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Critique de film
Le film

La Garçonnière

(The Apartment)

L'histoire

C.C. Baxter est employé dans une société d’assurance new-yorkaise. Célibataire, il n’hésite pas à prêter son appartement à ses supérieurs en quête de relations extra-conjugales. En échange de ce service, le jeune Baxter se voit offrir un nouveau poste dans la société. Tout semble se dérouler à merveille jusqu’à ce que le chef du personnel s’encanaille de la jeune liftière dont CC est secrètement amoureux...

Analyse et critique

Après avoir réalisé Some Like It Hot dont le scénario fut co-écrit avec IAL Diamond, Billy Wilder cherche un sujet qui lui permettrait de réitérer cette association qui manqua de peu l’Oscar en 1959. Depuis quelques années il traîne une idée que lui inspira Brève rencontre de David Lean. Il le raconte en ces termes : « Un homme marié avait une liaison avec une femme mariée et cet homme utilisait l'appartement d'un copain pour ses débats amoureux. Je m'étais toujours demandé ce qui se serait passé si l'ami en question avait pénétré dans la chambre juste après le départ des deux amants. Je sentais là un personnage original et intéressant et j'avais pris quelques notes à ce sujet. »

Manifestement ces quelques notes aboutirent à un travail inspiré puisque la récompense manquée l’année précédente par le duo Wilder / Diamond s’offrit enfin à eux. Ce scénario, où tous les mécanismes de la dramaturgie sont exploités avec talent, est d’une habileté sans faille. Le spectateur passe ainsi du rire aux larmes en un clin d’oeil et vit chaque obstacle du protagoniste avec force émotions. Les scènes s’enchaînent avec fluidité et les effets dramatiques sont savamment calculés. A titre d’exemple, la scène où CC Baxter découvre le miroir cassé de Fran est pleine d’intensité... Wilder s’affranchit des dialogues, il lui suffit d’un objet et d’un regard pour exprimer toute la peine du pauvre Lemmon !


La richesse du scénario vient également d’une caractérisation forte des personnages. En premier lieu CC Baxter est un "monsieur tout le monde" auquel le spectateur peut facilement s’identifier. Mêlant humour, lâcheté et tendresse, il est cet employé qui veut réussir par tous les moyens. Les aventures auxquelles il est ensuite mêlé et ses confrontations avec ses voisins (les Dreyfuss) le poussent à redéfinir ses objectifs. A partir du troisième acte, on assiste alors à la genèse d’un être humain qui remet en cause le système pour un amour auquel il croit enfin. Aux yeux du docteur Dreyfuss, CC Baxter devient enfin un « Mensch » (autrement dit "un être humain") et le public est comblé ! A ses côtés Fran représente une féminité fragile et douce. Manipulée tout au long du récit par un mâle dominant et cynique, elle finira par ouvrir les yeux et découvrir le vrai sens du mot amour.  A côté de ce duo, Sheldrake et la clique des patrons donnent une image décadente et machiste du cadre dirigeant. Ici la critique de Wilder est satyrique. A travers ces personnages, il fustige le mâle américain, et d’une certaine façon s’attaque directement à l’american dream.

Pour interpréter CC Baxter, Wilder fait de nouveau confiance à Jack Lemmon et lui offre son plus beau rôle. C’est avec un talent immense qu’il habite chaque facette de son personnage. Cette seconde collaboration avec Billy Wilder donnera ensuite naissance à quatre autres films dans lesquels il continuera de briller. A ses côtés, Shirley McLaine interprète Fran. Elle passe de la joie à la plus cruelle des désillusions avec une facilité déconcertante. Et c’est tout en finesse qu’elle exprime la fragilité de son personnage. Pour faire face à deux comédiens d’une telle sensibilité, Wilder choisit Fred Mac Murray pour incarner l’ignoble Sheldrake. Ce dernier hésite longtemps avant d’accepter le rôle. Lorsque le scénario s’offre à lui, il travaille alors pour Disney, dont il vante les parcs d’attractions dans des spots publicitaires. Le rôle cynique qui lui est alors proposé risque de nuire à son image. Mais finalement, il ne peut résister à la tentation de travailler avec Wilder. Il s’empare du rôle et campe un Sheldrake manipulateur et sans scrupules.


Enfin, on ne peut parler des talents réunis autour de ce film sans évoquer le travail du décorateur français Alexandre Trauner. Après avoir oeuvré entre autres aux côtés de Marcel Carné dans Les Enfants du paradis, il rejoint l’équipe de La Garçonnière pour monter des décors qui seront récompensés par un Oscar. A l’image des rues new-yorkaises qui ouvrent le film, la compagnie d’assurance qu’il imagine est un immense espace où les hommes se concentrent sans pouvoir se parler. En dehors de ce lieu, l’appartement de CC est une cellule exprimant la solitude. Un petit canapé face au poste de télévision, un réfrigérateur rempli de pizzas et une absence de touche féminine donnent autant d’éléments sur la personnalité du héros...

En 1993, lors d’une interview accordée au Nouvel Observateur, François Forestier demande à Billy Wilder quels sont ses films préférés. Celui-ci répond Le Gouffre aux chimères, avec Kirk Douglas, en 1951. Et La Garçonnière, avec Jack Lemmon. Parmi trente films qui sont pour la plupart des chefs-d’œuvre, La Garçonnière occupe une place à part. A mi-chemin entre ses comédies pures (Certains l'aiment chaud, Sept ans de réflexion...) et ses drames plus cyniques (Assurance sur la mort, Boulevard du crépuscule), cette comédie satirique mêle les genres avec talent et offre au spectateur une œuvre totale, dont l’excellence fut récompensée par cinq Oscars dont celui du meilleur film.

Dans les salles


Film réédité par Carlotta

Date de sortie : 11 juillet 2012

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La fiche IMDb du film

Par François-Olivier Lefèvre - le 11 décembre 2002