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Livres

Frontière chinoise
de john Ford

Un livre de Sylvie Pierre Ulmann

Date de sortie : 21 novembre 2014
Editeur : Yellow now 
Collection : Côté films #25
Broché : 109 pages

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ANALYSE ET CRITIQUE

Afin d'accompagner la rétrospective John Ford, organisée par la Cinémathèque française, deux livres de circonstance consacrés au cinéaste ont été publiés en novembre par Yellow Now, dans les collections Côté Films et Côté Cinéma. Le premier est un ouvrage collectif, John Ford, penser et rêver l'Histoire, sous la direction de Jacques Déniel, Jean-François Rauger et Charles Tatum, Jr. Le second est un petit format de plus d'une centaine de pages, Frontière chinoise de John Ford (sous-titré : 7 Women), une analyse de Sylvie Pierre Ulmann dédiée au dernier film de fiction du réalisateur.

Depuis 1966, Sylvie Pierre Ulmann a publié de nombreux textes dans Les Cahiers du Cinéma. Elle collabore fréquemment, depuis 1992, à la revue Trafic (P.O.L). Sylvie Pierre Ulmann est notamment l'auteur d'un livre consacré au cinéaste brésilien Glauber Rocha (Cahiers du Cinéma, 1987). Sa route a croisé celle de John Ford, à la sortie de Frontière chinoise en 1966 ; film qu'elle a découvert à 22 ans, dans une salle de quartier, doublé en français, sur l'instance de ses camarades des Cahiers. Le cinéma de Ford ne l'a plus jamais quittée. Depuis le texte de Jean Narboni, La Preuve par 8, écrit lors de sa sortie, Frontière chinoise a suscité de nombreux commentaires. Citons l'analyse originale que lui a consacrée Jean Roy dans son ouvrage Pour John Ford (Cerf 1976), celles de Jean Collet et d'Aimée Agnel dans leurs livres respectifs, John Ford, La violence et la loi (Michalon, Le bien commun 2004), et L'Homme au tablier (la Part Commune, 2002). Deux livres très pertinents écrits sur le grand cinéaste borgne. Mais tout, cependant, n'a pas été dit sur ce film important et encore trop méconnu, qui mérite d'être encore et encore décortiqué.

Me concernant, je ne ferais pas figurer Frontière chinoise dans ma petite liste des grands chefs-d’oeuvre fordiens. Mais le cinéaste a cela de particulier que chacun peut proposer sa petite filmographie sélective. Il est permis d'écrire deux ouvrages sur le réalisateur sans jamais citer les mêmes films. L'essai de Sylvie Pierre Ulmann est une étude plutôt impressionniste. Il est court et se lit d'une traite. Plus de trente pages sont consacrées à des captures d'images - environ 90 illustrations. Soyons sincères, cet essai nous laisse un peu sur notre faim. Il est, certes, une bonne entrée en matière pour ceux n'ont pas encore essayé de décortiquer le film. Mais pour les autres, il risque de paraître un peu mince. Une analyse, proposant une lecture pas à pas du film, aurait été la bienvenue. Le texte est trop général. On attendait davantage de réflexions sur l'opposition entre les missionnaires et les Mongols, l'une des plus violentes et absolues proposées par le cinéma de Ford. Pourquoi ne pas avoir relevé les films en amont qui irriguent ce dernier opus, Marie Stuart et Mogambo ? Les rapports entre le masculin et le féminin sont juste affleurés de la part d'un auteur qui donna pourtant une conférence sur le sujet : Les Hommes et les femmes chez John Ford, une figuration des territoires. (1)

Comme trop d'auteurs "de gauche", Sylvie Pierre Ulmann se justifie, à un moment, de sa passion pour Ford en cherchant à le resituer politiquement, celui-ci ayant eu la réputation après-guerre - par ailleurs injustifiée - d'être un fieffé réactionnaire. Mais outre que le cinéaste dépasse ces catégories politiques trop étroites, se demande-t-on si Homère ou Shakespeare sont réactionnaires, conservateurs ou progressistes ? De même que son classicisme est capable de fulgurances très modernes, à la manière d'un instant atonal pour un compositeur classique, afin de créer un abîme, un déséquilibre, une relecture ; Ford est trop universel pour appartenir à un camp ou à des catégories. Des réflexions de fond auraient mérité d'être davantage exposées, preuve que l'auteur n'a pas livré toutes ses analyses, que l'on devine plus riches et denses. Je retiendrai en revanche de ce livre que Ford est un cinéaste pour cinéaste, que Sylvie Pierre Ulmann aime « la substance de l'oeuvre encore plus que l'accident des films. » On la comprend. Reste que cet essai se lit avec plaisir.

(1) La majuscule sur le H d'homme est de l'auteur.

Par Franck Viale - le 19 janvier 2015