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Critique de film
Le film
Affiche du film

À l’angle du monde

(The Edge of the World)

L'histoire

Les habitants d'une petite île des Hébrides au large de l'Ecosse, assaillis par de multiples difficultés, envisagent d'abandonner les lieux pour chercher une vie meilleure sur le continent. Certains pourtant préfèrent préserver leur mode de vie traditionnel. Le différend fait l'objet d'une compétition entre deux amis, Andrew et Robbie, dont l'un aime la sœur de l'autre. L'épreuve choisie, l'escalade d'une falaise abrupte à mains nues, met leur vie en péril.

Analyse et critique

Cinéaste aventurier s'il en est, Michael Powell aura su illustrer comme personne les contrées britanniques les plus sauvages et reculées, magnifier l'existence frustre mais heureuse de ses habitants. Des films comme A Canterbury Tale, Je sais où je vais ou encore La Renarde sont de véritables odes à la beauté, au pouvoir d'attraction et aussi au danger de cette nature indomptée. Il ne fut donc pas étonnant que Powell réalisa son premier chef-d'œuvre avec un film faisant montre de son goût de l'ailleurs, si loin et si proche à la fois. Au début des années 30, Michael Powell lit un article sur la désertification de la population de Saint Kilda, un archipel du nord de l’Écosse miné par l'exode des jeunes. Fasciné par les faits et les thématiques qui en découlent, il se jure d'en tirer un film un jour. Fatigué d'enquiller les commandes impersonnelles dans le cadre des quota quickies (doubles-programmes de complément aux grosses sorties américaines), le jeune homme se lance dans l'inconnu en 1937 pour ce qui sera une épopée semée d'embûches devant et derrière la caméra avec un tournage en équipe réduite. Premier obstacle et de taille : le tournage sur l'île de Saint Kilda est refusé, obligeant Powell à se rabattre à Foula, dans les Iles Shetland.

The Edge of The World sera à sa sortie grandement comparé au travail de Robert Flaherty par une critique dithyrambique. Pourtant, si Powell use largement des ressorts du documentaire, son film repose sur une vraie trame dramatique. L'intrigue célèbre autant la beauté et le quotidien de cette vie insulaire qu'elle signe leur disparition. Le film s'ouvre ainsi sur un couple de touristes visitant l'île de Foula désormais vide, fantomatique et sans vie. L'animation qui y régnait jadis se devine avec des silhouettes en surimpression avant que resurgissent en flash-back les souvenirs du capitaine qui a vécu en ces lieux. Dix ans plus tôt, les habitants furent en proie à un douloureux choix, partir ou disparaître alors que leur nombre se réduisait. Les clans entre les défenseurs de cette existence menacée et ceux portés vers un ailleurs plus sécurisant se confrontent donc à travers le chef Peter Manson (John Laurie), mais aussi son fils Robbie et son meilleur ami Andrew, qui est amoureux de sa fille Ruth. Le différend va se régler lors de l'escalade d'une falaise par les deux jeunes hommes, dont l'issue tragique bouleverse le destin de tous.

La nature se pose en juge et guide des aspirations de chacun, magnifiquement filmées par Powell. Le sauvetage final dévoile ainsi l'isolement fatal des insulaires, tout comme les tentatives désespérées d'envoi de courrier de Ruth. Dans A Canterbury Tale, on retrouvera ce regard bienveillant et critique de Powell pour ces personnages passeurs mais également accrochés éperdument à leurs traditions, ici avec Peter Manson. En même temps, comment leur en vouloir lorsqu'on est ébloui par la grâce de séquences somptueuses tels cet enterrement où les ombres traversent le cadre brumeux sur fond de chant religieux, ces vues majestueuses de la côte calme ou agitée (et où se projette une ombre funèbre lors d'une mort tragique), ces visages marqués mais fiers de la population vieillissante (Powell ayant comme à son habitude recruté des amateurs locaux).

Powell impressionne par la modernité de sa mise en scène, naturaliste et stylisée à la fois, et capturant par l'image toute une gamme d'émotions (la solitude de Ruth face au coucher de soleil, la nostalgie qui la submerge lorsque son visage en fondu se confond avec les flots) et où les conflits se résolvent sans qu'il soit nécessaire d'en passer abusivement par les mots. Comme cette nature, la vie suit son cours inéluctablement et c'est sur l'exode final attendu que se conclut le film. Pourtant certains ne pourront s'y résoudre et lieront définitivement leur destin à celui de l'île, condamnés à l'oubli. Il en restera pourtant quelque chose, autant dans ce morceau de terre solidement accroché sur l'océan que le sont les visions magiques de Powell dans l'esprit du spectateur. La carrière de Michael Powell est définitivement lancée par l'impact du film, qui lui permet d'être engagé par Alexander Korda. Cependant l'expérience le marquera suffisamment pour consigner ses sentiments dans un livre, 200,000 Feet on Foula, et revenir 41 ans après sur les lieux du tournage pour le poignant documentaire Return to the Edge of the World en 1978 avec les survivants.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 4 novembre 2022