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Livres

JOHN FORD :
penser et rêver
l'Histoire

Date de sortie : 21 novembre 2014
Editeur : Yellow now 
Collection : Côté cinéma
Broché : 253 pages

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ANALYSE ET CRITIQUE

Afin d'accompagner la rétrospective John Ford, organisée par la Cinémathèque française, Yellow Now édite un ouvrage collectif, un recueil de textes, John Ford, penser et rêver l'Histoire, sous la direction de Jacques Déniel, Jean-François Rauger et Charles Tatum, Jr. Un grand format d'environ 250 pages qui réunit des textes d'une vingtaine d'auteurs avec, pour porte d'entrée dans l'oeuvre immense du réalisateur, l'Histoire dans un sens philosophique et poétique. Il se lit volontiers comme une promenade méditative à travers l'Histoire dans le cinéma de John Ford. Ces textes sont signés Bernard Benoliel, Alain Bergala, Francis Bordat, Gérard Bras, Jean Breschand, Alain Brossat, Jacques Déniel, Gilles Esposito, Chris Fujirawa, Pierre Gabaston, Tag Gallagher, Laurence Giavarini, Pierre Gras, Denis Lévy, Gilles Mouëllic, Jean Narboni, Jean-François Rauger, Fabrice Revault, Jean-Marie Samocki et Sergio Toffetti.  Le livre est divisé en six parties thématiques : Penser l'Histoire, Droit et Politique, La Guerre, Paysages imaginaires, Question de formes et Figures bibliques. Mais que le cinéphile se rassure, il s'agit toujours de livrer des analyses esthétiques.

Dans l'ensemble, tous les textes sont d'un grand intérêt. Certes, j'ai pu regretter de lire sous la plume de Pierre Gabaston, dans "Scènes primitives en Amérique" - tout un programme - que dans La Chevauchée fantastique "les Blancs épuisent leur dynamique dans la vie psychique de la pulsion sexuelle plus vite que les Apaches" et que Dallas "s'assortit du beau phallus qu'est Ringo." Un regard lacano-freudien, mais surtout une parenthèse dans cet ouvrage qui délivre de très belles réflexions sur toute l'oeuvre du réalisateur. Chris Fujiwara, par exemple, offre une lecture tout à fait éclairante des Deux cavaliers, film qui divise toujours le petit monde de la cinéphilie. Jacques Déniel s'applique, lui, a réhabiliter l'oeuvre la plus méprisée de Ford, Dieu est mort, n'hésitant pas un instant à écrire : "The Fugitive est une oeuvre passionnante, d'une très grande richesse artistique et intellectuelle. Pour moi, un très grand film moral, spirituel et humaniste, empreint d'un sens aigu de la mise en scène et d'une beauté formelle et picturale qui fait réfléchir sur la politique, la foi, l'idée de Nation et de peuple." L'analyse de Tag Gallagher d'un film militaire de 21 minutes réalisé par Ford en 1957, The Growler Story, apportera définitivement la preuve qu'en mode mineur le réalisateur était toujours capable de livrer une véritable leçon de mise en scène. Ce film est immédiatement visible sur le web, le lecteur pourra vérifier le bien-fondé des réflexions du critique. La métaphore du sous-marin en léviathan est saisissante.

Mais tous les textes, ici, sont à méditer. On découvrira au détour de notre lecture les analyses d'un superbe travelling dans Les Raisins de la colère, d'un plan dans Les Cavaliers dans lequel John Wayne, en officier nordiste, regarde passer sur l'autre rive d'un fleuve une compagnie sudiste. On appréciera une profonde réflexion sur le héros solitaire et tragique, sur l'action, l'Histoire qui la surpasse, les trajectoires fordiennes faites de digressions, de pauses, de hors-champs, d'impasses ; ces fameuses trajectoires spiroïdales propres à l'univers du réalisateur. On sera captivés par un regard sur les images pastorales, sur la propagande de guerre, sur une étude enthousiaste du Fils du désert. On s’attardera sur la somme que constitue L'Homme qui tua Liberty Valance, vaste réflexion philosophique sur l'Histoire qui n'a aucun autre équivalent dans le cinéma. Le lecteur sera curieux de lire un long entretien que Ford a accordé, en 1964, à The American Legion - le réalisateur étant plus loquace pour évoquer la guerre que ses propres films. On retiendra en conclusion les deniers mots intimes de Fabrice Revault, ému par l'intensité du dernier plan de La Prisonnière du désert, l'un des plus beaux, où John Wayne / Ethan Edwards reste au seuil de la maison avant de retourner au désert, dans un final minéral : "(...) Mais j'étais très ému par la figure du marginal solitaire quand j'allais voir des westerns avec mes frères dans ma prime adolescence. Alors le romantisme noir de l'adolescence serait-il prémonitoire, telle une prescience ou plutôt une pré-conscience de ce qui attend l'homme adule, le guette ?" Ces solitaires, qui sont à la fois ces héros et anti-héros fordiens, saisissent quelque chose du mystère que devine le jeune Lincoln en regardant le fleuve. Dans un regard ils perçoivent et absorbent la "matière même dont est faite la terre", pour reprendre une célèbre citation d'Orson Welles. On ne peut que conseiller cette lecture.

Par Franck Viale - le 5 janvier 2015