L'histoire
Wolf Frankenstein et sa famille vont s’installer dans le village de Frankenstein, nommé ainsi en raison des expériences effectuées par le père de Wolf, Henry, qui ont traumatisé la région plusieurs années auparavant. Plein de bonne volonté, installant son laboratoire et rénovant les lieux, Wolf ne souhaite qu’une seule chose : s’intégrer parmi les habitants et faire oublier le passé de sa famille. Cependant, il fait la connaissance de Ygor, un être rendu difforme suite à sa pendaison ratée, qui lui montre le corps du monstre resté caché depuis longtemps et devenu son ami. Wolf décide alors de poursuivre l’œuvre de son père, afin de réhabiliter sa mémoire. Il ramène le monstre dans son laboratoire et lui redonne vie, à la plus grande joie d’Ygor qui voit là l’occasion de se venger de ses bourreaux. Une vague de meurtres déferle à nouveau sur le village, les habitants reprennent peur et la police enquête...
Analyse et critique
Au début de l’année 1939, le cinéma fantastique n’existe plus - les majors s’en sont totalement désintéressées - et le nombre de films d’épouvante produits depuis la deuxième moitié de l’année 1936 est quasiment nul. L’heure est surtout aux serials (Shadow of Chinatown, Flash Gordon, Flash Gordon’s Trip to Mars...) et aux séries de films policiers d’atmosphère (Charlie Chan, Mr Moto, Mr Wong...), seuls garants au cinéma d’un univers mêlé de mystère et parfois de fantastique. Et pourtant, la deuxième grande période du film d’épouvante à Hollywood va bientôt pouvoir commencer. Les ressorties de Dracula et de Frankenstein ont provoqué un large enthousiasme populaire que n’attendait pas la Universal, ce qui pousse cette dernière à mettre en chantier un nouveau film réunissant nos deux stars de l’horreur, Boris Karloff et Bela Lugosi. Et quoi de mieux que de les réunir dans un film faisant suite à deux premiers opus parmi les plus grands succès des années 1930 ? Carl Laemmle Jr. n’est plus à la direction de la firme, mais la production recommence malgré tout avec vigueur. Pour ce troisième Frankenstein, James Whale refuse d'assurer la réalisation, jugeant que l’histoire a atteint ses limites. Il faut donc lui trouver un remplaçant. C’est au très bon metteur en scène Rowland V. Lee, réalisateur de l’intéressant Zoo in Budapest en 1933, que revient l’honneur et la lourde tâche de continuer l’aventure. Le film va bénéficier des meilleures conditions de préparation, grâce à un budget important (environ 420 000 dollars) et à une distribution remarquable. Boris Karloff accepte même de reprendre son rôle de monstre une ultime fois. Le public sera largement au rendez-vous à la sortie de cet excellent divertissement qui n’hésite pas à multiplier les scènes d’anthologie et d’intelligentes idées de scénario. Longtemps conspué par les puristes qui lui reprochaient de trahir l’univers original instauré par les deux œuvres de Whale, Son of Frankenstein a peu à peu gagné la place qui lui est due, celle d’une petite merveille frôlant le statut de chef-d’œuvre, et continuant génialement les obsessions déployées par les deux premiers opus, bien que légèrement en deçà de manière générale.
Une fois admis cela, on pourra se délecter de l’ensemble. L’atmosphère est tout à fait exquise, grâce à des décors magnifiques, une photographie remarquable, une troupe d’acteurs du tonnerre, ainsi qu’à une mise en scène élégante et sophistiquée. Les vingt premières minutes sont à ce titre plus envoûtantes que jamais. Rowland V. Lee n’est certes pas James Whale, ce dernier ayant définitivement tourné les deux meilleurs films de la saga produite par la Universal, mais il s’en sort avec un savoir-faire qui force le respect. On ne retrouve pas la fluidité, l’enchantement et la poésie propres à la mise en scène de Whale, mais on assiste à un sens millimétré du cadrage, à un enchaînement ininterrompu de plans plus beaux les uns que les autres, et à un rythme à la fois dosé et terriblement rapide. Lee a conçu un très beau film, probablement le meilleur de sa carrière. Il faut voir les nombreux décors à l’architecture démente, Wolf Frankenstein et Ygor déambuler dans les souterrains du château, ou encore les nombreux couloirs expressionnistes de ce dernier pour s’en convaincre : il s’agit d’un film plastiquement renversant, renouant très visiblement avec la tradition expressionniste allemande. Entre ombres épaisses et sources de lumières savamment disposées, le photographie parvient à donner une texture mystérieuse du plus bel effet aux souterrains, aux passages secrets, aux corridors, aux escaliers et aux rues des alentours. On aurait pu craindre que le scénario sombre dans la répétition et la médiocrité, surtout en raison du fait que l’œuvre de Mary Shelley ne pouvait alors plus produire de matière pour écrire un script, les deux autres films en ayant absorbé à peu près toute la substance utilisable. Mais au contraire, l’histoire est originale, passionnante, inventant de nouveaux personnages, croquant de savoureux portraits, offrant un fils de Frankenstein presque aussi finement dépeint que son père. Le retour de la créature est certes relativement inexplicable, cette dernière étant logiquement morte dans l’explosion de la tour à la fin du deuxième film, mais élégamment ignoré par le scénario qui préfère amener le monstre de manière simple et tout à fait poétique. Bien que nettement moins émouvant que The Bride of Frankenstein, Son of Frankenstein garde les ingrédients indispensables pour renforcer l’émotion produite sur le spectateur : le monstre est à nouveau touchant de simplicité dans certaines de ses nombreuses apparitions, Ygor est loin de n’être qu’un personnage horrible de plus (il est aussi une victime, un "homme-monstre" rejeté par la mort et mutilé par la vie, parfois touchant dans son rapport au monstre), ou encore le petit garçon et sa naïveté rappellent la petite fille près de la rivière dans le premier film.
Bien sûr, Son of Frankenstein n’oublie à aucun instant qu’il est aussi un film d’épouvante, à l’atmosphère malsaine et aux multiples séquences d’horreur. Meurtres, instants de suspense, courses poursuites, pluie battante et personnages inquiétants, rien ne manque dans cette "petite boutique des horreurs". Basil Rathbone, également célèbre pour son incarnation de Sherlock Holmes (deux fois chez la 20th Century Fox et douze fois chez la Universal), produit des étincelles en affichant une interprétation de haute volée. Charismatique, il couvre toute l'étendue de son personnage avec une rigueur étonnante. Sa performance dans le rôle du fils de Henry Frankenstein est admirable et parvient sans peine à égaler celle de Colin Clive dans les deux premiers films. Lionel Atwill, grand habitué du genre de l’épouvante, campe de manière truculente et décalée un inspecteur de police manchot, mais courageux et tenace. Tout nouveau venu dans l’univers de Frankenstein et méconnaissable sous son maquillage très convaincant, Bela Lugosi interprète Ygor en utilisant la puissance d’acteur dramatique qu’on lui connaît. Souvent inquiétant, dangereux et paranoïaque, Lugosi tire le personnage de son carcan horrifique restreint pour en faire un homme digne de pitié en certaines occasions, lui donnant alors toute son ambiguïté ainsi qu’une brutalité paysanne effrayante. Son charisme et sa voix font le reste. Enfin, Boris Karloff reprend une dernière fois son rôle de monstre, toujours aussi bouleversant, malgré une écriture du personnage cette fois-ci bien moins intéressante. Personne d’autre que lui n’aura mieux incarné cette créature, avec autant de passion, de vérité et de justesse. A peine notera-t-on un changement visuel chez le monstre : un manteau de berger à la place de la tunique noire, symbole d’un retour à l’état de nature qu’il fut à l’évidence obligé de faire après son bannissement de la société des hommes. Le choix, s’il peut paraître esthétiquement discutable, tire en tout cas toute sa force dans la thématique présente. Le temps a passé, le monstre est toujours là, mais il est condamné à vivre caché dans la nature.
Son of Frankenstein n’est peut-être pas du niveau de ses deux prédécesseurs, mais il y tend considérablement, alignant les séquences fortes et imaginatives avec la volonté farouche d’offrir une histoire originale, horrifiante et poignante. Le spectateur pourra peut-être lui reprocher certaines choses, comme un propos général trop éloigné de celui des deux films de Whale, ou encore une fin légèrement trop rapide, mais l’ensemble conserve beaucoup d’inspiration entretenue par une qualité artistique irréprochable. Ce film important demeure un véritable bijou de l’âge d’or hollywoodien, relançant en outre la production fantastique dès le début de l’année 1939 qui entame ainsi une seconde période aussi fructueuse qu’inégale.