on voit mal qui aurait pu être meilleur que lui dans ce rôle d’officier de police. Encore une interprétation mémorable de cet immense acteur - on ne le dira jamais assez - dont la filmographie, tout du moins dans cette décennie 70, est impressionnante, succession d’une dizaine d’autres très grands films. Il sera donc Borniche ! Souhaitant en son for intérieur être promu, le policier saute sur l’opportunité qui se présente à lui, celle d’appréhender le plus dangereux malfrat de l’époque qui vient de s’évader et qui continue à égrener les cadavres sur son passage. Le film décrira minutieusement le travail assidu de ce flic méthodique, hors du commun mais pas super-héros pour autant, lui arrivant de craquer ou de douter et même de se remettre en question, préférant le plus possible la réflexion à l’action pour arriver à ses fins. Borniche lui-même a affirmé s’être reconnu à travers le jeu sobre et nuancé d’un Delon magistral. Face à lui, un Jean-Louis Trintignant tout aussi impressionnant dans un total contre-emploi, incarnant ici avec un minimalisme assez glaçant un psychopathe cruel et impitoyable qui n’hésite jamais à jouer de la gâchette, jamais pour blesser mais toujours pour tuer. Un loup solitaire extraordinairement inquiétant avec son regard froid, son mutisme gênant et son sourire carnassier. Un vrai rôle de composition dont le comédien se sort haut la main. Difficile de dire qui des deux acteurs est le plus convaincant tellement ils s'avèrent tout aussi fabuleux l’un que l’autre. Mais pour en revenir à Trintignant, Buisson lui sert l'un de ses rôles les plus marquants ; si jamais vous aviez l'intention de rendre un hommage à ce fabuleux comédien qui vient de nous quitter il y a quelques jours, le 17 juin 2022, c'est l'occasion rêvée.


Borniche et Buisson ne se croiseront qu’à la toute fin, tout d’abord lors de la scène la plus mémorable du film, son point d’orgue, celle assez longue de la neutralisation et de l'arrestation du criminel dans une petite auberge de province, une séquence millimétrée et orchestrée avec génie, un véritable modèle d’écriture, de rythme, de tempo et de construction ! Mais le seul véritable et très rapide face-à-face entre les deux comédiens n’aura lieu que lors de l’épilogue ; pour les admirateurs des deux acteurs, cette attente a pu causer une déception à la hauteur par exemple de celle de Heat de Michael Mann dans lequel De Niro et Pacino ne se retrouvent également ensemble que lors de quelques minutes. Quoi qu’il en soit, voici un finale qui se déroule durant l’instruction du meurtrier et qui montre les liens qui se tissent entre le flic et le voyou, une complicité empreinte d'un immense respect de part et d'autre. Mais Delon et Trintignant ne sont pas seuls ; ils sont entourés par toute une galerie de seconds rôles eux aussi parfaitement bien dirigés par Deray. A commencer, dans la peau de l’épouse de Borniche, par la sublime Claudine Auger, surtout connue pour avoir été la James Bond Girl Domino dans Opération Tonnerre de Terence Young. Il faut également citer Henri Guybet dans un rôle pour lui aussi totalement inhabituel, celui d’un des assistants de Borniche, ainsi que Marco Perrin dans celui du commissaire survolté. Mais nous nous souviendrons surtout de deux fortes apparitions dans deux séquences homériques de par leur jeu d'acteur : celle de la confrontation entre Delon et André Pousse (le frère de Emile Buisson) à l’hôpital ainsi que celle de l’hôtel de passe tenu par Maurice Biraud au cours de laquelle Catherine Lachens en prostituée extravertie vient nous offrir un savoureux numéro.



Le scénario de Alphonse Boudard, qui nous fait alterner d’un côté le parcours ensanglanté de Buisson entre son évasion et son arrestation, de l’autre l’enquête de Borniche avec ses interrogatoires, écoutes, méthodes scientifiques, pression des indics, etc., démontre un travail aux petits oignons, nous décrivant à la perfection le petit microcosme de la police ainsi que le monde des truands. L’ensemble est très crédible, la reconstitution d’époque très soignée, l’atmosphère de l’après-guerre parfaitement bien rendue avec notamment des allusions aux grèves réprimées de l’époque, aux films à l’affiche comme Le Diable au corps de Claude Autant-Lara que le couple Borniche souhaite aller voir, aux difficultés qu'il fallait encore pour s’approvisionner correctement, et avec aussi moult détails aujourd’hui pittoresques comme les pompes à essence actionnées à la main, les tractions Citroën... Souvent les reconstitutions d’époque par leur trop-plein ont un rendu factice ; ce n’est pas du tout le cas ici où la surenchère a été bannie. Quant à la mise en scène de Deray déjà évoquée à plusieurs reprises, elle est au diapason de l’ensemble, sans graisse inutile, et n’a jamais été aussi soignée et précise, pas avare pour autant de superbes plans aux éclairages très travaillés.


Flic Story est un Film Noir rigoureux au savoir-faire incontestable et d’une solidité à toute épreuve, porté par un casting de platine, un superbe thème musical de Claude Bolling et une magnifique photographie de Jean-Jacques Tarbès, tous deux fidèles collaborateurs d'un cinéaste qui signe ici probablement son chef d’œuvre. Le public ne s’y trompera pas, qui lui fera un triomphe avec quasiment deux millions de spectateurs à la clé. Ce que nous retiendrons néanmoins, c’est avant tout la lutte à distance que se livrent deux personnages "bigger than life" et leurs deux interprètes qui trouvent ici parmi leurs plus beaux rôles malgré des filmographies respectives impressionnantes et de grandes prestations en nombre. Nous terminerons, en même temps que le film, avec cette superbe idée que le plan final sur Alain Delon qui d'un coup se tourne face caméra pour nous dire, les yeux dans les yeux, la date à laquelle eut lieu l’exécution d'Emile Buisson :

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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 1 septembre 2022