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Critique de film
Le film
Affiche du film

L'Amour avec des si...

L'histoire

Un condamné à perpétuité réussit à s’échapper de la prison de la Santé et à fuir après avoir volé une voiture... Un homme au volant de sa DS sur les routes enneigées du Pas-de-Calais écoute en pleine nuit les infos à la radio où l’on évoque cette évasion d’un sadique ayant commis plusieurs viols sur mineures. La description correspond parfaitement à l’auditeur. Ce dernier, lors d’un arrêt dans un bistrot, ayant compris que la charmante jeune femme présente avec lui dans le bar voyageait en autostop, n’hésite pas à lui proposer ses services...

Analyse et critique

Ayant en 2022, grâce au monumental et superbe coffret que nous a concocté l’éditeur Metropolitan, visionné chronologiquement en son intégralité la filmographie de Claude Lelouch et m’en étant régalé, je voulais dans un premier temps revenir sur son premier long métrage toujours visible, L’Amour avec des si..., qui avait déjà en germe une grande partie de l’œuvre à venir du cinéaste ; un corpus évidemment inégal avec ses hauts et ses bas mais cependant tout à fait passionnant, même après les seventies contrairement à l’idée que beaucoup auraient pu se faire à la lecture d’une bonne partie de la critique française affirmant que Lelouch n’aurait presque plus rien signé de potable durant ces quarante dernières années. Le cinéaste ayant été vilipendé dès ses débuts, on fera surtout confiance à ses admirateurs fidèles qui continuent à prendre du plaisir devant la plupart de ses films. M’étant longtemps laissé influencer moi aussi par mes lectures, j’en suis revenu après avoir approfondi le sujet et je fais désormais partie de ceux qui voient au contraire en Lelouch un excellent réalisateur, sa fantaisie, sa sincérité et son enthousiasme communicatif rejaillissant souvent à l’écran.


Rarement échec aura été aussi cinglant pour un jeune cinéaste que le coup d’essai de Claude Lelouch, Le Propre de l’homme, qui n’attira que 26 spectateurs payants ! Peu s’en seraient relevés. Un bide retentissant et un accueil critique catastrophique qui auraient pu stopper net la carrière de Lelouch si son amour immodéré du cinéma n’avait pas été aussi fort. Le producteur Pierre Braunberger, qui lui gardait toute sa confiance, lui propose alors de réaliser des scopitones, les ancêtres des clips vidéo. Il en signera une bonne centaine qui furent pour lui une "bouffée financière" incroyable. Alors qu'il était obligé avec des bouts de ficelle d’être astucieux et débrouillard, ce fut aussi sa seule école de cinéma, lui qui, autodidacte, n’en a jamais fréquenté d’officielle, sa seule école dit-il souvent ayant été de voir des milliers de films en salles. Non seulement Lelouch paie ses dettes grâce à ce travail mais il retrouve aussi une grande envie de se relancer dans le cinéma au point de tourner un nouveau long métrage sans l’aide du CNC, en à peine deux semaines et avec seulement 100 000 francs, avec le fol espoir de pouvoir prouver aux journalistes qu’il était capable de se relever d’un échec quasiment historique. Il faudra cependant attendre Un homme et une femme pour obtenir cette reconnaissance, qui ne fit malheureusement pas long feu, une majorité des critiques ayant sans doute eu honte de s’être laissés séduire et (ou) avoir par cette "bluette factice" (avis que je ne partage évidemment pas).


« C'est Pierre Braunberger qui a vu le film en premier. Il est sorti de la projection sur un petit nuage. Il m'a pris à part : « "C'est du cinéma, vous êtes un cinéaste, mais étant donné que vous avez eu une très mauvaise presse pour votre premier film, il vous faudra quarante ans pour vous en remettre. J'ai une idée : plutôt que d'entamer un bras de fer en France, allez présenter votre film en Suède, où une Semaine du Cinéma Français est organisée dans deux mois." Le film a été projeté et il a fait un triomphe. Je me souviens que les Suédois avaient également projeté Les Parapluies de Cherbourg qui avait été très moyennement accueilli », dira Claude Lelouch qui obtiendra un soutien de poids à l’époque, celui d’Ingmar Bergman, conquis plus que par le film lui-même, par le travail de réalisation de Lelouch. L'exploitation suédoise permit à elle seule de couvrir les frais engagés. Mais comme Lelouch le redoutait, ce fut un nouveau rejet de la critique française et l’exploitation hexagonale se limita à l'unique salle dont Pierre Braunberger était propriétaire, le Panthéon.


L’idée de L’Amour avec des si... était venue à Claude Lelouch alors qu’en écoutant la radio, suite à la description que les journalistes faisaient d’un meurtrier en cavale, il s’était reconnu dans ce portrait. Quoi qu’il en soit, je ne vous dirai absolument rien de plus de l’histoire du film écrite en dix jours par Lelouch avec son fidèle compère Pierre Uytterhoeven, tellement le film repose pour sa découverte sur un twist étonnement réjouissant. A la limite, mieux vaudrait y aller vierge de toute information au point de ne même pas lire le pitch. Vous allez peut-être me rétorquer, avec raison, que les films qui ne tiennent que sur l’astuce d’un twist supportent difficilement une deuxième vision rapprochée ; certes, le suspense qu’il pouvait y avoir à sa découverte se sera évaporé à la revoyure mais la réussite du film est prouvée par le fait que le plaisir est néanmoins toujours de la partie. Une seconde vision vous le fait appréhender d’un regard totalement différent, à tel point que l’impression qui domine est presque d’en avoir vu un autre. Tout cela pourra vous paraitre opaque ; tout comme sa différente manière de le percevoir si l'on ne retient que son titre, faisant penser à une comédie romantique, ou alors son pitch qui évoque plutôt un thriller. Qu’attendre alors de ce premier long métrage visible de Claude Lelouch ? Sachez que rien d’autre ne sera dévoilé ici sur le fond au risque de gâcher la vision du film, si ce n’est que ce dernier pourrait constituer une réflexion espiègle sur les apparences trompeuses. Ce qu’il en résulte est que, dès ce film, le réalisateur était passé maître en manipulation des spectateurs. Pas une manipulation malsaine mais au contraire assez jouissive.


Lelouch n’a beau jamais avoir été intégré à la Nouvelle Vague, le style de L’Amour avec des si... fait énormément penser aux films de Godard et notamment A bout de souffle, sans que ses expérimentations en fassent un film inaccessible et austère, tout au contraire ! Cassures narratives, jeux sur le son, les cadrages et l’image, les incongruités du montage (comme cette idée cocasse du montage parallèle entre les images du Débarquement et celles de la jeune femme courant entre les blockhaus), les digressions nombreuses, les séquences inutiles et parfois trop longues mais tellement cinégéniques qu’elles en deviennent assez jubilatoires (voir la poursuite en voiture sur les routes enneigées du Nord de la France), l'intrusion du documentaire au sein de la fiction, la caméra à l’épaule, la caméra subjective, le positionnement politique (contre la maltraitance animale, la guerre d’Algérie ou la peine de mort, sujet sur lequel il réalisera un film, La Vie, l’amour, la mort)... On se rapproche donc beaucoup d’une certaine tendance de la Nouvelle Vague. Mais contrairement aux films réalisés par "l’intelligentsia" du mouvement (que je ne renie absolument pas car j’en suis également friand), le cinéma de Lelouch est plus facile d’accès, plus populaire dans le sens noble du terme, témoin son utilisation de la musique de variétés, dont deux chansons signées Danyel Gérard, ou encore ce scoptione des Brutos avec Aldo Maccione en membre de ce groupe totalement improbable.


Au final, on obtient un patchwork très attachant, à l’image du cinéaste et de son œuvre. Un film dans lequel la radio pourrait être vue comme un personnage à part entière, comme on le verra à nouveau dans Un homme et une femme ; mais comme ce sera encore le cas pour sa Palme d’or, de la radio mise en images par tout un fatras de choses différentes comme des micros-trottoirs de Jacques Martin, des images fixes, des "clips" ainsi que des images d’archives... Ces multiples expérimentations ne sont pas forcément toutes d’une grande subtilité (cf. les effets de zooms), certains dialogues feront grincer des dents (notamment sur la thématique du viol), certains tics paraîtront un peu agaçants et (ou) maladroits ; il s’agit cependant d’une espèce de road movie tout à fait délicieux et au concept tout aussi original que mystificateur, au cours duquel Lelouch semble s'être régalé de bout en bout, mettant parfaitement en valeur les paysages très photogéniques d’une France du littoral sous la neige.


A signaler enfin que ses deux comédiens principaux, la piquante Janine Magnan ainsi que Guy Mairesse, sont tous deux excellents dans ce modeste film au charme fou, rafraichissant et bouillonnant d’idées, aussi expérimental qu’accessible à tout public et ayant parfaitement réussi à capter l’air du temps, en proposan par la même occasion un captivant document sociologique. Dès ses débuts, Lelouch impose avec humour énormément de fantaisie, d’audace, d’énergie et de générosité ainsi qu’avec un goût immodéré pour l’expérimentation sa façon d’écrire et de filmer qui perdureront tout au long de sa fructueuse et captivante carrière.

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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 15 février 2023