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Critique de film
Le film
Affiche du film

La Belle au bois dormant

(Sleeping Beauty)

L'histoire

La princesse Aurore, victime d'un sort que lui a jeté la sorcière Maléfique, s'est endormie d'un profond sommeil dont le seul baiser d'un prince peut l'éveiller. Ses marraines, les fées Pimprenelle, Flora et Pâquerette, unissent leurs pouvoirs magiques pour aider le vaillant prince Philippe à combattre le redoutable dragon, gardien du château où dort Aurore.

Analyse et critique

La Belle au bois dormant constitue autant une apogée artistique qu’il marque la fin d’un certain âge d’or de Disney. Le film constitue l’aboutissement du fameux voyage que Walt Disney effectua en Europe en 1935 et durant lequel il acquit les droits de plus de 300 livres illustrés et de classiques de la littérature européenne qui allaient constituer le socle de son œuvre à venir. La France contribuera avec les contes de Perrault dont La Belle au bois dormant et Cendrillon, l'Angleterre avec Peter Pan de J.M. Barrie, Les Trois petits cochons et Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, l'Italie pour Pinocchio, l'Allemagne grâce aux contes de Grimm comme Blanche Neige, l'Autriche pour Bambi et enfin la Russie avec Pierre et le Loup. Cette ascension serait spectaculaire avec le triomphe de Blanche Neige et les sept nains (1937 et plus grand succès de l’histoire du cinéma avant la sortie d’Autant en emporte le vent) puis les réussites artistiques et/ou commerciales de Pinocchio (1940), Fantasia ou Bambi (1942). La Deuxième Guerre mondiale et les restrictions budgétaires qui en découlent viendront interrompre pour un temps cette progression et le studio en difficulté financière renaîtra réellement de ses cendres avec l'immense succès de Cendrillon (1950).

Les grandes adaptations et relectures des classiques enfantins peuvent donc reprendre par la suite avec Alice au pays des merveilles ou encore Peter Pan (1953). Walt Disney envisage l’adaptation de La Belle au bois dormant dès le début des années 50 et souhaite que le film soit l’apothéose de ses contes animés, cette oeuvre constituant une vraie trilogie avec Blanche Neige et Cendrillon. C’est précisément cette filiation qui rendra la production si complexe, les premières ébauches (et une partie du résultat final comme les personnages des trois fées très proches de celle de Cendrillon) ne parvenant pas à se démarquer visuellement des classiques précités. L’omnipotence de Walt Disney cherchant à valider lui-même chaque choix esthétique ou narratif présente également un problème puisqu’à l’époque il est accaparé par la conception et l’ouverture du premier parc d’attractions Disneyland en 1955, ainsi que par l’extension de l’empire à la télévision avec des émissions et séries comme Zorro ou The Mickey Mouse Club. La production s’interrompra ainsi à de nombreuses reprises au gré de sa disponibilité et de son insatisfaction quant à l’avancée en cours. Walt Disney envisagera une option possible et audacieuse en confiant la direction artistique du film à Eyvind Earle.

Celui-ci est un dessinateur au style singulier qui avait frappé Disney sur certaines images de Peter Pan et La Belle et le clochard (1955) pour lesquels il se chargeait des décors. Son style imprègnera donc pour le meilleur La Belle au bois dormant. L’adaptation est très fidèle au conte de Perrault avec les changements de rigueur pour rendre l’ensemble plus accessible au grand public et empathique (les fées passent de sept - voire douze dans la version des Frères Grimm - à trois et participent plus grandement à l’histoire quand à l’origine elles disparaissaient après avoir donné leurs vœux) notamment à cause du rôle finalement assez en retrait de la belle endormie, Aurore. Le prince Philippe, certes un peu plus développé que les princes des contes précédents (il n’a même pas de nom dans Cendrillon), introduit aussi un conflit sur le mariage arrangé avec la princesse, mais sur le papier le film reste une sorte de squelette et redite de Cendrillon et de Blanche Neige dans son déroulement et sa structure. Ce n'est pas vraiment un défaut car toute l’émotion, les peurs comme l’enchantement vont en fait naître de l’approche visuelle d'Eyvind Earle. Les décors, très stylisés, sont d’inspiration médiévale et donnent un sentiment d’enluminures en à-plats, de tapisseries animées qui accentuent la facette expressionniste du film.

L’ouverture (avec un effet de travelling dans l’image nous introduisant dans le château, repris de Pinocchio) présente un peuple et des chevaliers progressant dans des décors à la géométrie marquée et simplifiée, qui sont animés de façon volontairement figée pour appuyer cette approche de tableau en mouvement. L’avant-plan et l’arrière--plan s’aplanissent, la richesse de l’espace ne naissant pas de la seule profondeur de champ mais aussi de la largeur avec pour la première fois l’utilisation du format Super Technirama 70. Le but n’est plus d’imposer forcément un mouvement virevoltant mais plutôt une majesté imposante et riche en détails d’inspiration germanique (certaines des influences citées étant entre autres Brueghel et Van Eyck). Toujours dans ce début de film, les intérieurs ont par cette optique un effet de vitrail dont le stoïcisme marque la rupture avec le style de Mary Blair, artiste ayant œuvré sur Cendrillon ou Alice au pays des merveilles qu’elle marqua par sa technique à la gouache et son usage des couleurs vives.

On a d’ailleurs une vraie opposition dans ces mêmes scènes lorsque s’y intègrent des personnages plus cartoonesques et typiques de Disney comme les trois fées à l’allure plus arrondie. Le film aurait pu être une seule réussite technique avec pareil parti pris mais il saura trouver le juste équilibre (peut être dû au conflit entre le réalisateur Clyde Geronimi, garant du style classique, et le novateur Eyvind Earle, qui quittera le studio dans la foulée) entre formalisme et émotion. Cela fonctionnera notamment par le mariage envoutant entre image animée et musique, formant l’aboutissement des recherches lancées par Fantasia (1940). La bande originale de George Bruns s’inspire ainsi du ballet de Tchaïkovski La Belle au bois dormant, et l’envoutement est de mise lors de la scène en forêt où Aurore rêve à son bien-aimé qu’elle n’a entrevu qu’en rêve. La naïveté "à la Disney" (les animaux parlants) s’allie à l’émerveillement que suscite cette forêt symbole de la solitude d’Aurore, la magnifique chanson Once upon a dream combine l’ensemble avec un lyrisme grandiose qui se prolonge lors la rencontre du prince Philippe. La séquence où les fées endorment le royaume fonctionnera sur un pouvoir d’évocation tout aussi fort.

Avec une approche reposant autant sur une esthétique en rupture, la grande méchante Maléfique est celle qui marque le plus fortement. Physique longiligne, visage anguleux et allure ténébreuse, Maléfique reste à ce jour la plus grande méchante issue des Studios Disney. Chacune de ses apparitions jette un voile sombre sur le film (l’ouverture dans le château, la façon dont elle piège Aurore pour accomplir la malédiction) qui bascule définitivement dans un climat oppressant dans sa dernière partie lorsque semble triompher le mal. Sa personnalité et ses motivations ne semblent pas particulièrement fouillées (pour cela il faudra attendre la relecture live récente et très réussie avec Angelina Jolie), mais pourtant Maléfique est bien plus captivante et recèle plus d'aspérités qu’Aurore ou le prince Philippe ; la vraie opposition se crée avec les fées, autant entre le bien et le mal que dans les conceptions différentes qu’elles représentent pour Disney.



L’environnement gothique est visuellement somptueux et inquiétant, les jeux d’ombres brillants (ces regards verdâtres glaçant des sbires surgissant des ténèbres) et même le quota d'animaux anthropomorphiques est détourné pour plus de malaise avec cet affreux corbeau de mauvaise augure servant de compagnon à Maléfique. Quand cette dernière déploie enfin l’étendue de ses pouvoirs, l’avant-garde se mêle au conte pour l’incroyable création qu’est cette forêt d’épines qui convoque les arts japonais et enfin pour la stupéfiante transformation finale en dragon. On comprend là le succès mitigé du film tant la vraie peur point en sourdine et aura sans doute rebuté le public, la figure négative étant plus riche que les héros auxquels il est ardu se raccrocher cette fois. C’est pourtant bien ce déséquilibre qui fait tout le charme vénéneux de cette œuvre majeure.

L’échec - relatif et surtout dû à la production à rallonge qui en faisait le film d’animation le plus cher jamais réalisé, car les entrées en salle furent satisfaisantes sans pouvoir rembourser le budget énorme - freinera cependant Walt Disney dans cette approche avant-gardiste - qui lui plaisait pourtant puisqu’il organisa des expositions en Europe des dessins d’Eyvind Earle réalisés pour le film. Estimant que le public s'était lassé des contes, il tentera d’autres approches avec Les 101 Dalmatiens (1961) ou Le Livre de la jungle (1967). L’aura de La Belle au bois dormant n’aura en tout cas cessé de grandir au fil des ressorties et il reste aujourd’hui pour beaucoup le plus beau Disney.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 31 décembre 2015