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Critique de film
Le film
Affiche du film

Frankenstein rencontre le loup-garou

(Frankenstein Meets the Wolf Man)

L'histoire

La tombe de Larry Talbot est ouverte par deux détrousseurs de cadavres. Malheureusement pour eux, Talbot se réveille en loup-garou à cause de la pleine lune. Récupéré et étudié par un hôpital, il s’évade et continue à tuer malgré lui. Talbot n’a qu’une idée : trouver le moyen de mourir définitivement, seule échappatoire à sa malédiction. Sur son chemin, il parvient à retrouver Maleva, la gitane qui l’avait aidé autrefois. Ensemble, ils font route vers la maison de Ludwig Frankenstein, car ce dernier est sans aucun doute le seul spécialiste capable de conjurer le sort. Cependant, Talbot découvre bien vite que cet éminent docteur est décédé dans des circonstances tragiques qui ont fortement marqué le pays. Mais le monstre vit toujours...

Analyse et critique


Frankenstein Meets the Wolf Man est une date importante dans l’histoire du cinéma fantastique, ainsi que dans le cinéma en général. En effet, ce film est le tout premier cross-over de l’histoire. Le principe du cross-over est de mêler deux univers distincts, qui ne se sont jamais rencontrés et qui vivent originairement dans deux univers séparés. Bien avant que ce ne soit à la mode dans les années 2000 avec Freddy vs. Jason ou Alien vs. Predator, la Universal lance ce projet à la fois novateur et terriblement excitant. Le résultat est très concluant, le film de Roy William Neill restant l’un des meilleurs cross-over du cinéma, si ce n’est le plus beau, loin devant les autres exercices du même genre. Le film présente en effet un habile mélange entre l’univers de Frankenstein et celui de The Wolf Man, deux des plus grands mythes de l’horreur classique. De surcroît, cette séquelle se veut être la continuation de deux films : The Ghost of Frankenstein et The Wolf Man. Au début des années 1940, la Universal se retrouve détentrice de deux franchises rapportant beaucoup d’argent mais dont l’avenir reste incertain. D’un côté, le mythe de Frankenstein s’est déjà illustré au travers de quatre films (le dernier faisant poindre un notable essoufflement, heureusement sans conséquence majeure) et la production voit alors mal comment l’aventure peut continuer. Les scénarios les plus aboutis et les plus évolués ont été exploités dans les films précédents, il est donc très difficile de se lancer dans un cinquième opus sans risquer la répétition et le ridicule. De l’autre côté, le mythe du loup-garou, après avoir été lancé au cinéma sans grand succès au milieu des années 1930, est enfin propulsé sur le devant de la scène grâce à un nouvel essai encore plus concluant réalisé par George Waggner en 1941. The Wolf Man a remporté un triomphe en salles, et il n’est pas question de laisser sommeiller pareil retentissement. Mais comment relancer les mésaventures de Larry Talbot sans reprendre les éléments du premier film, au risque de les resservir à l’infini ? En mêlant les deux franchises, la Universal a eu une idée de génie, relançant une nouvelle fois la série des Frankenstein avec brio, offrant sa meilleure suite à The Wolf Man (la seule réellement digne d’intérêt) et mettant en place une rencontre hors du commun.


Même si aucun membre de la famille Frankenstein ne répond présent, ce qui est un bien tant l’artifice familial a auparavant largement été éprouvé, l’esprit de la saga demeure au travers des obsessions latentes du scientifique et de la présence de la créature. En premier lieu, la distribution des acteurs a de quoi satisfaire, grâce à la présence de grands habitués du genre. Lon Chaney Jr., présent dans The Wolf Man mais aussi dans The Ghost of Frankenstein où il tenait le rôle du monstre, reprend merveilleusement son personnage de Larry Talbot. Plus désespéré encore dans son interprétation, l’acteur démontre ses brillantes capacités dramatiques trop souvent ignorées par la critique. Attirant sympathie et pitié comme personne d’autre, Chaney Jr. émeut autant qu’il porte le film grâce à son impressionnante présence. Malgré des aînés nettement supérieurs (Lugosi, Karloff ou Rains), il a définitivement impressionné le cinéma fantastique de son empreinte, surtout grâce au rôle du loup-garou auquel il a apporté toute son humanité et sa fragilité. Curieusement, c’est dans les nombreuses scènes où il ne se transforme pas qu’il est le plus intéressant. Bela Lugosi, dans sa dernière apparition chez la Universal (avant les pitreries d’Abbott et Costello), prête ses traits au monstre. Son temps de présence à l’écran n’est pas énorme, le film se concentrant bien davantage sur Larry Talbot. Boris Karloff fut le meilleur à incarner la création de Frankenstein, à la fois touchant, effrayant et pathétique. Par la suite, Lon Chaney Jr. avait correctement rempli son contrat dans le quatrième film, et cela bien que son monstre fut réduit à l’état d’objet, aux réactions souvent inintelligibles. Bela Lugosi utilise pour sa part une approche différente, incarnant un monstre certes dénué d’humanité et de toute la profondeur que Karloff y avait investi, mais impressionnant dans ses apparitions et au regard chargé d’une méchanceté que l’on ne connaissait pas chez la créature. Et ce rapport s’avère très intéressant, surtout quand on se souvient de la fin de The Ghost of Frankenstein, le précédent épisode, quand le cerveau d'Ygor / Lugosi était transplanté dans le corps du monstre, et qu’il devenait ensuite empli d’une rageuse envie de destruction. (1) Ce n’est pas tout, car Lugosi incarnait également Bela, le fils de la gitane Maleva, dans The Wolf Man. Volontairement, la Universal entretient donc une troublante continuité entre les deux films, Chaney Jr. et Lugosi se révélant être des choix judicieux pour ce nouvel épisode, tant leur rapport aux deux histoires s’avère étroit.


Parmi les acteurs déjà vus, on retrouve Patrick Knowles, pâle incarnation de scientifique qui ne trouve son intérêt que dans quelques séquences bien choisies. Après Son of Frankenstein et The Ghost of Frankenstein, Lionel Atwill joue les utilités en tant que maire du village de Vasaria, et c’est toujours un plaisir que de le voir à l’écran. Quant à Ilona Massey, notamment aperçue dans Invisible Agent, elle distille un peu de charme à l’ensemble, même si son rôle n’apparaît que pour respecter le "quota féminin" du film (le côté "potiche" en agacera plus d’un). On peut également apprécier les rapides incursions de Dwight Frye qui, telle une tradition respectée, apparaît dans tous les films de la saga depuis le premier Frankenstein en 1931. Mais plus encore que tout cela, c’est en particulier la direction visuelle du film qui est une éblouissante réussite : la photographie, les décors et l’atmosphère œuvrent dans la voie de l’esthétique macabre la plus pure. En ce sens, le savoir-faire de la Universal témoigne une fois encore d’une vigueur exceptionnelle : forêts embrumées, cimetière abandonné, tombe ouverte, campement gitan, hôpital épuré aux murs nus, château en ruine et barrage qui explose ! A la faveur de moyens conséquents, la mise en scène offre des instants stupéfiants de beauté, introduisant une fois de plus poésie et enthousiasme pour un résultat efficace et puissant. Thématiquement bien moins passionnant qu’auparavant, le scénario préfère se concentrer sur une diégèse purement récréative, aux décors de glace et aux nuits teintées de brouillard, ménageant entre autres de jolies scènes de bravoure. Car souvent le récit ne manque ni de rythme, ni d’action, entre échappée à cheval sur une charrette et bagarre au sommet entre le monstre et le loup-garou. Cette dernière est emballée en moins de deux minutes, impressionnante malgré ses limites, et culminant dans un engloutissement final du château par une rivière en furie. Roy William Neil orchestre ces instants de bonheur en bon réalisateur qu’il est (onze Sherlock Holmes à son actif, parmi lesquels figurent quelques merveilles) et hisse son film au rang de classique du genre. Et ce ne sont pas les somptueux maquillages concoctés par le génial Jack Pierce, dont l’importance est souvent capitale, qui viendront contredire cette assertion.


Du générique d’ouverture, affichant un titre apparaissant en fumée (une technique originale pour un beau générique), à la fin présentant une scène apocalyptique entre un monstre et un loup-garou détruisant tout le décor avant qu’une cascade d’eau ne s’en charge définitivement, Frankenstein Meets the Wolf Man est une authentique réussite plastique dotée d'une ambiance délicieusement macabre. La Universal peut se féliciter d’avoir offert à cette rencontre légendaire un écrin du plus bel effet.

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(1) Rappelons que la créature de Frankenstein devenait de ce fait aveugle à la fin de The Ghost of Frankenstein. C'est la raison pour laquelle Bela Lugosi le joue dorénavant dans cet opus en imitant la démarche pataude d'un monstre devenu aveugle, et donc les bras souvent dirigés vers l'avant afin de se protéger d'un environnement forcément inconnu de son regard. Ce choix artistique a souvent été raillé par la suite, car le cascadeur endossant la responsabilité des séquences d'action sur le film n'avait pas pris en compte ce problème affectant le monstre, créant ainsi une discordance parfois visible à l'écran : Lugosi joue un monstre aveugle, tandis que les séquences d'action présentent la créature agir différemment, plus à l'aise avec ce qui l'entoure.

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La fiche IMDb du film

Par Denis Bastien - le 25 novembre 2015