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Critique de film
Le film
Affiche du film

Il faut tuer Birgitt Haas

L'histoire

Athanase (Philippe Noiret), chef d’un groupe de contre-espionnage français, est chargé par les services secrets allemands de supprimer Birgitt Haas (Lisa Kreuzer), ex-terroriste ; en échange de cette mission les Français obtiendront des renseignements sur l’identité d’un haut-gradé qui met à mal les ventes d’armes de leur pays. Colonna (Bernard Le Coq), l’un des membres du groupes d’Athanase, suggère de maquiller le futur assassinat en crime passionnel. Pour cela ils choisissent pour pigeon un homme effacé au bord du gouffre, Bauman (Jean Rochefort), ayant des difficultés à trouver un emploi et que sa femme vient de quitter. La manipulation peut se mettre en place, le but étant de faire tomber Bauman dans les bras de Birgitt Hass réputée pour être une mangeuse d’hommes, et de lui faire porter le chapeau une fois que la femme aura passé l’arme à gauche…

Analyse et critique


Laurent Heynemann, ancien assistant de Bertrand Tavernier sur ses premiers films (c’est à cette occasion qu’il se prendra d’amitié pour Philippe Noiret et Jean Rochefort dès L’horloger de St Paul), devient réalisateur en 1977 avec un film sur la guerre d’Algérie, La Question. La politique continuera d’être au premier plan de beaucoup de ses films suivants dont celui qui nous concerne ici, le trop méconnu et pourtant superbe Il faut tuer Birgitt Haas. Juste avant, Heynemann avait signé le très bon Le Mors aux dents sur une escroquerie politique montée dans les milieux hippiques avec en têtes d'affiche Michel Piccoli et Jacques Dutronc. Dans les décennies 80 et 90, on retiendra encore Les Mois d’avril sont meurtriers avec un Jean-Pierre Marielle époustouflant ou Faux et usages de faux avec de nouveau Philippe Noiret. Au vu de l'intéressante filmographie de Laurent Heynemann, ce dernier mériterait que les éditeurs se penchent davantage sur son cas puisque actuellement peu de ses films sont visibles sur support numérique voire même rarement diffusés à la télévision. Ceci étant dit, un immense merci à LCJ de nous faire découvrir ou redécouvrir Il faut tuer Birgitt Haas qui peut, à mon humble avis, se voir hisser sans honte parmi les plus beaux films d’espionnage de l’histoire du cinéma.

Étrange et un peu triste qu’hormis un DVD sorti à la sauvette, ce film n’ait pas été davantage diffusé car, à l’époque, son accueil fut excellent : même Alain Corneau ne tarissait pas d’éloges à son propos alors qu’il faisait la promotion du Choix des armes. Laurent Heynemann reste d’ailleurs très fier de son film et nous ne pouvons que lui donner raison tellement la réussite est présente à tous les niveaux. Lui, grand amateur de romans et films d'espionnage, qui avait été un peu attristé de s'être fait devancer par Michel Deville pour l’adaptation du Dossier 51, film pour lequel il voue une grande admiration, peut se vanter d’avoir fait tout aussi bien dans un style évidemment totalement différent. Il faut tuer Birgitt Haas relate une manipulation mise en place pour mener à bien une mission consistant à assassiner une ex-terroriste devenue gênante pour les services secrets allemands, sans que cela ne passe pour un assassinat politique, sans que jamais ne soient dévoilées les véritables motivations des commanditaires. Elles ne sont a priori pas très nettes et semblent vouloir faire endosser à cette femme retirée de quelconques activités révolutionnaires la responsabilité de futurs attentats préparés par des terroristes aux valeurs totalement opposées aux siennes. Les espions allemands préfèrent que ce soient leurs homologues français qui s’en occupent afin de n’avoir aucune retombée. En contrepartie ils fourniront à leurs collègues de l’Hexagone des informations sur un militaire qui gêne les ventes d’armes de leur pays.


La première séquence filme le visage de Birgitt Haas en gros plan, visage qui sort petit à petit de la pénombre alors que l’on entend un agent secret allemand expliquer la mission qu’il confie aux français en faisant le portrait de cette femme que l’on comprend immédiatement être une victime à laquelle on va s’attacher. Elle est surtout présentée comme dangereuse et nymphomane alors qu’elle s’est depuis longtemps retirée des mouvements activistes et qu’elle aime en tout bien tout honneur changer de partenaire sexuel quand cela lui chante. Pour incarner la proie de cette redoutable machination, une très belle performance de Liza Kreuzer, également l’actrice inoubliable des films de Wim Wenders des années 70 (de Alice dans les villes à L’Ami américain), surtout lorsque l’on sait qu’elle avait appris ses répliques phonétiquement, qu’elle ne savait pas du tout le français et qu’elle ne comprenait rien à ce qu’elle disait. La beauté de son visage et sa magnifique présence font tout le reste ; sa brève mais intense histoire d’amour avec Jean Rochefort est tout aussi crédible que bouleversante. Birgitt Hass est un personnage d’une grande richesse, future victime sacrifiée aux ‘intérêts supérieurs’, ancienne terroriste d’ultra-gauche, intelligente, élégante et cultivée, consciente du danger qui la menace et qui sent très bien son inexorable fin prochaine sans savoir d’où viendra le danger. Une femme qui doute mais qui n’a pas trop de remords quant à son passé d’activiste, persuadée d’avoir mené la lutte pour ses intimes convictions et contre les inégalités. Elle n'est alors plus dupe d’être recherchée pour de mauvaises raisons, totalement dégoûtée d’être remise sur le devant de la scène pour qu’on puisse lui faire porter le chapeau d’actes provenant de groupuscules d’extrême droite.


On comprend d’autant plus vite que l’empathie du spectateur se focalisera sur elle (Liza Kreuser est tout simplement inoubliable dans le rôle) que les membres de cette organisation ultra secrète sont présentés sous un jour extrêmement moins glorieux même si le scénario est dépourvu de tout manichéisme. Ces hommes et cette femme (Monique Chaumette), même si leur basse besogne principale est de monter des manipulations afin de faire assassiner, n’en sont pas moins décrits avec beaucoup d’humanité, chacun ayant leurs failles et leurs faiblesses. Seul le personnage de Colonna, arriviste cynique interprété par Bernard Le Coq, n’attire aucune sympathie - d’autant que ses motivations pour faire passer ce meurtre en drame passionnel le concernent directement : dans le film de Heynemann, contrairement au roman qu’il adapte qui attend la fin pour les dévoiler, elles sont connues ici avant le deuxième tiers. Mais afin de laisser le plus de mystères possible aux futurs spectateurs je n’en dirai pas plus non plus. Athanase est le chef de cette équipe dont les quartiers généraux se situent souvent dans des sous-sols ou dans des hangars. Sous son apparente froideur, ce ‘chasseur d’hommes’ est déterminé et très lucide. Il apprécie les membres de son groupe, est à leur écoute lorsqu’ils ont des coups durs dans leurs vies privées et, malgré son cynisme, cache une certaine générosité ainsi qu’un cœur disponible aussi bien pour l’amour que pour l’amitié. Dans ce rôle, Philippe Noiret fait des merveilles et il s’avère très attachant ; tout comme ceux qui l’entourent joués par Roland Blanche, Michel Beaune et bien d’autres encore, un peu moins célèbres.


C'est à Jean Rochefort qu'échoit le rôle de ‘l’appât malgré lui’ ; et d'admettre qu'il nous étonne encore plus qu'à l'accoutumée tellement il se retrouve ici en terrain miné dans un registre qu’on lui connaissait peu (ou pas), celui d’un homme à la dérive, terne, déprimé, effacé et désabusé mais éminemment romantique. Les séquences qui le réunissent pour des moments de quotidien les plus banals avec sa mère ou son face à face avec Philippe Noiret sont d’une remarquable sensibilité grâce non seulement à l’écriture mais aussi à la qualité des dialogues et bien évidemment à leurs interprètes. Il est assez cocasse d’apprendre que le scénario avait été écrit en pensant à Patrick Dewaere pour le rôle de Bauman - film qu’il a refusé car il devait dans le même temps aller tourner Beau-père pour Bertrand Blier - et qu’aucune ligne du scénario ni des dialogues n’a été modifié pour Jean Rochefort, sauf la mention de son âge. D’où cette surprenante performance du comédien qui doit parfois dire des répliques que l’on aurait plus pensé voir sortir de la bouche de Dewaere. Le fait que Rochefort soit constamment convaincant dans cette 'partition dramatique' à priori peu fait pour lui renforce sa prestation. Malgré la difficulté du rôle, il aura rarement été aussi touchant.


Deux autres personnages viennent s’ajouter à cette intrigue : la ville de Munich, très bien filmée, ainsi et surtout que la musique de Philippe Sarde qui prend des accents très 'mahlériens', sans thèmes vraiment identifiables à la première écoute ni par là même entêtants, mais cependant d’un lyrisme échevelé qui hausse souvent le film vers des sommets. Quant au final qui fera peut-être grincer les dents des amateurs du roman qui parleront sans doute d’édulcoration, elle est très belle et vient mettre du baume au cœur au milieu de ce cynisme ambiant et de ce voyage au sein des dessous peu glorieux des sordides magouilles politiques et de l’espionnage international. L’amitié peut-elle surpasser la raison d’état ? Un film dramatiquement très dense, à la mise en scène soignée, à l’atmosphère sombre extrêmement bien rendue, au rythme pas spécialement trépidant mais pourtant sans temps morts, superbement écrit sans lourde complexité et avec une consistante description psychologique de chacun des protagonistes, brillamment dialogué et interprété à la perfection. Un passionnant thriller d’espionnage, cohérent, réaliste et très crédible ; une formidable réussite qu’il faut impérativement découvrir ou redécouvrir !

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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 6 février 2023