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Critique de film
Le film
Affiche du film

Hors d'atteinte

(Out of Sight)

L'histoire

Jack Foley n'a pas son pareil pour braquer en douceur les banques. Malheureusement pour lui, il est poursuivi par la guigne et se retrouve condamné pour la troisième fois à une peine de prison. Alors qu'il a vent d'un projet d'évasion dans les rangs de prisonniers, il en profite pour se faire la malle, avec l'aide de l'un de ses complices en liberté, Buddy. Karen Sisco, une marshall, tente de s'interposer ; les deux hommes l'embarquent avec eux, Jack montant dans le coffre avec elle. Coincés dans ce lieu exigu, Jack et Karen font connaissance avant de, rapidement, tomber amoureux l'un de l'autre. Un jeu du chat et de la souris commence alors entre eux deux...

Analyse et critique


Hors d’atteinte est un film charnière pour chacun de ses principaux participants. Steven Soderbergh y conclut la traversée du désert qui a suivi sa Palme d'or de 1989 pour Sexe mensonges et vidéo en réussissant enfin l'équilibre entre ses velléités expérimentales et un ton plus accessible. George Clooney trouve enfin LE rôle et le film qui vont lancer sa carrière cinématographique depuis son départ de la série Urgences, et Jennifer Lopez signe ce qui reste à ce jour sa meilleure prestation. Le projet résulte du succès de Get Shorty (1995) de Barry Sonnenfeld, dont le succès incite son producteur Danny DeVito à lancer une nouvelle adaptation d'Elmore Leonard - ici le roman Loin des yeux. Comme souvent avec l’auteur, nous aurons une intrigue policière relativement simple dont la saveur naît auparavant de l’étude de caractères, de la truculence et du charisme des personnages. Cette simplicité au service des codes classiques du polar est transcendée par le traitement de Soderbergh, qui transpose avec brio nombre d’expérimentations formelles et narratives développées dans des œuvres plus alambiquées comme A fleur de peau (1995) et Schizopolis (1996).


Le récit fait le va-et-vient entre passé et présent pour tisser dans un parallèle limpide les enjeux criminels et intimes du film. On suit donc Jack Foley en cavale préparant un coup tandis que les flash-back en prison nous informent des tenants et des aboutissants de celui-ci. Mais ce qui importe cependant à Soderbergh, c'est l'histoire d'amour Clooney / Lopez autour de laquelle il parvient à tisser un écrin romantique et sexy. Clooney en cambrioleur sexy fait preuve d'un charme, d'un charisme idéal desquels transparaît la vulnérabilité grâce à ses repères ébranlés par sa rencontre avec Lopez. Cette dernière, tour à tour fragile, sensuelle et dure à cuire (il faut voir la scène où elle rembarre une petite frappe trop entreprenante), est sensationnelle et aurait vraiment dû faire une toute autre carrière après ce film. L’alchimie du duo offre les plus beaux moments du film baigné de sensualité. La séduction dans le coffre de la voiture se dépêtre d’un long tunnel de dialogues en huis clos incroyable et dont on suppose l’improvisation. La promiscuité physique forcée tire vers une attirance et une complicité inattendues en captant le regard changeant que chacun porte sur l’autre, trahit le trouble dans les modulations des voix et de la gestuelle. C’est bien simple, sans l’image et avec uniquement le son on croirait à une scène de rencontre et de séduction classique tant Soderbergh instaure subtilement cette complicité. La scène du dîner, avec en montage alterné et flash-forward la scène d'amour qui suit, est également une merveille de sensualité où Soderbergh tutoie les cimes smooth de L’Affaire Thomas Crown, bien aidé par la bande-son de David Holmes. Soderbergh par sa belle gestion de la temporalité annonce en moins cafardeux L'Anglais (1999), tandis que la photo d'Elliot Davis aux teintes identifiant l’espace géographique (couleurs saturées et ensoleillées à Miami, et bleues métallisé hivernal quand l'action se déroule à Detroit) préfigure Traffic (2000) en plus subtil.


Ces audaces ne sortent jamais le spectateur du film car constamment en corrélation sensitive avec les états d’âme des personnages. Ainsi la scène d'amour avec ses arrêts sur image légèrement saccadés semble vouloir figer dans le temps les instants de liberté de cette histoire d'amour condamnée. Ce mélange de cool et de tension érotique n’estompe cependant pas la pure veine de polar avec un milieu criminel dont la dangerosité se rappelle à nous le temps de quelques saisissants sursauts de violence. L’autre grand atout repose sur un fabuleux casting parmi lequel on trouve quelques futurs réguliers des film produits par Soderbergh et Clooney : Don Cheadle en caïd, Ving Rhames en acolyte au dangereux sentiment de culpabilité, Steve Zahn hilarant en perdant magnifique, Dennis Farina, Luiz Guzman et même Nancy Allen dans un petit rôle. Hors d’atteinte est un polar classieux, un des meilleurs films de la décennie qui se permet le luxe d'être aussi bon que l'autre adaptation plus médiatisée d'Elmore Leonard sortie la même année, le Jackie Brown de Quentin Tarantino. Une continuité sympathique (et ce, grâce à un accord avec Miramax) de l’univers cinématographique d’Elmore Leonard sera d’ailleurs permise avec Michael Keaton qui tient le même rôle dans les deux films. Le plaisir procuré par Hors d'atteinte se poursuit jusqu’à la dernière scène où Samuel L. Jackson fait un caméo mémorable en prince de l'évasion, nous laissant définitivement le sourire aux lèvres lors du générique de fin.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 14 juin 2021