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Critique de film
Le film
Affiche du film

Mr. Smith au sénat

(Mr. Smith Goes to Washington)

Analyse et critique

Le cinéma américain a toujours nourri une critique du système et Frank Capra, « Un grand homme et un grand Américain, une inspiration pour ceux qui croient dans le rêve américain » (John Ford), a tout au long de sa carrière stigmatisé les travers de son pays. Pour Capra, le plus important (lui qui fut le premier réalisateur salarié à voir son nom s’afficher au-dessus de celui des stars et des titres de ses films), c’est bien « la liberté artistique de faire un film sur les erreurs américaines et de le montrer dans le monde entier. » Capra est un idéaliste certes, mais c’est surtout un homme lucide sur les dérives de son pays et du monde (il fut parmi les premiers à lutter par l’image contre le fascisme).

Capra, de film en film, décrit le fossé grandissant entre les "élites" et le peuple, l’égoïsme, la peur insufflée au prolétariat, la suffisance des milliardaires et des décideurs, l’abandon des classes moyennes par les politiques. « Je chanterai la complainte du travailleur, du pauvre gars qui se fait rouler par la vie (…) je prendrai le parti des désespérés, de ceux qui sont maltraités en raison de la couleur de leur peau ou de leurs origines », déclarait-il tandis que certains en appelaient au communisme pour décrire son œuvre. Ce qui pourrait sembler si logique, voir démagogique, aujourd’hui, il faut l’appréhender dans le contexte de l’époque : une Amérique qui n’a de cesse d’étouffer la colère des classes moyennes, de briser les syndicats et les mouvements de grève, une Amérique contrôlée par une infime minorité ayant construit une machine politique étouffant implacablement tout élan contestataire (il faut absolument lire sur ce sujet l’admirable Histoire populaire des Etats-Unis de Howard Zinn).

Monsieur Smith au Sénat est l’une de ces fables politiques acerbes qui prennent pour cible le cynisme des politiciens, la collusion entre élus, organes de presses et industriels pour entretenir l’illusion d’une démocratie, alors que le système est verrouillé et n’a comme finalité que la sécurisation et la pérennisation de la fortune et du pouvoir des élites du pays. Mais, à contrario de L’Enjeu (film très proche par son sujet et certainement l’œuvre la plus pessimiste de Capra), le réalisateur croit encore que le peuple peut changer l’ordre des choses, abattre les murs d’indifférence et se réapproprier le système. La volonté sans faille, l’intégrité de Jefferson Smith, peuvent mener au réveil des classes opprimées, symbolisées ici par un groupe d’enfants. Capra offre des rôles en or à James Stewart (comme toujours parfait), Jean Arthur, Claude Rains… et à tous les autres personnages, magnifiquement écrits, parfois truculents, le plus souvent touchants. C’est un film emporté, drôle, irrésistible, bouleversant. On rit énormément, on pleure tout autant.

On sort du film avec l’intime conviction que c’est possible, oui, on peut redresser la tête et combattre l’injustice. « Vous étiez le navigateur qui connaissait le mieux l’art d’entraîner ses personnages au plus profond des situations humaines désespérées, avant de redresser la barre et de faire s’accomplir le miracle qui nous permettait de quitter la salle en reprenant confiance dans la vie (…) Face à l’angoisse humaine, au doute, à l’inquiétude, à la lutte pour la vie quotidienne, Capra avait été une sorte de guérisseur, c'est-à-dire un adversaire de la médecine officielle, et ce bon docteur était aussi un grand metteur en scène » disait de lui François Truffaut. Le chef-d’œuvre de Capra ? Difficile à dire, tant ce bougre d’homme n’a eu de cesse de nous en offrir.

Dans les salles

Film réédité par Splendor Films

Date de sortie : 18 août 2010

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La fiche IMDb du film

Par Olivier Bitoun - le 7 août 2010