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Critique de film
Le film
Affiche du film

La Vie facile

(Easy Living)

L'histoire

Au cours d'une dispute conjugale, un banquier milliardaire et coléreux jette la veste de zibeline de sa femme par-dessus le balcon de sa luxueuse demeure. Le manteau atterrit sur Mary, une jeune employée pauvre et honnête qui passait par là. Cette dernière cherche à le restituer mais Mr Ball, bon prince, le lui offre et l'accompagne en voiture chez un modiste de luxe. Aussitôt les gens jasent et les malentendus s'accumulent joyeusement.

Analyse et critique

Easy Living est une screwball comedy des plus furieuses et inventives où s'annoncent déjà le sens du chaos et l'hystérie des futures réalisations de Preston Sturges. Celui-ci signait là le premier scénario du contrat qui le liait alors à la Paramount, remaniant de fond en comble une histoire à l'origine écrite par Vera Caspary. Les exécutifs du studio goûteront peu le ton survolté de son script et, malin, Sturges le délivrera en main propre à Mitchell Leisen qui, séduit, en lance aussitôt la production. Les deux hommes se retrouveront d’ailleurs par la suite pour une autre belle réussite, le mélodrame Remember the Night (1940).


Comme nombre de grandes comédies des années 30 (Les Invités de huit heures (1933) de George Cukor, Mon homme Godfrey (1936) de Gregory La Cava), Easy Living est un film où sous la légèreté plane le spectre de la Grande Dépression - et sans doute ce qui reste de plus significatif du premier jet de Vera Caspary qui vécut durement cette période-là. C'est notamment le cas dans plusieurs films de Mitchell Leisen dont Easy Living inaugure le postulat qui voit une intruse de basse extraction s'immiscer chez les nantis dont elle va dérégler les certitudes comme dans La Baronne de minuit (1939), La Duchesse des bas-fonds (1945), La Mort prend des vacances (1934) dans une variation masculine et plus surnaturelle. Tous les traits d'humour et les rebondissements reposent donc sur la condition financière apparente ou supposée des personnages, et ce dès l'entrée en matière hystérique. Le richissime banquier J.B. Ball (Edward Arnold) y arpente furibard sa luxueuse demeure en hurlant après domestiques, femme et enfants concernant le gaspillage qu'il constate de toute part.

C'est une de ses colères qui lance l'intrigue lorsqu'il jette par la fenêtre une fourrure hors de prix achetée par son épouse. Le manteau tombe sur la tête de Mary Smith (Jean Arthur), une modeste employée qui passait par là. Celle-ci s'empresse de venir le rendre mais Ball; trop heureux du mauvais tour joué à sa femme; l'enjoint à le garder et lui achète même un chapeau dans une boutique de luxe. Dès lors, l'entourage suspecte une liaison entre eux, ce qui va entraîner une drôle de réaction en chaîne... Le film est propice à de grands numéros comiques et de charme des attractions principales du casting, Edward Arnold et Jean Arthur. Le premier signe une prestation bougonne et colérique absolument déjantée, où entre son phrasé mitraillette, son timbre de stentor et ses manières d'ours mal léché ; il se révèle aussi intimidant qu'attachant. Quant à Jean Arthur, elle demeure l'une des stars hollywoodiennes les plus attachantes, ici à croquer en jeune écervelée dont la candeur irrésistible le dispute à la détermination d’un caractère bien trempé. Elle se distingue par une veine vulnérable de ses contemporaines Barbara Stanwyck ou Ginger Rogers qui, dans ce même registre de la "fille du peuple" luttant pour subsister, dissimulaient leur fragilité sous une armure gouailleuse et cynique.

L'intrigue prend en effet un tour délicieusement scabreux quand divers personnages supposant sa liaison avec le puissant banquier lui proposent cadeaux et avantages de plus en plus extravagants en échange de faveurs sans qu'elle ne se doute de rien. Le plus insistant est le propriétaire d'hôtel en faillite Louis Louis (Luis Alberni tout aussi excité que ses collègues, les déboires de son personnage s'inspirant du réel flop des Waldorf Towers au moment de leur ouverture à l'époque) pour une série de quiproquos tordants. On sent vraiment l'influence de Sturges, que ce soit le jeu à la fois comique et tragique sur la condition difficile de Jean Arthur (lorsqu'elle cherche un sou pour s'acheter de quoi manger) qui annonce Les Voyages de Sullivan mais aussi les dérapages incontrôlés où s’invite le chaos comme ce restaurant qui finit dévasté ou encore le finale dans la banque. Même si l’élégance de Mitchell Leisen prédomine, nous avons là en germe la folle séquence des chasseurs en train de The Palm Beach Story (1942).


Sous ce déchaînement parvient à se glisser une bien jolie histoire d'amour entre les attentes complémentaires de celui qui se cherche une carrière (Ray Milland excellent en fils à papa perdu) et celle qui se cherche une vie (Jean Arthur), l'alchimie entre eux fonctionnant idéalement en quelques séquences tendres et amusantes (le baiser sur le canapé et le petit regard de Jean Arthur qui brisera les défenses du plus cynique des spectateurs, le gag de la baignoire géante). Le romantisme, l’élégance de Mitchell Leisen - dont le passif de décorateur se ressent une fois de plus dans la stylisation de l’environnement des nantis - rencontrent pour le meilleur la folie douce de Preston Sturges, les deux se rejoignant dans la profonde tendresse qu’ils ressentent pour leurs personnages.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 10 mars 2022