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Critique de film
Le film
Affiche du film

Le Spectre de Frankenstein

(The Ghost of Frankenstein)

L'histoire

La malédiction plane toujours sur le village de Frankenstein. Les habitants meurent de faim, les plantations ne donnent plus rien, les touristes ne viennent plus. Il est donc décidé d’aller brûler le château de la famille Frankenstein, désormais abandonné, pour conjurer le sort. Encore vivant, le vieil Ygor réussit à emmener son ami le monstre, libéré de sa prison de souffre solidifié. Puis, ensemble, ils s’échappent in-extremis de la grande bâtisse sur le point de s’écrouler. Ygor décide d’emmener le monstre à la rencontre de Ludwig Frankenstein, un éminent docteur, le deuxième fils de Henry. Bientôt, un autre village est secoué par les agissements du monstre. Ludwig, tout d’abord désireux de défaire le travail de son père, est rapidement pris par l’envie de continuer les expériences...

Analyse et critique


Après l’étonnante et très belle réussite que constitue Son of Frankenstein, il paraît très difficile de concevoir la présence d’une suite. Et pourtant ce fut le cas, à plusieurs reprises, à commencer par The Ghost of Frankenstein en 1942. Au début des années 1940, la Universal commence à donner un certain nombre de suites à tous ses plus grands mythes de l’horreur : la momie, l’homme invisible et Frankenstein. De plus, il faut compter sur la présence de la nouvelle star du film d’épouvante : Lon Chaney Jr. Alors qu’il vient de triompher dans The Wolf Man en 1941, Chaney Jr. se retrouve obligé de jouer pratiquement tous les monstres de la firme, dont certains plusieurs fois de suite. L’acteur est donc naturellement engagé sur la production de The Ghost of Frankenstein, ainsi que quelques autres noms afin d’arborer une belle affiche, comme Bela Lugosi et Lionel Atwill. Rowland V. Lee est quant à lui remplacé par Erle C. Kenton, auteur de l’étrange et fascinant Island of Lost Souls en 1933. Kenton est un bon artisan, composant son film avec une aisance visible, offrant de jolis plans, mais s’appuyant surtout sur un bon montage et quelques images chocs afin de réussir son film. Là où les trois autres opus étaient de grandes œuvres, profitant généreusement de toutes leurs possibilités et fonctionnant sur un lot de talents considérable dans l’optique de former une puissante synergie de tous les instants, ce quatrième film se contente de repartir sur des bases usées et de répéter une formule qui a déjà fait ses preuves. Tous les éléments participant à la construction du film sont un bon cran en dessous de tout ce qui a brillamment été tenté auparavant. Les moyens donnés par la firme pour tourner ce long métrage ont sans aucun doute été largement suffisants, comme en témoignent les effets spéciaux toujours aussi réussis, mais l’on sent très vite que les fastes du précédent film ne figureront pas en ces lieux. Les décors seront alors volontairement plus sobres, de même que la qualité d’écriture du scénario. Toutefois, les quinze premières minutes demeurent flamboyantes, portant encore en elles une part de l’ampleur de Son of Frankenstein. L’assaut du château par les villageois et son dynamitage, ainsi que la fuite de nos deux acolytes dans un paysage brumeux sont de purs et beaux moments de cinéma offrant une continuité directe et très digne à la fin du troisième film. Plus tard, il faudra se contenter de quelques passages secrets et de deux ou trois salles médicales pour tout décor fantastique.


Au niveau de l’histoire, plusieurs choses sonnent de façon répétitive : le deuxième fils de Frankenstein qui refuse de reproduire les erreurs de son père et de son frère, les quelques personnages secondaires sans aucune consistance (la fille de Ludwig, le futur gendre), ou le rapport que le monstre entretient avec la petite fille qui reste trop peu esquissé alors que cela aurait pu être une continuation très intéressante du rapport qu’il avait eu avec la petite fille du premier film. Cependant, l’œuvre déploie tout de même quelques arguments imparables pour séduire le spectateur. L’esthétique visuelle, bien qu’amoindrie, n’en demeure pas moins remarquable. De plus, certaines séquences font mouche : le gazage du monstre dans le couloir, l’opération du cerveau, l’évasion du monstre au tribunal, les séquences avec Ygor... Ce dernier entretient un troublant trait d’amitié avec la créature, trait qui gagne en profondeur par rapport au film précédent. The Ghost of Frankenstein est d’abord un film sur le devenir d’Ygor, la créature devenant quasiment secondaire, contrairement aux trois autres épisodes. Ygor est le personnage sur lequel se centre réellement l’histoire, une amitié profondément douloureuse entre un monstre qui n’a la faculté de penser qu’épisodiquement et un autre monstre qui rêve d’un ailleurs égocentrique, de conquérir le pouvoir qu’il n’a jamais eu, de posséder la force qui lui fait défaut et de devenir invincible pour se jouer de la vie et de la mort, cette dernière laissant sur lui des séquelles jusque-là irréparables. La relation entre les deux personnages atteint son apogée dans ce quatrième film, et c’est là son intérêt principal. Le cerveau d’Ygor sera transplanté dans le corps du monstre, les deux rejetés de la société ne feront désormais plus qu’un. L’amitié née de la haine et de la douleur écrasera désormais toute raison, et la folie toute notion de bien et de mal, pour ne garder finalement qu’une puissance infinie mise au service de l’exaltation de la souffrance.


Bela Lugosi incarne un Ygor authentique, attire souvent la compassion et se montre étrangement plus agressif encore lorsqu’il n’est plus qu’une voix. De fait, une fois le cerveau transplanté dans le corps du monstre, ce dernier prend la voix de Bela Lugosi, toute chargée de haine et de fureur, créant ainsi un grand moment d’horreur et de cinéma en général, malgré la naïveté du propos. Lon Chaney Jr. incarne pour sa part le géant né de l’imagination de Mary Shelley. Par manque de prestance et de créativité dans le rôle (alors qu’il est excellent dans celui de Larry Talbot, le loup-garou), il réduit son personnage à l’état d’objet doucement pataud, n’arrivant jamais à faire oublier l’immense Boris Karloff. La faute incombe bien entendu davantage au scénario. De son côté, le sympathique Ralph Bellamy n'offre que fadeur et inconsistance, et cela même s’il y met du cœur. En scientifique traître et borné, Lionel Atwill se contente de nous offrir sa robuste personnalité, finalement assez peu concerné par son rôle conventionnel. Reste Ludwig Frankenstein, interprété par un Cedric Hardwicke convenable, mais un peu trop monolithique pour un protagoniste beaucoup moins attrayant que son frère Wolf. Notons enfin la présence d’Evelyn Ankers, récente nouvelle venue à la Universal, depuis The Wolf Man, et qui va bientôt prêter ses jolis traits à plusieurs personnages féminins interchangeables dans des productions futures.


The Ghost of Frankenstein reste néanmoins un très bon divertissement. Si la distribution n’est que partiellement bien employée et la mise en scène modérément dynamique, le scénario parvient à dépeindre un duo monstrueux avec beaucoup d’intérêt, faisant ici résider la force principale d’une œuvre de qualité, mais qui compte pourtant de conséquentes faiblesses. Desservi par trois premiers films absolument brillants, ce quatrième opus peut malgré tout s’enorgueillir d’être tout à fait efficace, quelquefois même traversé d’un court mais sidérant éclair de beauté : « I never saw this... man before in my life. I know nothing about him. »

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Denis Bastien - le 17 novembre 2015