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Critique de film
Le film
Affiche du film

Coup de fouet en retour

(Backlash)

L'histoire

1870, Arizona. Jim Slater (Richard Widmark), ancien soldat confédéré, cherche des informations à propos de ce qui s'est passé à Gila-Valley où il a perdu les traces d'un père qu'il n'a d'ailleurs jamais connu. A cet endroit, un groupe de six prospecteurs ayant débusqué un filon de 60 000 dollars s'est retrouvé pris en embuscade par les Apaches, cinq d'entre eux ont trouvé la mort à cette occasion. Il semblerait que le sixième, au lieu de chercher du renfort comme il avait pour mission de le faire, aurait laissé ses compagnons périr afin de récupérer pour lui seul les dollars. Au moment où débute le film, Slater est en train de déterrer les corps ensevelis afin d'essayer de les identifier et peut-être découvrir la vérité sur ce qui est réellement survenu. Arrive Karyl Orton (Donna Reed) dont l'époux faisait partie du groupe et qui souhaite récupérer sa part du butin. Surgit également un troisième larron qui tente de les abattre, mais que Jim réussit à mettre hors d'état de nuire. Il s'agit d'un assistant du shérif de Silver City, le frère d'un des six hommes du groupe de Gila-Valley. Jim et Karyl décident de le ramener en ville où le shérif leur ordonne sans attendre de quitter sa paisible cité, non sans leur avoir donné le nom du soldat qui a mis en terre les hommes massacrés. Les voilà partis à sa recherche ; ils le retrouvent dans un relais de diligence assiégé par les Apaches. Avant de mourir d'une balle indienne, le sergent Lake (Barton MacLane) aura eu le temps de donner de nouvelles informations à Jim afin qu'il puisse poursuivre sa quête, qui le mènera au Texas au milieu d'une guerre fratricide entre gros ranchers. Outre la volonté de découvrir la vérité, ce que Jim souhaite avant tout c'est se venger du traître qui aurait abandonné son père à une mort certaine. Il n'est pas au bout de ses surprises car l'identité des morts n'est encore pas clairement établie et les 60 000 dollars ont disparu...

Analyse et critique

Aujourd'hui surtout réputé pour ses westerns, John Sturges avait pourtant déjà plus de 20 films à son compteur lorsqu'il tourna Backlash, qui n'est seulement que sa deuxième incursion dans le genre si l'on ne prend en compte ni le médiocre The Walking Hills (Les Aventuriers du désert) ni le superbe Bad Day at Black Rock (Un homme est passé), étant donné que l'intrigue des deux films se déroule à peu près à la date de leur tournage, c'est-à dire-dans la deuxième moitié du XXème siècle. On a eu un peu trop tendance à lire à propos de Coup de fouet en retour qu'il s'agirait de l'un des premiers "sur-western", à savoir un western à tendance psychologique et psychanalytique. A posteriori, c'est tout à fait exagéré : d'une part puisqu'il y eut déjà auparavant bien d'autres titres (et non des moindres) à aborder des thématiques identiques - celles de la recherche du père, du problème de conscience qui se pose lorsque la vérité se fait jour et qu'elle va à l'encontre de ce à quoi l'on s'attendait, etc. (je n'en dirai pas plus afin de ne pas trop dévoiler l'histoire) -, de l'autre puisque tout simplement Backlash est avant tout un film de série B rempli d'action et de retournements de situations mais dont l'axe psychanalytique ne tient quand même à pas grand chose. A vrai dire, la vérité cachée qui est à l'origine de la quête de notre héros relève plus d'un "whodunit" à la Hitchcock que d'une réflexion psychologique pointue et passionnante. Bref, il ne faudrait simplement pas s'attendre à un grand western "adulte" au risque d'être fort déçu : rien que pour ce début d'année 1956, des films comme La Prisonnière du désert (The Searchers) de John Ford, La Loi de la prairie (Tribute to a Band Man) de Robert Wise ou L'Homme de nulle part (Jubal) de Delmer Daves pouvaient se targuer d'aller bien plus loin dans cette voie de la maturité. Quoi qu'il en soit, Backlash (un titre anglais qui claque bien), sorte d'enquête en milieu westernien, est un film qui file à toute vitesse et qui s'avère très agréable à regarder ; seulement pour un western Universal produit par Aaron Rosenberg (on se rappelle surtout de ceux d'Anthony Mann avec James Stewart), on pouvait espérer mieux surtout que, concernant John Sturges, nous en étions restés sur le formidable Fort Bravo, un western MGM d'une toute autre envergure.

« My father was killed at Gila Valley, and I'm going to find the man who murdered him » dira Jim Slater, le personnage interprété par le toujours aussi talentueux Richard Widmark. Voilà le départ de l'intrigue de Backlash et son enjeu principal. Au départ, un groupe de six détenteurs de la somme non négligeable de 60 000 dollars : après un raid indien, cinq morts sont enterrés dans les ruines d'une cabane brûlée et un survivant s'est échappé avec le butin. Jim Slater n'a plus qu'une idée en tête : retrouver et tuer le traitre, celui qui était censé chercher du renfort lors de l'assaut du groupe par les Apaches mais qui a préféré prendre la poudre d'escampette. On connait le nom de trois des cinq hommes morts mais le mystère reste entier concernant les deux autres, trop mutilés et donc impossible à identifier. Un fuyard, cinq morts dont trois identifiés ! Qui des trois est le survivant entre le fils d'un grand rancher texan, le père de Jim Slater ou le mari de Karyl Orton ? C'est cette quête de la vérité et de l'argent disparu qui va faire voyager nos deux personnages principaux de l'Arizona au Texas. Coup de fouet en retour est un western qui débute de la plus belle des manières : le thème musical principal composé par Herman Stein est une pure merveille, intense, dramatique et tourmenté. Dans sa représentation du western, c'est un thème presque aussi définitif que celui écrit par Hans J. Salter pour Les Affameurs. Il nous met immédiatement dans l'ambiance et la première séquence, qui nous plonge directement dans l'action, s'avère remarquable. Pourquoi, alors que Jim et Karyl sont réunis à l'endroit où les cadavres sont enterrés, le frère d'une des victimes cherche-t-il à les tuer ? Nous ne le saurons jamais mais qu'importe ; ce personnage aura permis d'emblée de nous offrir une scène magistrale, presque aussi réussie que les meilleures séquences de Fort Bravo et qui rappelle fortement la dernière séquence de Winchester 73, l'affrontement dans un duel à mort en un endroit désertique, rocheux et montagneux. Où Sturges nous démontre qu'il n'avait rien perdu de son génie de l'appréhension de l'espace et de la topographie ! Une séquence pleine de suspense, parfaitement découpée et sublimement filmée.

Le film de John Sturges partage d'ailleurs d'autres similitudes avec le premier western de l'association Mann/Stewart. La construction du récit par Borden Chase (scénariste des deux films) est assez similaire, même si dans Backlash les personnages principaux resteront les mêmes jusqu'au bout alors que dans Winchester 73 c'était le fusil du titre qui passait de main en main. Mais, dans les deux westerns, le film passe d'un endroit à l'autre d'une manière assez théâtrâle, dans celui de Sturges au fur et à mesure des indices récoltés par les deux personnages. Alors que cela semblait très fluide dans le film de Mann, la structure du récit parait parfois ici un peu artificielle, une sorte de jeu de piste un peu schématique et systématique empêchant le spectateur d'y être totalement immergé et le film de prendre l'ampleur qu'il aurait méritée. Mais le défaut est néanmoins minime et ne nous empêche pas de prendre beaucoup de plaisir à la vision de ce western qui peut ainsi se décliner en plusieurs tableaux, plusieurs actes comme au théâtre. Après le prologue prometteur se déroulant à Gila-Valley et qui voit la rencontre entre Jim et Karyl, puis qui se solde par la mort du tireur mystérieux, on retourne à Silver City où Jim apprend le nom du soldat qui a enterré les cinq cadavres. Le tableau suivant prendra place à nouveau au milieu du désert de l'Arizona avec pour commencer une poursuite de diligence par les Indiens qui, de par son efficacité et ses cascadeurs chevronnés, n'a pas à rougir de la comparaison avec les meilleurs séquences d'action d'un Raoul Walsh, d'un John Ford ou d'un Michael Curtiz. Et puis, production Universal oblige, aucune transparence, aucun gros plan sur les acteurs en studio ne viennent nous gâcher le plaisir comme c'était souvent le cas à la Warner par exemple. S'ensuit alors un petit quart d'heure qui a lieu au sein d'un relais de diligence cerné de toutes parts par les Indiens ; il n'y pas grand chose à en dire pas plus que de la manière dont le petit groupe s'en sortira. Puis nous arrivons à Tucson où les deux frères de l'homme que Jim a tué au départ l'attendent pour se venger. Tendez bien les oreilles, à un moment donné un détail cocasse a probablement échappé au monteur et au réalisateur : durant deux petites secondes on entend le rire suraigu et totalement surréaliste de l'acteur Harry Morgan ; assez étonnant !

Alors qu'ils ont réussi à échapper aux inquiétants "vengeurs", avec une petite blessure à l'épaule pour Jim, nos deux héros se retrouvent à dormir ensemble à la belle étoile ; ce qui donne lieu à une séquence assez émoustillante, celle au cours de laquelle Donna Reed quitte son chemisier pour en faire un bandage à son compagnon de route. Des dialogues assez croustillants s'ensuivent avec de nombreux sous-entendus sexuels, alors que la charmante actrice n'a pas encore recouvert ses affriolants sous-vêtements. Une scène vraiment réussie que cet interlude romantique en diable à la lueur du feu de camp. Enfin, nos deux voyageurs arrivent au Texas pour l'assez long dernier acte qui se décline en deux tableaux, dont la coupure se situe au moment du dévoilement de l'identité de l'homme recherché depuis le début du film. Lors de cette dernière partie, Karyl et Jim se trouvent d'un coup plongés en plein milieu d'une guerre virulente entre gros ranchers, dont l'un d'entre eux serait le fugitif de Gila-Valley, puisque arrivé récemment dans la région avec 60 000 dollars en poche. Après les deux premiers tiers façon enquête et film noir, le dernier revient à des situations de western bien plus conventionnelles et surtout déjà vues et revues. Après un coup de théâtre qui dévoile sans tarder une quatrième identité, il va de soi désormais que le traitre est soit l'époux de Karyl soit le père de Jim. Toutes les questions que l'on se posait se trouveront alors résolues, tous les mystères autour de l'affaire Gila-Valleys levés. Et c'est seulement à ce moment-là que la fameuse psychanalyse tiendra un petit rôle, vraiment tout petit car l'un des personnages ne se posera des problèmes de conscience que le temps de quelques minutes très restreintes. La résolution de l'affaire se révèlera on ne peut plus banale, surtout que les spectateurs avaient certainement tous plus ou moins deviné où les auteurs allaient les emmener. Mais la présence au bout d'une heure de film du toujours excellent John McIntire - souvenez-vous entre autres du "bad Guy" dans Je suis un aventurier (The Far Country) d'Anthony Mann - parvient à nous faire oublier la relative déception que constitue ce dernier acte qui nous prive également d'une épique bataille pourtant attendue entre deux groupes de ranchers ennemis allant se rencontrer au centre ville.

Dans cette section finale, il nous faut supporter aussi William Campbell, aussi caricatural et pénible en jeune pistolero au sang chaud que dans L'Homme qui n'a pas d'étoile (Man Without a Star) de King Vidor. Il s'agit d'ailleurs du seul point faible de la distribution, à cette exception parfaite. A commencer par un Richard Widmark égal à lui-même dans la peau de cet homme à la recherche de son père et de sa propre identité, vigoureux, entreprenant et déterminé, qui n'a pas froid aux yeux et qui ne passe pas par quatre chemins y compris avec les femmes. Ces dernières ne se laissent d'ailleurs pas faire, notamment le personnage joué par Donna Reed qui nous venge de bien des protagonistes féminins souvent bien ternes au sein du genre. De plus, dans le film de Sturges, à l'inverse de beaucoup avant elle, Karyl semble plus intéressée par l'argent que par le sort et le souvenir de son défunt mari. La comédienne, somptueusement belle, qu'elle soit habillée en pantalon ou en robe, montre également un très grand talent dramatique. Le western lui sied décidément à merveille puisqu'elle était déjà excellente dans Bataille sans merci (Gun Fury) de Raoul Walsh, mais surtout dans l'excellent Relais de l'or maudit (Hangman's Knot) de Roy Huggins. Outre John McIntire (dont nous avons déjà touché deux mots), tous les autres seconds rôles sont parfaitement bien choisis. Tout comme les paysages naturels, avec entre autres ces immenses plaines parsemées de cactus ou bien cette colline rocheuse où se déroule le premier affrontement au revolver. Le tout magnifiquement photographié par Irving Glassberg dans un Technicolor chaud, brillant et rutilant. Enfin, même si John Sturges a été et sera plus inspiré dans sa mise en scène, il nous délivre quelques séquences d'action très virtuoses et n'a toujours pas son pareil quand il s'agit de placer ses personnages dans le cadre, de faire prendre à ses comédiens des attitudes et des démarches qui nous resteront longtemps en tête. Coup de fouet en retour est un western de série trépidant et aux nombreuses péripéties, bien interprété et très correctement mis en scène, mais qui pêche un peu par un scénario morcelé, une écriture parfois répétitive et téléphonée. Même si le scénario de Borden Chase est assez malin et souvent palpitant, l'auteur nous a habitué à tellement mieux (avec des enjeux tout autres) que la déception est presque obligatoire. Néanmoins, ne nous y trompons pas, un très bon western.

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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 26 avril 2013