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Critique de film
Le film
Affiche du film

L'Ami américain

(Der amerikanische Freund)

L'histoire

Jonathan Zimmermann (Bruno Ganz), encadreur et restaurateur de tableaux, vit à Hambourg avec sa femme et leur jeune fils. Croyant être atteint d’une leucémie il pense ne plus en avoir pour longtemps à vivre. Lors d'une vente aux enchères il fait la connaissance de Tom Ripley (Dennis Hopper), un homme mystérieux, semble-t-il dans le trafic de contrefaçons, qui fait la navette entre New York et Hambourg. Ripley apprenant la maladie de Zimmermann, il le met en contact avec Raoul (Gérard Blain) qui lui propose d’assassiner un membre de la mafia actuellement à Paris en contrepartie d'une importante somme d'argent qui lui permettrait d'assurer une certaine sécurité financière à sa famille dans le cas de sa mort prématurée. Zimmermann finit par accepter se trouve vite pris dans un engrenage criminel dont il aura du mal à se dépêtrer…

Analyse et critique


Il n’est pas forcément aisé de narrer l'intrigue de L’Ami américain qui prend ses bases dans deux romans de Patricia Highsmith, Ripley s'amuse en majeure partie, mais également Ripley et les Ombres, le premier ayant fait l’objet d’une autre adaptation par Liliana Cavani au début des années 2000 avec John Malkovivh dans le rôle du fameux Ripley, personnage devenu surtout célèbre au cinéma grâce à Alain Delon dans le Plein soleil de René Clément puis à Matt Damon dans le remake de ce dernier par Anthony Minghella, Le Talentueux Mr Ripley. Une intrigue dont les contours ne s’avèrent pas toujours très nets, le spectateur se sentant parfois un peu perdu lors de la seconde partie plus confuse d’autant que les desseins de certains protagonistes demeurent également assez obscurs. Ce n’en est pourtant aucunement rédhibitoire puisque la clarté du récit (néanmoins pas si nébuleux que ça avec un peu de concentration) n’a volontairement guère été recherché par Wim Wenders qui connait très bien ses classiques du film noir hollywoodien et qui ne pourra pas se targuer d’avoir écrit une histoire plus alambiquée que par exemple celle du Grand sommeil de Howard Hawks, paramètre qui ne l’a pourtant jamais empêché d’être un chef d’œuvre dont on suit les chemins tortueux et emberlificotés avec toujours autant de délectation. A travers L’Ami américain, Wenders a surtout cherché à rendre hommage à un genre de cinéma pour qui il a toujours éprouvé une grande passion, à peindre une galerie de personnages psychologiquement assez complexes, tous un peu paumés et dont les motivations ne sont pas toujours bien définies, ainsi qu'à décrire une improbable mais réelle histoire d’amitié.


Avant de se lancer dans ce polar, Wim Wenders venait de clore un corpus de trois longs métrages que Carlotta lors de la sortie de son coffret a très justement intitulé la ‘trilogie de la route’ (Alice dans les villes, Faux Mouvement et Au fil du temps), films presque tous sortis en même temps dans notre contrée et qui nous firent découvrir le cinéma si particulier du réalisateur. Avec l’Ami américain, même sous l’enveloppe d’un film noir, Wenders poursuit ses précédentes expérimentations, son ton et son style sont immédiatement reconnaissables, la parenté indiscutable, l’errance, la solitude et le doute faisant une nouvelle fois partie du ‘package’. Fasciné par les USA et son cinéma, il n’est pas étonnant que le cinéaste abordât un jour ce genre d’autant qu’à cette époque ses livres préférés étaient ceux de Patricia Highsmith auprès de qui il eut un peu de difficultés à obtenir les droits d’adaptation. Pour l’anecdote la romancière fut assez dure envers le film en le découvrant avant de faire volte-face quelques années plus tard. Malgré aussi un tournage assez pénible ("le pire de ma vie") faute notamment à des relations tendues entre les deux comédiens principaux, Dennis Hopper étant à cette époque dans une phase suicidaire, L’Ami américain sera le long métrage qui le fera véritablement décoller et qui propulsera sa carrière, les précédents ayant surtout été des succès d’estime et ayant plus retenu l’attention de la critique que du public.


Son admiration sans bornes pour le cinéma américain - et plus globalement la culture anglo-saxonne - profondément ancrée en lui, Wenders se livre à un bel hommage aux grands maitres du genre ainsi qu’à la peinture américaine hyperréaliste au cours d’un exercice de style très maitrisé, une œuvre baignant dans une atmosphère 'mélancolico-poisseuse' dans laquelle, en prenant son temps comme il nous a habitué auparavant et pour notre plus grand plaisir, il s'amuse avec les codes du film noir américain tout en les dévoyant. Il dépeint avec un immense talent de paysagiste, de photographe et de cadreur de surprenants décors naturels urbains minutieusement choisis à l’intérieur de villes dans lesquelles déambulent nos protagonistes, notamment Hambourg et Paris, certains plans de New-York s’avérant eux aussi absolument étonnants, tel celui avec Nicholas Ray qui clôt le film. La photographie de Robby Muller jouant sur les contrastes gris/couleurs vives est picturalement magnifique ou tout du moins très originale : "On a manipulé pas mal les couleurs pendant tout le tournage. Il y a assez souvent une lumière mixte : artificielle et naturelle, ce qui donne aussi un effet un peu étrange. On a essayé avec tout le traitement de la couleur d’obtenir une certaine atmosphère artificielle, étrange" dira Wim Wenders à l’époque de la sortie du film.


Mais le film n’est pas que formaliste, Wenders réussissant tout aussi bien à brosser d’attachants portraits de personnages pas toujours nécessairement recommandables. Outre les seconds rôles, d'un côté l'ambigu Ripley dont on a du mal à cerner les motivations et à le situer par rapport à la loi, homme torturé délivrant quotidiennement son journal sonore en s’enregistrant sur magnétophone ; pour l'interpréter Dennis Hopper a énormément improvisé son jeu d’acteur contrairement à Bruno Ganz alors plus traditionnel dans son travail de comédien. De l'autre donc, campé par ce dernier, Jonathan Zimmermann qui, de citoyen lambda devenu tueur à gages amateur, va voir sa vie chamboulée et se voir précipité dans une inéluctable et infernale spirale autodestructrice, pris en tenaille entre deux bandes criminelles qui se livrent une guerre sans merci. Seule source de douceur et de pragmatisme auquel il parvient parfois à se raccrocher dans ce monde cynique, oppressant et brutal, son épouse interprétée par la formidable Liza Kreuzer malheureusement un peu sous-utilisée par Wenders mais qu’on se consolera en allant la retrouver dans un thriller français bien trop méconnu d’à peu près la même époque (1981), le formidable Il faut tuer Birgit Haas de Laurent Heynemann dans lequel l’actrice donne toute la mesure de son talent et s'avère inoubliable.


Des virages scénaristiques parfois déroutants, des péripéties inattendues, de superbes et efficaces scènes de filature dans le métro parisien, de beaux moments de suspense (dans le train notamment, hommage évident à Hitchcock, tout comme précédemment la séquence de la vente aux enchères renvoyant déjà à La Mort aux trousses), des meurtres long et laborieux dont la cause première est l’incompétence et le manque d'expérience du tueur (l’on repense encore à Hitchcock, notamment à la célèbre séquence dans Le Rideau déchiré), des personnages à la fois mystérieux et pour certains attachants, une musique entêtante de Jurgen Knieper et une mise en scène inventive d'un Wim Wenders en pleine possession de ses moyens. Alors certes L'Ami américain pourra paraitre parfois un peu brumeux et obscur mais également captivant de par son ton lancinant, les chemins de traverse empruntés, le mystère de son intrigue et certains des personnages qui la peuplent (notamment le peintre campé par Nicholas). Un très beau, élégant et envoutant thriller baroque et métaphysique qui en prenant son temps nous aura fait réfléchir sur la solitude et la mort et dans lequel on se sera amusé à reconnaitre les amis réalisateurs de Wenders, outre Dennis Hopper, Gérard Blain, Nicholas Ray, Samuel Fuller, Daniel Schmid, Jean Eustache et Peter Lilienthal. Un film curieux, pas toujours aimable mais pourtant constamment séduisant.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 30 novembre 2023