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Critique de film

L'histoire

William Chaminade, vétérinaire de son état, assiste à la tentative de suicide d'une femme délaissée par son mari. Il a alors l'idée de créer une structure de santé publique dans laquelle des étalons, sains et de bonne moralité, contribuent à soulager le désarroi des épouses négligées. Mais ni les autorités ni les maris concernés ne voient son initiative d'un bon oeil...

Analyse et critique

Consécutivement aux événements de mai 1968, Jean-Pierre Mocky avait amorcé avec Solo un tournant majeur dans sa filmographie, lui qui s’était jusqu’alors surtout fait connaître par le biais de comédies irrévérencieuses. Dans les mois suivants, L’Albatros (1971), L’Ombre d’une chance (1973) puis Un linceul n’a pas de poches (1974) allaient l’un après l’autre confirmer cette forte inflexion vers le « thriller politique ».

Néanmoins, et pour permettre à Solo, une fois achevé, de sortir en salles, Mocky bricole un compromis avec la Compagnie Commerciale Française Cinématographie (la CCFC du producteur Edouard Harispuru), qui accepte de distribuer ce titre sulfureux à condition que Mocky consente de son côté à tourner une comédie légère dans la veine de ses succès populaires des années 60. Pour cette raison et quelques autres, L’Étalon est un film qui ressemble, avec le recul, à un pas en arrière consenti, en tout cas un film qui ne correspond pas tout à fait à l’orientation que Jean-Pierre Mocky souhaite alors donner à sa propre carrière.

Le film décrit une nouvelle fois un personnage un peu lunaire, échalas inventif et indiscipliné, qui entreprend de résoudre un problème (en l’occurrence l’insatisfaction sexuelle des femmes mariées) par une solution de bon sens... laquelle tombe malheureusement sous le coup de l’illégalité. La mécanique est bien huilée, et dans ce rejeton un peu trivial des Compagnons de la marguerite et d’Un drôle de paroissien, Francis Blanche reprend son rôle de petit inspecteur colérique et zélé, prêt à tout (y compris aux travestissements les plus improbables) pour mettre fin aux exactions du perturbateur vétérinaire - à noter que Philippe Noiret avait un temps été envisagé pour le rôle.

Jean-Pierre Mocky aimait à raconter que le point de départ du film lui était venu, tandis qu’il était assis à la terrasse d’un café avec Bourvil, en écoutant deux femmes d’une certaine maturité (ce qu’il appelait des « bobonnes ») disserter sur la manière dont leurs époux respectifs délaissaient leurs devoirs conjugaux. La période est, globalement, à la libéralisation des mœurs, et Mocky, flanqué de son fidèle acolyte Alain Moury, saisit l’opportunité pour partir d’un point de départ à haut potentiel graveleux (et si l'on fournissait à ces femmes négligées un service visant à les soulager ?) mais échafauder ensuite un récit cohérent menant ce postulat provocateur ou absurde jusqu’à la chambre des députés. Le plus réjouissant dans le film, c’est probablement donc la manière dont les prestataires envisagent et décrivent leur petite entreprise selon une logique de mission de service public, avec un premier degré réjouissant : il s’agit ainsi « d’une banque du sexe, directement du producteur au consommateur », car « ce que je veux, c’est un coït ferme, sain et décontractant », puisqu’ « il s’agit de rendre service au pays... » et « c’est remboursé à 80 %, comme l’aspirine », le tout « sous la haute protection de Monsieur le président de la République » lui-même. Il ne faut pas hésiter, par ailleurs, à prêter une attention particulière à la préparation des "étalons", depuis leur alimentation à base de viande rouge jusqu’à leurs t-shirts personnalisés, en passant par ces pancartes décrivant non seulement leur profession mais aussi leur "calibre".

Avec l’esprit égrillard et gentiment anar qui le caractérise volontiers, Mocky se plaît alors à décrire l’hypocrisie entretenue par les « autorités » dès qu’il s’agit des choses de la bagatelle, et si sa grivoiserie paraît parfois un peu exagérée, il est difficile de ne pas trouver l’élan général sympathique sinon assez salutaire. L’arrivée des représentantes des ligues de vertu, censées évaluer en toute objectivité la salubrité ou les conditions légales du "service" en question, et qui se révèlent être d’assez furieuses folles de la fesse ; ou le commandant Moursson, militaire endurci, qui découvre l’amour interlope dans les fourrés... tout ceci n’est pas d’une infinie légèreté mais contribue à l’esprit Mocky, provocateur, outrancier, volontiers rabelaisien : l’unique arme du saltimbanque face au pouvoir et aux dangers de ceux qui le détiennent n’est-elle pas la dérision ? Tourner en ridicule le commissaire Both (incarné par Michael Lonsdale) en le plaçant dans des situations grotesques, en le cocufiant sous son propre nez et en le montrant comme un incapable (probablement dans bien des domaines...), c’est riposter face à celui qui, en entendant la colère d’un mari trahi qui « ce soir, se sent fasciste », se réjouit dans sa moustache « d’un vote de plus » aux prochaines élections...

Avec ces courses-poursuites, ces chausse-trappes, ces cabines de bain aux volets pivotants et ces déguisements extravagants, Mocky joue dans L’Étalon la carte d’un burlesque débridé, qui renvoie par moment à une tradition du slapstick (la foule des épouses en chaleur rappelle les Les Fiancées en folie de Buster Keaton), et comme toujours chez lui, le casting des seconds rôles, riche en trognes improbables, joue pleinement son rôle comique : parmi les fidèles des fidèles, on retrouve ainsi Roger Legris en président de l’Assemblée Nationale, Dominique Zardi en député, Marcel Pérès dans le rôle de Moursson, et surtout l’inénarrable Jean-Claude Rémoleux dans le rôle du député Lacassagne, tardive mais décisive apparition.

L’Étalon restera toutefois, rétrospectivement, un souvenir assez douloureux pour Jean-Pierre Mocky : outre l’échec relatif du film (produit initialement, donc, pour compenser le risque que pouvait représenter Solo, il fera beaucoup moins d’entrées), le film restera dans son esprit lié à la souffrance de Bourvil, alors déjà atteint du cancer qui allait l’emporter à peine un an plus tard, et qui partait, une fois la journée de tournage terminée, hurler de douleur dans les collines au-dessus de Cerbère (la station des Pyrénées Orientales où le film a été largement tourné). L’Étalon est également marqué par la contribution d’un autre "cher disparu", en l’occurrence le génial François de Roubaix, compositeur pour Mocky pour la deuxième fois (après La Grande frousse (!) (1968) ), qui disparaîtra dans les années qui suivront, à 36 ans, dans un accident de plongée : penser à L’Étalon, c’est aussi prendre le risque de se souvenir de la ritournelle débilitante, merveilleuse d’ironie mais épouvantablement entêtante, qu’il avait composée pour l’occasion : Le troubadour aime l’amour, toujours, toujours...

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La fiche IMDb du film

Par Antoine Royer - le 15 mars 2023