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Critique de film
Le film
Affiche du film

L'Enjeu

(State of the Union)

L'histoire

Kay Thorndyke (Angela Lansbury) vient d'hériter de l'important journal fondé par son père. Très lié au Parti Démocrate, celui-ci est en perte de vitesse et sa nouvelle propriétaire décide de créer de toutes pièces le futur président des États-Unis afin de redorer le blason du journal et de faire taire ses détracteurs. Elle pousse Grant Matthews (Spencer Tracy), un self-made-man humain et idéaliste devenu un riche industriel, à se présenter aux primaires. Matthews découvre la réalité du monde politique et dévoie peu à peu ses beaux idéaux sur l'Amérique pour gagner des voix de grands électeurs et des soutiens de financiers et autres lobbyistes. Sa femme Mary (Katharine Hepburn), qui est au bord du divorce, essaie de le sortir de cet engrenage où elle le voit se perdre...

Analyse et critique

Après l'échec public de La Vie est belle (même si le film deviendra par la suite un classique des diffusions télé), Liberty Union - la société de production que Frank Capra avait fondée en 1945 avec William Wyler, George Stevens et Garson Kanin et qui devait leur assurer leur indépendance artistique et financière - est en difficulté. State of the Union est ainsi le dernier film que Capra va pouvoir réaliser librement sans subir le diktat des comités des studios, qui ont repris les rênes de l'industrie, et celui d'acteurs stars autour desquels tout le monde du cinéma se concentre.

Capra reprend l'un de ses thèmes fétiches (l'homme pur qui perd ses idéaux et retrouve, grâce à l'amour, la force de tout quitter pour ne pas les trahir), mais il ne le met plus en scène sous la forme d'une fable mais sous celle d'une satire mordante. On découvre un Capra plus pessimiste, une facette de sa personnalité déjà bien sensible dans nombre de ses précédentes réalisations mais qu'il cachait derrière le burlesque, le conte de fées, l'élan romanesque. Un pessimisme que l'on retrouvait dans l'image du suicide venant périodiquement contredire cette image d'optimiste béat que traîne le cinéaste. Et le fait que L'Enjeu s'ouvre sur un suicide montre à quel point avec cette œuvre le réalisateur radicalise son propos. Le film reste virevoltant, drôle, et l'on retrouve in extremis l'optimisme dz Capra dans l'image du héros qui se rachète en se livrant à une confession publique, une scène classique de son cinéma. Mais il laisse aussi un goût amer, et le portrait qu'il dresse de la politique de son pays se révèle bien plus sombre encore qu'à l'époque de Mr. Smith Goes to Washington, un film qui lui avait valu les foudres du Sénat. Capra retrouve d'ailleurs Myles Connelly, le scénariste de ce précédent film consacré aux arcanes de la politique. C'est Connelly qui naguère lui avait donné cette idée du « rire démocratique » et l'a poussé a rechercher l'universalité dans ses réalisations.

Le film est très symptomatique des différents courants de pensée, parfois contradictoires, qui innervent l'œuvre de Frank Capra. En effet, et ce même s'il se veut le seul maître à bord, le cinéaste laisse librement s'exprimer ses collaborateurs et c'est ainsi qu'il se retrouvait, démocrate, à défendre avec ferveur le New Deal de Roosevelt. A sa sortie, L'Enjeu est attaqué par certains extrémistes qui voient en lui un film pro-communiste (Capra est même un temps soupçonné par le service de contre-espionnage de servir les intérêts de l'URSS.) alors même que Connelly est un chrétien-démocrate ouvertement anti-communiste, tout comme Capra et ce même si ce dernier s'est intéressé aux théories de Karl Marx et a même suivi son ami Robert Biskin en Union Soviétique. C'est que Capra s'inscrit dans cette tradition américaine de la critique. Il se méfie des appareils politiques, de la collusion entre la presse, les industriels et les décideurs, de tout ce qui fait que la vie publique subisse l'ingérence des riches et des puissants. Il y a aussi chez lui une profonde méfiance vis-à-vis de la versatilité du peuple, souvent prompt à changer d'opinion comme on change de chemise et à suivre aveuglement ceux qui ont le plus de pouvoir. Il offre ainsi une vision d'une Amérique où pullulent des hommes et des femmes cyniques et sans scrupules, uniquement attirés par le profit ou la gloire, il décortique un système électoral qui bafoue les principes démocratiques... Bref, pour beaucoup, cette dénonciation des dérives des États-Unis ne peut que servir les intérêts de l'autre bloc. Or Capra comme tant d'autres artistes, est convaincu que la démocratie est assez forte pour regarder en face ses errements.

State of the Union, qui mêle brillamment une réflexion sur la nation et sur la vie d'un couple (magnifiquement interprété par le duo Tracy / Hepburn), est le dernier grand film de Frank Capra. Il tournera encore deux films (dont Riding High, remake inutile de Broadway Bill) avant de prendre sa retraite de Hollywood, se consacrant à un projet militaire puis à une série de films d'animation pour la télévision. Il tournera un dernier film, Pocketful of Miracles en 1961, avant d'arrêter définitivement toute activité de réalisateur.

Dans les salles

Distributeur : SWASHBUCKLER FILMS

Date de sortie : 24 octobre 2012

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La fiche IMDb du film

Par Olivier Bitoun - le 3 octobre 2012