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Critique de film
Le film

La Ballade du petit soldat

(Ballade vom kleinen Soldaten)

L'histoire

En 1979, le Front Sandiniste de Libération Nationale renverse le gouvernement de Somoza. Le parti lance une importante réforme agraire et soutient une politique d’expropriation des grands propriétaires terriens. En 1984, le FSNL remporte les élections nationales, mais le président Reagan ne reconnaît pas ce gouvernement. Les contras - des guérilleros anti-sandinistes - reçoivent alors un soutien militaire des Etats-Unis et c’est dans leurs camps d’entraînement qu’Herzog vient filmer la façon dont des enfants sont transformés en soldats.

Analyse et critique

Après Fitzcarraldo, Herzog enchaîne très rapidement les tournages de ses trois films suivants, passant de l’Australie au Karakorum au Tibet en faisant une escale par le Nicaragua où il réalise cette Ballade du petit soldat. En 1979, le Front Sandiniste de Libération Nationale renverse le gouvernement de Somoza. Le parti lance une importante réforme agraire et soutient une politique d’expropriation des grands propriétaires terriens. En 1984, le FSNL remporte les élections nationales, mais le président Reagan ne reconnaît pas ce gouvernement. Les contras, guérilleros anti-sandinistes, reçoivent un soutien militaire des Etats-Unis et c’est dans leurs camps d’entraînement qu’Herzog pose sa caméra. De prime abord, La Ballade du petit soldat est un documentaire de facture très classique, pour ne pas dire didactique. A travers des interviews et la voix off d’Herzog, la situation géopolitique est ainsi explicitée, de nombreux témoignages de réfugiés Miskito venant enrichir l’exposé.

Les Miskito sont des indiens vivant dans des territoires reculés et pour atteindre le premier de leurs villages il faut à Herzog trois semaines de marche à pied depuis la plus proche zone urbaine, située près de la côte atlantique. Les Miskito perpétuent encore leur ancien mode de vie et c’est la raison pour laquelle ils sont persécutés par les sandinistes, le FNSL entendant mettre un terme à ce « primitivisme » qui va à l’encontre de son idéologie « progressiste ». Le village qu’Herzog arpente n’est plus que ruines : les huttes ont été brûlées et ceux qui n’ont pas été tout simplement massacrés ont du fuir au Honduras proche où ils se retrouvent parqués dans des camps de réfugiés. C’est dans ces camps que les instructeurs militaires engagent leurs nouvelles recrues dont un grand nombre d’enfants.

Les Miskito n’ont aucune culture guerrière et au-delà de l’évidente atrocité qui consiste à transformer des enfants en soldats, il y a ici à l’œuvre la destruction d’un peuple tout entier. Horrible cynisme des contras et des militaires américains qui poussent les jeunes Miskito à prendre les armes sous couvert de défendre leur culture…On part à la rencontre de gamins de neuf à onze ans entraînés au maniement des armes et aux techniques de guérilla. Ces enfants racontent avoir vu leurs voisins exécutés, leurs mères mutilées, leurs villages rasés par les troupes sandisnistes. De son côté, un instructeur explique que pris à cet âge, un enfant fait un bon combattant : « c’est le meilleur âge car ils ne sont pas encore corrompus, on peut les entraîner à combattre les communistes ». Si c’est un nicaraguayen qui parle, ce qu’on entend c’est la rhétorique des officiers américains, comme lorsqu’un autre instructeur déclare qu’ils sont « prêts à libérer leur pays ». Cet aspect politique n’est pas ce qui intéresse le plus Herzog. Ce qu’il entend faire avec ce film, c’est montrer comment on parvient à enrôler des enfants et à les transformer en machines à tuer. Les instructeurs savent très bien comment utiliser la colère de ceux qui ont vu leur monde s’écrouler, leurs parents assassinés. Ils savent utiliser ce désir de vengeance particulièrement fort chez ces enfants qui n’ont désormais plus d’attaches, qui ont été arrachés à leurs familles et à leurs terres. Ils savent utiliser leur fierté lorsqu’ils brandissent des fusils, leur rappelant qu’ils sont les premiers de leur peuple à oser prendre les armes pour s’opposer à la marche de l’ennemi.

Denis Reichle, un compatriote qui se trouve sur place, raconte à Herzog ses souvenirs lorsque, âgé de quatorze ans, il combattait l’armée russe. Il était alors convaincu de la justesse de son combat mais cette expérience l’a à jamais transformé. Il désespéré de voir que des décennies plus tard, les enfants sont toujours utilisés comme des armes, que l’histoire se répète encore et encore. Herzog recueille moult récits des exactions sandinistes et, se faisant, explique pourquoi ces enfants croient prendre les armes pour une cause juste. Mais ce qui transparaît du film, c’est bien que l’horreur des horreurs consiste à armer des enfants.

Herzog s’attache à leurs visages, cherchant à dénicher la part d’enfance qui subsiste derrière les uniformes. Parfois, au milieu d’un entraînement, on les voit soudain abandonner leurs visages figés et sourire, s’amuser, comme si soudain la guerre s’effaçait derrière la puissance de jeu et de rêve des enfants. Mais ces rires rendent encore plus poignants le fait de voir toutes ces enfances volées, détruites. Le film s’ouvre sur un long plan montrant un enfant portant une lourde mitraillette et qui chante une chanson jouée à la radio. L’image est rendue discordante par le déséquilibre entre la petite silhouette et l’énorme fusil-mitrailleur, par la joie de chanter du garçon et la violence liée à la présence de son arme. La voix de l’enfant est instable, elle vient juste de muer, ce qui renforce encore notre malaise. Herzog zoome alors sur lui, mettant de côté l’uniforme, l’arme, pour ne plus cadrer que son visage. Cette approche profondément humaniste, on la retrouve tout au long de ce documentaire simple, poignant et généreux.

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Par Olivier Bitoun - le 8 mars 2011