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Critique de film
Le film
Affiche du film

Gouverneur malgré lui

(The Great McGinty)

L'histoire

Tourmenté par sa conscience à cause d'un moment de malhonnêteté, un comptable veut se suicider. Pour le dissuader, un barman lui raconte comment un moment d'honnêteté lui a coûté sa place de gouverneur...

Analyse et critique


Gouverneur malgré lui constitue une date dans l’histoire du cinéma hollywoodien puisqu’il inaugure avec Preston Sturges l’accession des scénaristes au poste de réalisateur. Sturges ouvre ainsi la voie à de prestigieux collègues tels que Billy Wilder ou John Huston qui saisiront l’opportunité pour mener les grandes carrières que l’on sait. Preston Sturges débute au théâtre où plusieurs pièces à succès le font remarquer par Hollywood, et il se voit embaucher par le studio Paramount au début des années trente. Ses talents en font rapidement un des scénaristes les mieux payés du studio, mais il ressent une vraie frustration au vu du traitement infligé par les réalisateurs à ses scripts et dialogues, certains de ses travaux comptant néanmoins parmi les comédies les plus inventives des années 30 comme le furieux Train de luxe de Howard Hawks (1934) ou La Vie facile de Mitchell Leisen (1937). Soucieux d’être dorénavant maître de l’orientation de ses écrits, Sturges a l’audace de vendre le script de Gouverneur malgré lui (rédigé six ans plus tôt) au studio pour un dollar symbolique, en échange de pouvoir en signer la réalisation. Contre toute attente, le studio accepte et fera même de l’anecdote un argument publicitaire en se vantant d’avoir payé son réalisateur pour la somme légèrement supérieure de dix dollars.


Preston Sturges n’a pas encore une totale latitude sur ce premier film, et on remarque quelques scories qui deviendront des atouts par la suite. Alors qu’il se révélera un véritable maître pour passer du rire aux larmes dans des ruptures de ton aussi surprenantes qu’harmonieuses (la conclusion sidérante de Miracle au village (1944), l’hilarant canular qui tourne au drame de Christmas in July (1940)), cela se fait de manière trop abrupte ici notamment ce qui concerne les circonstances du rapprochement puis du mariage (même arrangé) de McGinty (Brian Donlevy) et sa secrétaire Catherine (Muriel Angelus). On ressent déjà ici la manière dont Sturges s’inscrit faussement dans les pas d’un Frank Capra dont il détourne la candeur pour instaurer davantage de mauvais esprit. Capra dans ses classiques de l’époque (L’Extravagant Mr. Deeds (1936), Monsieur Smith au Sénat (1939), L’Homme de la rue (1941)) façonne un schéma narratif voyant un démuni se confronter au cynisme du monde des affaires, de la politique ou des médias, y mettre à l’épreuve sa candeur et sa naïveté, et en sortir vainqueur. Le pauvre, fort de ses privations et de sa modeste condition, en tire une « sainteté » propre à faire vaciller les fondations déshumanisées d’une société capitaliste dans un pur idéal de gauche.


Preston Sturges reprend ce point de départ dans Gouverneur malgré lui, mais son héros saute à pieds joints dans le système corrompu qui lui permettra de sortir de la fange. McGinty ne vient de nulle part, n’a rien à perdre, et c’est ce détachement et cette insolence qui en font une recrue de choix pour le gangster local (Akim Tamiroff) qui va en faire son cheval de Troie au sein des institutions. Sturges ne nous rend pas McGinty attachant par sa pureté, mais plutôt par une caractérisation obéissant à l’instinct de survie du pauvre qui saisit les opportunités qui s’offrent à lui. Il n’a pas pour but de révolutionner le monde, mais simplement de survivre un jour de plus. Il ne se départira jamais de cette nature, même quand elle entrera en contradiction avec la réelle position de pouvoir à laquelle il va parvenir et au sein de laquelle il pourrait vraiment agir pour la collectivité. Chaque séquence invitant à cette prise de conscience « à la Capra », par l’entremise de son épouse, tombe à plat. Même au poste de gouverneur, McGinty ne se départit pas de la courte vue du pauvre pour lequel chaque lendemain est une lutte. Le dialogue entre McGinty et Catherine vers la fin du film où elle lui parle d’idéaux et qu’il lui narre son enfance sinistre est éloquente à ce sujet. Sturges ne plaque pas une grande pensée sur un protagoniste hors-norme, mais accepte la modestie et la petitesse de son héros. D’ailleurs si McGinty est délesté de tout grand dessein pour le collectif, il s’avère un être aimant et prévenant dans l’intimité, la complicité qu’il va nouer avec Catherine et ses enfants – même si le film se montre trop expéditif dans la description de cet aspect.


On retrouve finalement là une approche typique de Preston Sturges dans ses œuvres suivantes. Le cinéaste des Voyages de Sullivan (1941) réconfortera davantage les pauvres à sa petite échelle d’amuseur plutôt que de supposé grand humaniste filmique, l’anesthésiste de The Great Moment (1944) renonce à la gloire de son invention pour en laisser profiter les plus pauvres, le protagoniste de Héros d’occasion (1944) accepte en définitive de ne pas être un grand héros de guerre mais juste un jeune provincial modeste. On pourrait y voir un renoncement face à la corruption ambiante, mais Sturges n’a jamais voulut faire porter le poids de cette responsabilité à ses personnages et s’amuse de leurs imperfections – l’amorce de la veine cartoonesque à venir que l’on voit dans les bagarres déchaînées entre McGinty et le gangster. Chez Sturges les héros ne représentent pas une perfection à égaler, mais une délicieuse et rieuse maladresse dont il faut se régaler.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 29 mai 2023