
L'histoire

Analyse et critique


«Halte là ! ne manqueront pas de rétorquer certains grincheux après avoir lu cette introduction. Encore un de ces cinéphiles trentenaires ou quarantenaires qui va nous chanter un hymne d’amour pour Bambi avec comme principale raison la nostalgie liée à sa découverte du 7ème art par l’intermédiaire de ce dessin animé ! Encore un qui va nous dire que Bambi fut l’un de ses premiers chocs émotionnels et artistiques et que la mort tragique de la mère du faon l’a traumatisé ! » Il est

Et bien, en ce qui me concerne, détrompez-vous braves gens, il n’en est rien, bien au contraire ! A douze ans, alors que je traînais mes guêtres pour les premières fois dans les salles obscures, je jubilais de voir des "chefs-d’œuvre" d’humour, d’action et de fantaisie tels que Le Gendarme et les Extra-terrestres, Moonraker ou encore des films du duo Bud Spencer / Terence Hill. C’était aussi l’époque des premiers Star Wars et je souhaitais voir encore et encore à tous les coins d’écran des vaisseaux spatiaux, des combats aux lasers fluorescents, des méchants de la prestance d’un Darth Vader, des héros aussi immaculés et courageux que Luke Skywalker... C’est contraint et forcé que l’on m’emmena voir Bambi et ces soixante minutes de projection me semblèrent durer une éternité ; le souvenir de l’ennui qui m’a pris durant cette séance fut très tenace et il demeura très longtemps mon Disney répudié. C’est seulement récemment que (sans vouloir sadiquement faire subir à ma progéniture le même calvaire qui fut le mien) je fis de nouveau sa connaissance. Cette fois, ce fut avec le même émerveillement et le même large sourire qu’affichent les adorables animaux devant l’apparition du nouveau-né dans la séquence décrite plus haut. Depuis, mes multiples visions n’ont pas émoussé le plaisir que j’ai pris à ce moment là et c’est toujours avec la même jubilation enfantine que je le revois sans jamais me lasser. On peut donc aimer (voire adorer) ce film sans qu’il ait eu besoin d'être pour nous une madeleine proustienne ; il nous fait retourner en enfance par sa magie découlant d’une simplicité et d’une épure assez étonnante si on le compare avec les films d’animation du studio d’aujourd’hui.

« Et voilà, encore un discours un peu réactionnaire : avant, c’était mieux, la bonne blague ! » Taratata, je ne vous permettrai pas ce mauvais procès d’intention ! Je suis le premier à dire qu’il arrive que Disney nous sorte encore de nos jours des films de grande qualité (La Belle et la Bête ou Mulan par exemple) ; mais force est de constater que la perfection esthétique et émotionnelle de Bambi a rarement été égalée par la suite. Demandez aux nouveaux animateurs de la firme, tous en admiration devant le travail effectué à l’époque (voir les sincères interventions dans le Making of du DVD), relisez les critiques d’hier et d’aujourd’hui (excepté le « fade et niais » lapidaire de Jean Tulard) et vous verrez que la réputation de Bambi n’est pas usurpée. Il s’agit sans conteste d’un des sommets du studio si ce n’est LE sommet ! Il faut dire que Disney s’est donné du mal sur ce projet. La genèse de Bambi a duré pas moins de six ans, la plus longue gestation des studios Disney. Dès 1936, avant même la sortie de Blanche Neige et les sept nains, Walt Disney avait commencé les préparatifs de l’adaptation de ce roman que Sidney Franklin lui avait fait découvrir après en avoir acheté les droits. Il s’agissait d’un livre de l’écrivain autrichien Felix Salten écrit en 1928. Sidney Franklin, producteur et réalisateur avait eu l’idée d’en faire un film mais, après mûre réflexion, avait très justement considéré qu’il était quasiment impossible d’en faire une adaptation avec des animaux réels. Il se tourna alors vers Walt Disney pensant que l’animation pourrait donner un résultat concluant pour cette histoire. Lorsque ce dernier, conquis par le roman, décida de mettre en chantier la réalisation de Bambi, il envoya quelques-uns de ses collaborateurs battre la campagne avec carnets de croquis, pinceaux, stylos et caméra... Il fallait dessiner la forêt, filmer les animaux… Le studio fut même pendant un temps quasiment transformé en zoo, les animateurs devant prendre des cours d’anatomie animale assez poussés.
Techniquement, Bambi représente la consécration de l’utilisation intensive de la caméra "multiplane" inventée par Disney et qui fut inaugurée avec Le Vieux moulin, court métrage de 1937 qui se vit décerner un Oscar amplement mérité. Cette caméra volumineuse permettait de donner un effet de relief inédit aux décors grâce au filmage de la superposition de plusieurs plaques de verre sur lesquelles étaient peintes différentes couches du paysage. Quelques scènes de Blanche Neige et de Pinocchio bénéficièrent de cette avancée technologique mais c’est dans Bambi qu’elle fut utilisée à plein rendement avec le résultat que l’on connaît. Le film d’animation trouvait là une nouvelle dimension ! Le décor, jusque là plutôt inerte, plat et statique qui servait plus de toile de fond, pouvait enfin s’animer et occuper une place importante, au moins égale, dans Bambi, aux personnages. Le spectateur pouvait voir le vent courir sur les herbes hautes, la pluie ruisseler, l’orage montrer sa violence, le feu dévorer littéralement l’écran ; la profondeur de champ pouvait enfin exprimer toutes ses possibilités dans le film animé. Mais tout ceci est remarquablement explicité dans le Making of du DVD qu’il est vivement conseillé d’aller consulter pour en savoir plus.

« Bon c’est bien beau toutes ces anecdotes mais la démonstration qui ferait de Bambi le chef-d’œuvre de l’usine à rêve n’est pas probante pour l’instant. Où sont véritablement les arguments en sa faveur autres que défi technologique ? » Puisque Roy Neary m’a gentiment "harcelé" pour que j’écrive ce texte sur un sujet (l’animation) que je maîtrise assez mal, je l’en remercie (car écrire sur une oeuvre qui nous tient à cœur est toujours une source de plaisir) et me lance alors tête baissée pour contrer toutes les réticences qui pourraient entraver l’envie à quiconque de découvrir ce film, en vous demandant une certaine indulgence au moment où je m’aventure hors des sentiers balisés, pour votre serviteur, du western et de la comédie musicale ;-)




Nous pourrions aussi nous extasier sur l’utilisation étonnante de l’ellipse (en deux secondes, nous passons de l’effondrement du jeune faon après la mort de la mère au gazouillis du printemps sans que cet enchaînement nous paraisse outré), du hors-champ (les chasseurs), sur la puissance extraordinaire des quelques temps forts par leurs contrastes avec les séquences apaisées qui les encadrent, la nouveauté de faire un film pré-écologique (véritable ode à la nature) dirigé contre l’homme... Bambi c’est tout cela et plus encore : un film honnête, sincère, harmonieux, charmant, une sorte d’incarnation parfaite de ce qu’on pourrait appeler le "réalisme impressionniste et poétique". Dire qu’on a souvent dit en parlant du Roi Lion qu’il s’agissait du Bambi des années 1990 ! Mais ceci est un autre débat que je ne poursuivrai pas plus avant sous peine de devenir agressif ! Avant de vous laisser aller découvrir ou redécouvrir le facétieux et exubérant Panpan, le naïf Bambi, le solennel cerf, la douce biche, le timide Fleur, le grincheux hibou ou l’enjôleuse Féline, laissez-moi vous prouver une dernière fois à quel point la simplicité nous fait toucher la grâce dans cette pure œuvre d’art. Il suffira que je vous décrive la séquence qui précède le final qui, lui, verra se profiler le retour au calme et l’éternel recommencement du cycle de la vie par l’arrivée d’une nouvelle génération représentant quasiment tous les personnages que nous avons vu évoluer sous nos yeux.

Cette scène voit se rassembler sur un îlot les animaux qui ont pu échapper à l’incendie, ce dernier déployant en arrière-fond ses flammes gigantesques et rouges-sang. Les animaux étant au premier plan et la lumière vive arrivant du lointain, tout est vu en contre-jour et donc quasiment en ombres chinoises (épure stylistique). Féline fait les cents pas, tourne la tête de droite à gauche, attendant visiblement l’arrivée de son bien-aimé qu’elle a perdu de vue au début de la catastrophe. Puis nous voyons s’approcher à la nage Bambi et son père. Le jeune cerf prend pied sur l’îlot, s’approche sereinement de Féline, lui touche le museau ; puis, ils se retournent tous deux, dos à la caméra, pour "contempler" côté à côte le feu ravager les derniers vestiges de leur forêt partant en fumée (épure narrative). Tout cela ans aucun dialogue et sans le moindre pathos, est d’une simplicité bouleversante d’autant plus que nous n’avons jamais vu les visages de nos héros, la caméra étant restée pudiquement en arrière, à la place du spectateur. Spectateur qui éprouve alors une immense plénitude due la sensibilité extrême qu’il ressent dans la manière de rendre remarquablement discrètes ces retrouvailles.
Un pur enchantement.