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Interviews

C'est avec grand plaisir que nous avons retrouvé la verve et l'enthousiasme de Jérôme Soulet, Directeur Vidéo, Télévision & Nouveaux Médias chez Gaumont, ainsi que son équipe. La firme à la marguerite confirme son statut de major-ette, comme il la qualifiait il y a quelques années, et l'engagement soutenu dans la restauration de son catalogue, un travail au long cours remarquable malgré un marché de la vidéo "compliqué". Ce fut de nouveau l'occasion d'une passionnante discussion autour de nos thèmes favoris, qui a permis de découvrir encore davantage le travail complexe d'un éditeur et détenteur de catalogue.

DVDClassik : Commençons par rappeler vos collections autour du patrimoine.

Gaumont : Nous avons trois collections : les Gaumont Classiques, les Gaumont Découverte DVD (« la petite collection rouge » comme l’appelait Bertrand Tavernier) et les Gaumont Découverte Blu-ray, créée en juin 2014. La collection Gaumont Découverte DVD est au rythme de 30, 40, 50 titres par an maintenant. Elle a été lancée pour ne pas attendre les restaurations, nous n'étions pas en mesure de sortir tous les titres de notre catalogue, dont certains dormaient parfois depuis longtemps dans nos archives. Nous ne sortons pas les films aussi vite que nous le souhaiterions, non pas à cause du matériel mais pour des problèmes de droits. Si on a par exemple trois co-auteurs (scénario, adaptation, dialogues), il suffit que l’un des trois ne soit pas d’accord au renouvellement de ses droits pour que tout soit bloqué. Tant qu’un accord n’est pas trouvé avec l’ensemble des ayants-droits, vous ne pouvez pas exploiter l’œuvre.

DVDClassik : Mais les restaurez-vous quand même ?

Gaumont : Non. Lorsqu’on dépense entre 50 000 et 100 000 € pour un film, il faut que nous soyons sûrs de pouvoir le commercialiser sous toutes ses formes, pas simplement pour une édition vidéo. Nous avons une capacité technique et financière pour restaurer une cinquantaine d’œuvres par an mais, en raison des problématiques de droits, nous sommes quelquefois obligés de ralentir le rythme. Je crois que nous arriverons cette année à 41 ou 42 œuvres restaurées sur un objectif de 50. Lorsque la problématique des droits est solutionnée, nous faisons ensuite la recherche des meilleurs éléments sources. Nous ne retrouvons pas toujours le négatif ou l’internégatif et sommes obligés de passer sur du contretype. Ou il peut nous manquer un master magnétique. Ou nous découvrons qu’une bobine a un problème, etc. Dans l’équipe de Safia Miloudi, notre directrice des services techniques, deux personnes travaillent à plein temps pour ces recherches dont une, qui vient de nous rejoindre récemment, travaillait à la Cinémathèque Française. Ces deux personnes sont logées physiquement chez Eclair mais salariées de Gaumont.


Quelques titres de la collection Gaumont Découverte DVD

Les mauvaises langues pourraient nous dire qu’il n’est pas normal que nous ne sachions pas où se trouvent nos propres éléments. Nous savons où cela se trouve mais lorsque nous rachetons un catalogue, il y a parfois des trous. On peut aussi racheter un catalogue sans clause de garantie de matériel, ce qui fait diminuer le prix d’acquisition. Nous ne rachetons pas sans savoir s’il existe un élément quelque part. Ou bien nous savons que le matériel est entreposé à tel endroit mais les boîtes n’ont pas été ouvertes depuis 19 ans. Et quand vous les ouvrez, c’est un peu moisi... Nous continuons de restaurer et d’éditer. La « petite collection rouge » est la plus rentable des trois collections. Je dois reconnaître que j’ai fait fausse route car je pensais que le public voulait voir une œuvre restaurée, éditée au sens noble du terme. Eh bien ce n’est pas forcément le cas. Bertrand Tavernier me l’a dit : « Je préfère voir une mauvaise copie que ne pas la voir du tout. » Nous avons édité dans cette collection des œuvres très abîmées, qui piquent un peu les yeux. Je pense à 9 garçons... un cœur de Georges Friedland avec Edith Piaf. Je peux vous dire qu’à deux-trois moments, cela fait plus que piquer les yeux. Ca fait cligner les yeux ! Donc il y a un public qui veut d’abord découvrir ou revoir une œuvre vue à la télévision il y a X années. Et la « petite collection rouge » se porte très bien. Elle est rentable dès la première année parce que c’est une économie où nous n’investissons pas dans des accompagnements éditoriaux, l’authoring est plus simple que pour un Blu-ray, etc. Les premiers titres de cette collection continuent de se vendre aujourd’hui, même s’ils ont été réédités depuis dans d’autres collections. C’est assez surprenant. L’Assassin habite au 21 a été refait, restauré, pourtant je peux vous dire que nous vendons autant de DVD Gaumont Classiques que de DVD Gaumont Découverte non restauré.

DVDClassik : Est-ce que ce n’est pas une question de disponibilité en boutique ?

Gaumont : Cette problématique est un vrai enjeu mais un faux débat. Nous avons plus de 350 titres dans la « collection rouge ». Un magasin qui voudrait les implanter a besoin de 3 m de linéaire, et aujourd’hui c’est beaucoup. Dans toutes nos éditions nous glissons un petit livret. Ceux qui découvrent la collection peuvent le feuilleter. Le développement de l’e-commerce fait que les titres sont en vente sur différentes plateformes.

DVDClassik : Connaissez-vous justement la part des ventes entre Internet et les magasins physiques ?

Gaumont : Nous l’avons de manière très précise sur les trois premiers mois. Ensuite, on n’y arrive plus parce que c’est disséminé. Beaucoup de points de vente les proposent mais la part des ventes en ligne a toujours été majoritaire sur la collection Gaumont Découverte DVD. Notre meilleur vecteur reste ce petit livret que nous glissons dans chaque édition.


Quelques titres de la collection Gaumont Découverte Blu-ray

DVDClassik : N’y a-t-il pas une concurrence entre vos collections ? Au mois de janvier vous avez sorti Ouvert contre X en Gaumont Découverte DVD, il sort maintenant en Gaumont Découverte Blu-ray. Je m’en suis rendu compte avant d’acheter le DVD.

Gaumont : C’est un loupé de programmation. Nous pensions que le master restauré serait prêt pour la bonne date. On a eu un souci sur ce master et comme je déteste annuler quelque chose que j’ai annoncé, nous avons pris la décision de maintenir la date du DVD. Mais on essaye autant que possible de faire des sorties simultanées entre le DVD et le Blu-ray.

DVDClassik : A une époque, il y avait un an, deux ans d’écart entre les éditions DVD et Blu-ray...

Gaumont : C’était normal puisqu’il fallait le temps de restaurer l’œuvre. Nous serons extrêmement vigilants là-dessus. Néanmoins, lorsque nous sortons des titres restaurés en Découverte DVD et Découverte Blu-ray, j’ai le regret de vous dire que les ventes sont encore aux ¾ pour le DVD sur des éditions qui ont deux ans d’écart. Et ce n’est pas une question de prix puisqu’on est sensiblement sur le même montant, le Blu-ray étant tout de suite inclus dans des opérations 2+1 et revenant donc à 10€ environ. Tout le monde se plaint du marché de la vidéo. Oui c’est compliqué, oui c’est difficile, mais il y a toujours des gens qui achètent des DVD et des Blu-ray. Même si, sur les Blu-ray, c’est quand même beaucoup plus compliqué que sur les DVD. C’est une chose qui ne cessera pas de me surprendre.

DVDClassik : Six ans après notre dernière interview, le DVD a donc toujours pignon sur rue...

Gaumont : Oui, cela n’a pas changé.

DVDClassik : ...Alors qu’en Allemagne et en Angleterre, le public se tourne davantage vers le Blu-ray ?

Gaumont : Alors l’Allemagne et l’Angleterre, je suis allé regarder plus précisément. Ce qui tire le marché du Blu-ray, c’est la nouveauté anglo-saxonne. La part de marché du Blu-ray en Allemagne et en Angleterre est plus importante parce que les films anglo-saxons se vendent beaucoup mieux, proportionnellement à la France. Ils en vendent plus en volume, mais vraiment beaucoup plus. En Allemagne, ils attaquent énormément les prix. Il n’est pas rare de voir un Star Wars attaqué à 12-13-14€. Je vous défie de trouver Rogue One à 15€ en France à sa sortie. Il y a cet effet-là. Et sur le film de répertoire en Blu-ray, le marché anglais a un avantage, c’est la langue : les Anglais achètent beaucoup d’imports. Criterion se vend beaucoup en Angleterre, pas seulement aux Etats-Unis.

DVDClassik : Ils ont même ouvert une branche locale là-bas, récemment.

Gaumont : Ils vendent dans tous les pays anglo-saxons, Nouvelle-Zélande, Australie, etc. Lorsque le BFI édite un classique, ils en vendent hors de l’Angleterre aussi.

DVDClassik : Sur le strict répertoire, nous suivons beaucoup Network ou des petits éditeurs comme ceux-là. Ils ne font que du DVD en Angleterre, à quelques exceptions près.

Gaumont : Un équivalent de L’Assassin habite au 21 en Angleterre, vous le trouverez en Blu-ray. Ouvert contre X, je vous défie de trouver l’équivalent !

DVDClassik : Ils capitalisent surtout sur des gros titres...

Gaumont : Ce qui est normal, pour des raisons économiques. Nous avons aussi cette problématique pour le Blu-ray. Si on regarde titre par titre, certains films ne devraient jamais sortir sur ce support. Mais comme, à côté, nous sommes capables de sortir des Fantômas, des Diner de cons, etc., les succès permettent dans une collection d'éditer des oeuvres plus difficiles.

DVDClassik : Car on trouve désormais dans cette collection de très gros titres, très commerciaux, qui étaient déjà sortis en Blu-ray. C’est un choix afin d’équilibrer le retour financier...

Gaumont : Quand nous rééditons les deux OSS 117, par exemple, c’est parce que nous avons de nouveaux masters et que c’est l’occasion de les remettre en avant, une sorte de relance commerciale.

DVDClassik : Est-ce que l’insuccès de la collection Gaumont Découverte Blu-ray ne s'explique pas par le choix des films proposés, pas forcément très connus, sans noms prestigieux, très ciblés pour les connaisseurs ?

Gaumont : Certains titres ont bien fonctionné comme ça. Ni vu ni connu d’Yves Robert, troisième meilleure vente de la collection Gaumont Découverte DVD (collection rouge) est aujourd’hui l'une des meilleures ventes de la collection Découverte Blu-ray. Il est dans le top 5 des ventes des deux collections. C’est un film qui n’est pas le plus connu de Louis de Funès mais cela suffit pour tirer le titre vers le haut. Et pour Les Copains, c’est la même chose : deuxième meilleure vente de la collection rouge, derrière L’Assassin habite au 21, qui est hors catégorie. Ce sont des films moins connus, qui passent moins à la télévision. Les Grand blond avec Pierre Richard fonctionnent très bien mais ils sont très populaires.

DVDClassik : Où en est-on du plan de restauration lancé avec le Grand Emprunt, sous la présidence de Nicolas Sarkozy ?

Gaumont : Il faut rendre à César ce qui est à César, c’est sous son impulsion que cela a commencé. Il a suivi le dossier, non pas le dossier Gaumont mais celui du Grand Emprunt en général, le plan numérique, et a mis une très forte pression sur le CNC et la Caisse des Dépôts pour que les choses avancent. Il ne faut pas se raconter d’histoires : sans volonté politique, ce dispositif n’aurait jamais été mis en place. Nous avons rallongé la durée pour un même nombre d’œuvres parce que nous avons été trop ambitieux, ce dont nous parlions tout à l’heure avec les problématiques de droits et de matériel. Evidemment, si nous avions inclus dans ce plan de restauration les films de Luc Besson, Le Dîner de cons, Les Tontons flingueurs, il n’y aurait aucune inquiétude de ce côté-là. Mais quand vous commencez à travailler sur 9 garçons... un cœur, pour reprendre cet exemple, on tombe sur des petits soucis de renouvellement de droits. Nous devons terminer le plan de restauration en 2019.

DVDClassik : On parle toujours du premier plan, n'a-t-il pas été renouvelé ?

Gaumont : Nous l’avons prolongé. On arrivera à 270 titres. A côté de cela, nous restaurons des œuvres qui ne sont pas incluses dans le Grand Emprunt, grâce à la commission du CNC ou par nos propres moyens.

DVDClassik : Comme par exemple ?

Gaumont : Les films les plus commerciaux. Le Cinquième élément et Léon ont été restaurés en 4K. Avec la structure Celluloid Angels, nous avons décidé de restaurer Les Tontons flingueurs en 4K. Le master actuel est en "filière HD", nous avons sauté le 2K et nous ne voulions pas attendre le 8K pour lequel nous émettons un certain nombre de réserves pour un film en noir et blanc. La restauration 4K est quasiment terminée, je ne l’ai pas vue. Il y a eu beaucoup de discussions en interne, auxquelles je n’ai pas assisté, sur l’utilisation ou non de l’HDR. Cela offrait des avantages à certains moments, les blancs explosaient à d’autres... Les équipes d’André Labbouz ont la culture de l’intégrité de l’œuvre. Nous n’allons pas essayer de transformer l’image, je n’accepterai jamais qu’on nous accuse de détériorer les images. Si nous dégrainons, c’est parce que nous avons fait des tests d’encodage et que ça remonte trop. Je vous l’ai déjà raconté, après la restauration nous fabriquons un master non dégrainé et un autre dégrainé que nous proposons aux chaînes de télévision : elles prennent toujours le dégrainé. Toujours. Ce n’est pas péjoratif, l’œil de M. Tout le monde s’est habitué à une image un petit peu plus lisse. J’ai eu 100 000 fois ce débat. Je m’en remets à l’ensemble de mes collaborateurs du service technique et à André qui est le plus ancien de la maison, un puriste. En fait, il faudrait qu’on dégraine quasiment plan par plan mais nous rentrerions alors dans une économie plus du tout réaliste. Nous avons donc trouvé la solution des deux masters. Pour l’étranger, nous leur proposons aussi les deux en leur envoyant des extraits via les super systèmes de transmissions actuels. Quelquefois, des télévisions étrangères prennent le master grainé. Sur la restauration 4K des Tontons flingueurs, le débat n’est pas encore tranché.

DVDClassik : Qu’allez-vous faire de ce master 4K ? Un Blu-ray UHD ?

Gaumont : Nous ferons un Blu-ray 4K, sans doute autour du mois de novembre qui est l’anniversaire de la disparition de Georges Lautner. Il y aura une sortie en salle, parallèlement.


Les Tontons flingueurs en Blu-ray UHD pour la fin de l'année

DVDClassik : Ce Blu-ray sera t-il HDR ?

Gaumont : Non. Nous avons fait les tests et nous n’y allons pas. Nous en avons débattu il y a dix jours.

DVDClassik : Je pense que vous avez raison. Vous serez peut-être les premiers à sortir un film aussi ancien en Blu-ray UHD.

Gaumont : Le Vieux fusil pourrait sortir, mais il n’est pas aussi ancien, et il est en couleurs.

DVDClassik : Le plus ancien titre sorti en Blu-ray UHD est Les Affranchis de Martin Scorsese. Le résultat est très beau. Mettez des sous-titres anglais sur votre Blu-ray des Tontons flingueurs...

Gaumont : Je ne suis pas sûr que les chiffres en import soient fabuleux sur nos titres. Mais en même temps, si nous voulons montrer notre cinéma...

DVDClassik : Disons que si vous ne mettez pas de sous-titres anglais, vous n’en vendrez que 50 en France. Avec des sous-titres, vous en vendrez peut-être 75 au total...

Gaumont : Et il ne faut pas le zoner. Mais comme il n'y a pas de zonage sur le 4K...

DVDClassik : Il a enfin disparu ! (Rires) Sinon, il est prévu que Sony sorte Le Pont de la rivière Kwaï. J’attends surtout Lawrence d’Arabie.

Gaumont : Le Blu-ray est déjà impressionnant. Je vais être franc, je n’étais pas super chaud pour une restauration 4K des Tontons flingueurs. Ce sont mes camarades en interne qui m’ont convaincu. Mais comme c’est un film emblématique... Je dois reconnaître que ce que j’ai vu, sur un grand écran chez Eclair, m’a impressionné. Au niveau du son, c’est plus compliqué, un mono reste un mono. Sauf à tricher mais nous ne faisons pas ça. Est-ce que nous ferons d’autres restaurations 4K ? Je rêverais de faire La Folie des grandeurs en 4K. Léon et Le Cinquième élément ont été restaurés avec nos amis de Sony aux Etats-Unis. Safia Miloudi y est allée plusieurs fois et a validé un certain nombre de points. Pourquoi ne les sortons-nous pas en 4K ? Pour laisser les Américains le faire, il n’y a pas d’économie réelle à le sortir. Un authoring 4K, c’est un billet autour de 15 000€, contre 6 000€ pour un authoring Blu-ray de grande qualité, à titre de comparaison. L’authoring des Tontons flingueurs sera fait en France, chez Eclair. Nous ferons la filière intégrale, ce sont eux qui ont restauré le film. Et l’encodage aura lieu plan par plan. Comme nous ne pensons pas faire des masses de Blu-ray 4K, nous voulons soigner ce disque. Nous ferons également un nouveau Blu-ray à partir du master 4K. Je ne devrais pas le dire, mais que le public ne se précipite pas sur le disque actuel, même s’il est très joli et que je le trouve encore très bien. Quitte à vous l’offrir en Blu-ray, attendez plutôt la fin de l’année.

DVDClassik : Eclair s’occupe-t-il de l’encodage de vos Blu-ray ?

Gaumont : Nous travaillons beaucoup avec le laboratoire Silverway, situé près de nos locaux, des gens extrêmement compétents - ce qui ne veut pas dire que les autres ne le sont pas. Je trouve les masters Criterion très froids, très métalliques, avec un encodage pas toujours optimum. C’est comme une sauce que l’on cuisine différemment selon le pays. Silverway connaît notre "saveur" si vous voulez, ils la respectent bien. Nous avons une règle : nous ne faisons rien faire à l’étranger. Nous faisons travailler les entreprises qui payent leurs impôts en France. Nous avons ainsi retiré les Blu-ray d’un de nos presseurs qui faisait migrer sa chaîne de production en Allemagne. Avec le Grand Emprunt, nous prévoyons 270 films restaurés. A côté de cela, nous restaurons 15 à 20 titres par an avec le CNC. Et nous en restaurons autant sans l’aide de personne. Grosse modo, nous restaurons une soixantaine de titres chaque année.

DVDClassik : Cela ferait donc près de 200 titres restaurés depuis le début du Grand Emprunt.

Gaumont : Attendez. Les films concernés par le plan de numérisation ne sont pas ceux pour lesquels nous avançons le plus rapidement. (Rires) Pour prendre l’exemple des Besson restaurés par Sony : c’est allé très vite, les projets ont mis trois mois et demi, l’autre quatre mois, parce qu’on savait où était le matériel, il avait été expertisé, etc. Je reprends l’exemple de 9 garçons... un cœur : nous avons mis huit mois pour arriver au bout de nos recherches, uniquement pour trouver le meilleur matériel. Sur les 270 films concernés par le Grand Emprunt, 200 titres auront été restaurés au mois de juin 2017. Il nous restera 75 titres à faire d’ici juin 2019. Sur les aides du CNC, nous avons un certain nombre de titres en cours. Nous avons fini deux films que j’aime beaucoup, qui sortiront en Gaumont Classiques : Le Voleur et Viva Maria de Louis Malle. Avec un petit faible personnel sur le premier. Viva Maria est joli et festif, Le Voleur possède vraiment quelque chose d'unique.

DVDClassik : En cas de changement politique après les élections, qu’adviendra-t-il des aides du CNC ? Peuvent-elles s’arrêter ?

Gaumont : Cela pourrait s’arrêter pour des raisons économiques, pas politiques. Les responsables politiques ne se diront pas un matin : « Il faut arrêter ça. » Ils demanderont plutôt au CNC : « Diminuez votre budget parce que nous allons vous faire un prélèvement pour les comptes de l’Etat. » Dans ce cas-là, c’est une "coupe" plus facile à mettre en oeuvre que de réduire les subventions automatiques.

DVDClassik : En même temps, la France est l’un des rares pays à encourager la restauration du cinéma de patrimoine, non ?

Gaumont : C’est souvent du bénévolat. Aux Etats-Unis, il y a la Film Foundation de Scorsese. Ou des donateurs très anonymes. Lorsqu’ils ont un peu d’argent, les grands patrons ou les millionnaires n’hésitent pas à donner mettons 100 000 dollars en échange de X Blu-rays pour leurs salariés ou pour les écoles, etc. Ils ont cette culture du mécénat qui n’est pas aussi développée chez nous. Et ce n’est pas pour des raisons fiscales : c’est un état d’esprit où ceux qui ont beaucoup gagné et qui ont réussi redonnent plus facilement. Vous seriez étonnés : ce sont des gens qui ont gagné beaucoup d’argent, avec des concessions automobiles, 10-20-30 garages, qui financent des écoles, des programmes d’enseignement, etc. Ils donnent chaque année un million de dollars pour un programme scolaire. Et on ne cite pas leurs noms. Dans le domaine du cinéma, il y a énormément de dons sur le répertoire. La Film Foundation de Martin Scorsese représente des milliers de donateurs ! Certains billets sont conséquents. Nous n’avons pas cela en France.


Le Voleur et Viva Maria en Gaumont Classiques en octobre 2017

DVDClassik : Etes-vous concerné ou intéressé par le dispositif NUMEV, une aide pour numériser et sortir en Blu-ray et VOD ?

Gaumont : Je me suis fait expliquer ce système deux fois. Il y a beaucoup de critères.

DVDClassik : Vous avez écrit sur le forum que le CNC avait tiqué sur le prix initial de la collection Découverte Blu-ray lorsque vous l'aviez lancé à 10€.

Gaumont : Ce n'était pas le CNC mais certains membres de la commission qui n'en font plus partie aujourd'hui.

DVDClassik : Pour eux aussi, il y a un prix plancher. Aujourd’hui, la collection n’est plus à ce prix, elle est passé à 15€.

Gaumont : Effectivement, je ne peux pas rentrer dans les magasins avec des Blu-ray à 10€. Une grande enseigne m’a dit que ce n’était pas assez cher.

DVDClassik : Ils préfèrent moins vendre, mais à un prix plus élevé ?

Gaumont : Ils privilégient la marge unitaire. Et surtout, ils craignaient que j’emmène le marché du film de répertoire sur cette tendance. Depuis le temps qu’on édite des films, si on avait la solution, on serait au bon prix. Même si nous sommes mécaniquement au même prix qu’avant, puisque les titres sont inclus dans des offres 2+1 en permanence. Mais je reste persuadé que le bon prix est de 10€.

DVDClassik : N'y avait-il pas un moyen de contourner cette obligation ? Créer une boutique Gaumont, par exemple ?

Gaumont : On voit toutes les expériences qui existent déjà, cela ne marche pas. En mode artisanal, sur des petites quantités, avec le système Pick, Pack, Ship (affranchissement et envoi), cela coûte déjà 1€ de le prendre, 3,50€ en affranchissement suivi, un peu négocié, une enveloppe est à 28 centimes. Cela fait déjà presque 5€. Et donc si on veut vendre le Blu-ray Découverte à 10€, il y a un souci. C’est 8,19€ H.T. (pour un "prix facial" de 10€), auquel on enlève 30% de remise/rabais/ristourne aux enseignes, pour faire simple (on enlève donc 2,50€), puis une commission de distribution qui se situe entre 15% et 20%. On arrive alors, grosso modo, à un prix de 5€. Avec ces 5€, il faut fabriquer un Blu-ray. Hors authoring, à 1 000 exemplaires, cela coûte entre 1,20€ et 1,50€ avec un boitier. Et je ne compte pas les licences ACS, pour 600€. Plus un authoring qui, même négocié, ne descend pas en dessous de 3 500€. Quand on fait l’équation, il faut en vendre 1 000 sans avoir encore gagné d’argent. Donc on ne passe pas. On a beau regarder dans tous les sens, c’est mathématique. A 8,19€ H.T., sans faire la moindre pub, on a juste équilibré les coûts du disque. Et cela ne comprend pas les coûts de restauration, ni les salaires de l’équipe, etc. Lorsque nous allons à la commission des programmes du CNC, ce n’est pas pour s’en mettre plein les poches et financer l’ensemble du projet mais pour nous aider à descendre notre point d’équilibre à 500 unités. Nous n’avons pas encore vendu 500 Blu-ray de 9 garçons... un cœur, par exemple, sorti depuis 2015. C’était 397 unités à la date d’hier.

Et il y a aussi le coût des suppléments ! Nous demandons aux membres de la commission du CNC de nous aider à financer des suppléments. Si on ne met pas de suppléments, comme pour la petite collection rouge, ils nous répondent : « Ce n’est pas de l’édition. » Oui, selon leurs critères, je ne l’édite pas, je le mets à disposition du public. Se pose alors la question de la Vidéo à la Demande. Allez expliquer aux services de VOD qu’ils doivent mettre ces films en ligne, à côté de Radin, au hasard (qui représente 300 000 commandes en VOD, chiffre dingue, le top de l’année d’un film français pour l’instant). Ils font du commerce. C’est comme si je demandais à la Fnac de placer Maléfices d’Henri Decoin à côté de Rogue One. Nous avons déposé l’aide à la vidéo au CNC qui sera soutenue en avril. Oui, je m’acharne parce que je ne me résous pas à ce que le public qui aime les oeuvres soit condamné à les regarder sur un DVD, même dans sa version restaurée. Il y a une différence quand c’est en Blu-ray, quoi ! Heureusement !

DVDClassik : Cela donne quoi, le patrimoine sur les plateformes VOD ?

Gaumont : Cela ne donne rien. La VOD, c’est de la nouveauté et uniquement de la nouveauté.

DVDClassik : Est-ce à cause du public qui n’attend que de la nouveauté, ou est-ce le support qui ne valorise pas le patrimoine ?

Gaumont : Lorsque vous payez à l’acte, vous allez vers le facile, vers le mainstream, le consommable, pour faire simple et sans être péjoratif. Quand j’ai eu une journée un peu compliquée, je suis le premier à faire ainsi. Je n’étais pas allé voir Radin en salle, je me le suis loué en VOD et j’ai passé un bon moment. Les gens payent pour quelque chose qu’ils ne trouvent pas encore ailleurs, qui est aussi moins piraté. Si le film est passé à la TV et qu’on peut y avoir accès facilement, ils sont moins enclins à dépenser 4 ou 5€. Même pendant les opérations : la fête de la VOD a eu lieu en octobre dernier, tout le catalogue et 100% des nouveautés étaient à 2€ pour la SD, 3€ pour la HD, le public s’est rué sur la nouveauté du moment. Bien sûr, le catalogue a fait plus que la semaine précédente mais sans commune mesure. En revanche, le service de VOD par abonnement FilmoTV est le seul à mettre en avant des films en noir et blanc. Nous sommes bien placés pour le savoir puisqu’ils viennent de nous acheter des films de Sacha Guitry. Ils font un travail éditorial, ils accompagnent le film avec des suppléments. Ils éditorialisent le service VOD comme si c’était un bouquet de chaînes de télévision, avec différentes entrées.

DVDClassik : Est-ce qu'ils proposent les Guitry en SD ou en HD ?

Gaumont : En HD quand c’est disponible sur les réseaux.

DVDClassik : Je ne suis pas sûr que cela soit intéressant pour notre petite niche de collectionneurs...

Gaumont : Je mentionne cela pour une raison : cela peut être l’occasion pour certaines personnes de découvrir des œuvres qu’elles n’auraient pas du tout remarquées dans une simple liste à 2,99€. La VOD peut être intéressante dans ce sens-là. Parce que cela n’a évidemment rien à voir avec nos coffrets Guitry. A chaque fois que j’en ouvre un chez moi, que je les regarde, que je les touche, avec les digipacks, les suppléments, j’en suis fier, nous nous étions donnés de la peine mais on s’était fait plaisir.

DVDClassik : Avec le coffret Papatakis, vous vous êtes aussi fait plaisir.

Gaumont : Oui et nous sommes fiers de l’avoir fait. Je ne connaissais pas les oeuvres de Papatakis avant qu’on vienne me rappeler que Gaumont s’était engagé à les éditer au moment du rachat de ses films, avant sa disparition. Ce n’est pas un hasard si nous l’avons fait en français et en grec, jusqu’au livret bilingue. Nous savons qu’une plateforme de vente en a expédié beaucoup en Europe, jusqu’en Nouvelle-Zélande, en Australie.

DVDClassik : Y a-t-il dans votre catalogue d’autres films comme ceux-là qui pourraient également s’exporter ?

Gaumont : Non. Mais le coffret nous a pris beaucoup de temps. Il y a des choses dingues dedans. Michel Ciment avait été extrêmement aimable d’avoir mis à notre disposition les bandes de ses enregistrements où l'on entend la voix de Papatakis. Et les Blu-ray sont propres. Surtout, ses œuvres existent maintenant en DCP, le format numérique pour les salles de cinéma, et voyagent à l’international, dans des festivals. On nous les demande jusqu’en Indonésie ! C’est Manuela Papatakis qui nous a poussés en permanence, ne nous a jamais lâchés, mais aujourd’hui l’œuvre est de nouveau à disposition. Nous en sommes fiers.

DVDClassik : Sur le marché de la vidéo, y a-t-il un « effet coffret » ? Je pense aux récents coffrets Costa-Gavras ou Almodovar... Vous disiez dans notre précédente interview ne pas aimer les coffrets.

Gaumont : (Rires) Je n’ai pas pu dire ça, je pense que je voulais dire que je n’aimais pas le coffret pour faire du coffret. Je n’aime pas faire du coffret artificiel. Je rêve de faire une intégrale des films de Louis Malle. Il nous manque trois films. Nous avons participé au financement d’un documentaire de Pierre-Henri Gibert qui est remarquable. J’ai les droits de ce documentaire pour le mettre dans notre coffret. Nous le sortirons. Si nous devons attendre cinq ans, jusqu’à ce qu’on trouve les accords, nous le ferons. L’un des films sera un peu plus compliqué à traiter, mais nous avons une idée. Je pourrais faire ce coffret aujourd’hui mais pas en Blu-ray parce que trois films ne nous appartiennent pas encore, et que les Américains ne sont pas vendeurs. Je rêve de faire ce coffret. On mettra un bouquin et on se fera plaisir, ce ne sera pas juste un best of, ce que nous pourrions faire aujourd’hui, on nous l’a demandé. Nous avons refusé, le projet reste sous le coude. Comme nous rêvons d’une intégrale Yves Robert, pour vous dire notre éclectisme. (Rires)

DVDClassik : Vous en possédez le catalogue ?

Gaumont : Il nous en manque encore.

DVDClassik : Le Voleur et Viva Maria ne sont-ils pas chez MGM ? C’est le matériel américain ?

Gaumont : Nous avons racheté les films, ils nous appartiennent désormais. Nous les avons restaurés, tout comme My Dinner With André. Les trois sont prévus en octobre en Gaumont Classiques, DVD et Blu-ray.


Une partie des film de Louis Malle édités en Gaumont Classiques

DVDClassik : Si la finalité, c’est de faire un coffret Louis Malle, n'avez-vous pas peur d’avoir épuisé votre potentiel de vente en les sortant depuis quelques années à l’unité ?

Gaumont : S’ils les ont déjà, ils les revendront d’occasion et se feront ensuite l’intégrale.

DVDClassik : L’avantage du coffret Costa-Gavras, c’est qu’il ne proposait que des inédits, il n’y avait aucune hésitation concernant l’achat.

Gaumont : Je confirme, je l’ai. Le coffret Almodovar s’est aussi très bien vendu, parmi les meilleures ventes de coffrets réalisateurs en 2016. A chaque fois se pose la question de réserver des inédits mais je ne trouve pas cela très juste par rapport à ceux qui ont déjà acquis certains titres. Et je ne fais pas ce que je n’aimerais pas qu’on me fasse. Je préfère prévenir bien à l’avance.

DVDClassik : Certains membres de notre forum n’ont pas sauté sur le coffret Costa-Gavras car ils n’étaient intéressés que par quelques titres et n’avaient pas envie de tout acheter... Il y a six ans, vous nous parliez d’idées de coffrets. Par exemple autour de Claude Autant-Lara, la Continentale...

Gaumont : La Continentale, on le fera. C’est le dernier gros projet que je ferai avant de partir. Il y en a deux que je veux absolument faire : Louis Malle et la Continentale. Mais si je dois attendre que tout soit restauré en HD, je suis sûr qu’il ne sortira jamais. Certains titres sont chez des éditeurs qui ne les restaureront jamais, à moins que ce ne soit Gaumont qui finance. Un très gros documentaire est en préparation sur la Continentale, Bertrand Tavernier consacre un épisode de sa série documentaire au cinéma sous l’Occupation. Il y a des choses à raconter, d’idées préconçues à corriger. Gilles Venhard, directeur de l’administration du catalogue, qui s’occupe des renouvellements de droits, historien de formation, a déjà amassé beaucoup de documentation sur ce sujet qui me passionne. C’est à Gilles que je demanderai d’écrire le futur livre ou le livret, auquel on adjoindra peut-être des personnalités (Bertrand Tavernier a aussi plein de choses à raconter là-dessus). Le sujet n’est pas aussi simple que cela. C'est aussi une discussion récurrente avec Bertrand : il n'y a pas eu de films antisémites au sein de la Continentale, ce qui est surprenant par rapport à ce qui était écrit dans la presse, par exemple. En revanche, il y a beaucoup de films passionnants si vous savez les regarder en creux... C'est sans doute l'exercice qu'on fera, de manière audiovisuelle ou écrite, nous ne le savons pas encore. Je rêve aussi d'une intégrale Yves Robert. Quand vous regardez sa filmographie, il y a un grand nombre de films, 41 ou 42, à la palette extrêmement large. Nous en avons déjà édités mais on n'a pas fini. 2020 sera le centenaire de sa naissance, il faut qu'on y arrive d'ici là. Je veux le faire.

DVDClassik : Nous avons parlé du catalogue de La Guéville ou des films de Louis Malle. Avez-vous acquis d'autres catalogues dernièrement ? Comment cela se passe-t-il ? Les détenteurs de droits viennent-ils vous voir ?

Gaumont : Ils viennent voir mon Président et ma Directrice Générale, pas Jérôme Soulet. (Rires) Nous sommes acheteurs, tout le monde le sait sur le marché, mais pas de n'importe quoi. Nous avons racheté les films de Pierre Richard et nous faisons régulièrement l'acquisition de titres. Nous avons des parts de coproduction sur certains films où nous sommes minoritaires, avec droit de préemption. Si quelqu'un veut acheter ces titres, ils sont obligés de nous prévenir. On peut alors le récupérer de cette façon, s'il nous intéresse. Mais c'est au compte-goutte. Il y a peu de temps, nous avons expertisé un catalogue et fait une offre qui n'a pas été acceptée, nous avons laissé tomber. Mais cela reviendra. Nous ne sommes pas dans l'acquisition pour l'acquisition. Il y a quelques années, nous avions fait un remembrement avec StudioCanal, un échange de titres. Nous leur en avons racheté une centaine, récemment. Nous aimerions clairement avoir tous les films de Louis Malle mais les Américains ne veulent pas les vendre. A nous de trouver une autre solution. Nous voulions les films de Pierre Richard, une personnalité emblématique de chez nous. Nous ne possédons pas tous les films de Maurice Pialat mais avons un accord privilégié avec Sylvie Pialat pour y avoir accès. Il y a les films de Jean Delannoy. Typiquement, nous aimerions posséder le catalogue de Bertrand Tavernier, qui est actuellement chez Orange et StudioCanal. Ce sont des réalisateurs, des coups de coeur. Dans les discussions que j'ai avec la direction de Gaumont, nous ne sommes pas sur des rachats de catalogues de 1 000 titres. Je vous dis cela aujourd'hui mais rien n'est impossible. A un moment donné, le catalogue de MK2 était sur le marché.


Une partie des film d'Yves Robert édités en Gaumont Découverte Blu-ray et Gaumont Classiques

DVDClassik : C'est Potemkine qui va les éditer.

Gaumont : Je crois que le mandat d'édition leur a été confié, ce n'est pas la même chose. C'est comme un immeuble, la différence entre vous le donner en gérance, le louer, ou en acheter les murs. Nous ne sommes que sur de l'achat de murs. Nous nous lançons alors dans un plan d'investissements, de restaurations. Nous avons fait construire un lieu de stockage dédié, sécurisé, pour lequel nous dépensons plus de trois millions d'euros par an. C'est beaucoup d'argent mais nous estimons que cela fait partie de notre mission.

DVDClassik : Il y a six ans, vous nous disiez vendre entre 300 et 1 000 Blu-ray de patrimoine. En 2017, est-ce plus ou moins ?

Gaumont : Tout dépend du titre mais cela n'a pas vraiment décollé. Nous aimerions bien vendre 3 000 exemplaires par titre. Peut-être que le Blu-ray a un meilleur taux de pénétration aujourd'hui, le public est plus équipé, mais comme il y a un recul du marché physique de la vidéo, en parallèle, les deux se compensent. Quand nous arrivons à vendre 1 000 exemplaires de la collection blanche, on est contents. Vendre 400 exemplaires de 9 garçons... un coeur en deux ans, ce n'est pas si mal. Evidemment, les titres faciles vont mieux se vendre. Le niveau de précommande des deux Fantômas (sortis fin mars) sur Amazon était assez conséquent. Un seul amour, qui sortait le même jour, fait des chiffres assez anecdotiques, peut-être 25 précommandes. C'est un titre qui ne parle pas et qu'il faut connaître. Nous savons qu'on aura du mal à en écouler 1 000. Nous avons choisi de regrouper les sorties Gaumont Classiques à la fin de l'année pour les rendre plus présentes en rayon et faciliter leur mise en avant.

DVDClassik : C'est votre plus beau line-up depuis très très longtemps.

Gaumont : Un bon film, c'est un film qui nous tient à coeur. L'identité de cette collection, c'est d'être capable de mettre L’Assassin habite au 21 à côté de Charlie Bravo, un témoignage dingue sur la guerre d'Indochine, très discuté à sa sortie. Cette collection découverte est une collection de curieux. Mon objectif à travers cette collection est de susciter de la curiosité. Que les gens se disent : « Tiens, ça je n'y aurais pas pensé mais pourquoi pas, dans une économie raisonnable. »

DVDClassik : Au sujet de la collection découverte, vous avez dit mélanger des titres plus connus avec d'autres plus anecdotiques. Pourquoi des films plus réputés comme Douce de Claude Autant-Lara n'ont pas encore eu de traitement HD ?

Gaumont : Parce que Douce n'est pas encore restauré. Nous avons quelques soucis avec l'un des ayants-droits. Et je ne veux pas lancer la restauration tant que je n'aurai pas sécurisé le renouvellement de droits. Il y a des avocats ou des successions qui sont capables de jouer le bras-de-fer et rendre les titres indisponibles pendant un an ou deux, le temps d'obtenir les sommes demandées. Comme je déteste être pris en otage, nous avons suspendu l'exploitation et la commercialisation de quelques titres (j'en ai sept en tête) parce qu'on nous demandait de trop grosses sommes. Entre les coûts de restauration et les coûts de renouvellement de droits, je suis sûr qu'on ne les rentabilise pas avant au moins dix ans. On joue la montre tout le temps. Douce était dans ce cas, c'est pour cela qu'on l'a lancé en DVD. Mais il est évident que Douce sortira en Gaumont Classiques un jour, en Blu-ray. Il faut qu'on se fasse plaisir. En même temps, le master de la collection rouge est l'un des plus beaux masters non restaurés que j'ai vus.

DVDClassik : Sortez-vous vos Blu-ray au rythme des restaurations finalisées ou avez-vous un peu d'avance ?

Gaumont : Nous les sortons entre six et douze mois maximum après leur restauration. Mais nous restaurons aussi des films pour la télévision, parce qu'on a une vente TV.

DVDClassik : Nous parlions des diffusions TV, dont votre équipe gère les ventes. Est-ce que vous démarchez les chaînes en leur proposant des choses ?

Gaumont : Les chaînes historiques savent ce qu'elles veulent acheter. Le Dîner de cons, c'est pour TF1, Les Tontons flingueurs c'est chez France 2, les Belle et Sébastien sont chez M6, etc. Cela correspond à leur identité, à leur couleur de grille. Mais on ne va pas se raconter d'histoires : le noir et blanc en télévision gratuite historique, c'est mort. A part Les Tontons flingueurs qui est le seul film en noir et blanc à passer en prime time. Après, il y a les nouvelles chaînes de la TNT pour qui nous arrivons à suggérer des choses. Je n'ai pas cité Arte qui est un cas à part, l'exception audiovisuelle gratuite nationale. Une C8 ou une TMC peuvent faire beaucoup d'audience avec un film de cinéma. Mais Arte a une telle identité qu'ils peuvent se permettre des choses, ils font des cycles, des thématiques, ils savent raconter une histoire. Et c'est vrai qu'on y voit des films qu'on ne voit pas ailleurs. Le problème que nous rencontrons avec les chaînes, c'est de les faire sortir des sentiers battus. Je rêve qu'une TMC ou une C8 tente Du rififi chez les hommes parce que c'est un vrai bon polar.

DVDClassik : Il est passé au Cinéma de Minuit de Patrick Brion.

Gaumont : Voilà. Autant je peux entendre que Subway a vieilli, même si je ne suis pas d'accord, autant Du rififi chez les hommes n'a pas vieilli pour un sou.

DVDClassik : Comment expliquez-vous que l'audience fonctionne pour les films de patrimoine sur les chaînes de la TNT, quand il y a en a, et pourquoi n'en font-ils pas davantage ?

Gaumont : Parce que tu vas donner une fausse identité à ta chaîne. Un exemple : nous possédons un film avec Jean Dujardin et Pascal Elbé, L'Amour aux trousses. Le film est très demandé parce qu'il y a Jean Dujardin. A chaque fois qu'il passe sur la TNT, il fait son score. Quand tu es directeur de la programmation, tu te dis qu'avec ce film tu ne prends pas de risques. Tu mets Du rififi chez les hommes à côté, tu n'y arrives pas. Arte ne vit pas de la publicité, tu dois juste fidéliser ton audience et essayer de la faire grossir. Le critère c'est le taux de satisfaction de ton public. Ce qui me fait rager, c'est qu'on a supprimé la publicité le soir sur France Télévisions et qu'ils ne prennent pas davantage de risques sur ces tranches. Sans objectif d'audience, tu peux te permettre d'investir un peu plus dans la création, financer des fictions plus compliquées. Le film Patients, que nous avons sorti récemment en salle, n'a été préacheté par aucune chaîne gratuite. Et pourtant c'est une belle histoire, un film positif. Nous arrivons heureusement à glisser quelques films de patrimoine, de temps en temps. Mais si on les écoutait, ils prendraient Le Pacha. Eh mais attendez, on a d'autres Gabin ! Sauf que Le Pacha, c'est culte, tout le monde le connaît. Donc cela fera de l'audience, c'est plus sûr qu'un autre Gabin moins connu. Quand La Grande vadrouille fait à chaque fois des succès d'audience, cela n'encourage pas les chaînes à prendre des risques. Comme les Boum. Tu les passes au moment de Noël, même en après-midi, cela fonctionne.

DVDClassik : C'est une impression personnelle, je me trompe peut-être mais pourquoi Arte diffuse autant de films de patrimoine sortis chez Pathé ? Pourquoi vos Gaumont Classiques ne passent-ils pas en prime time sur cette chaîne, le lundi soir ?

Gaumont : Nous restaurons indépendamment des souhaits des chaînes. Arte participe au financement des restaurations Pathé avec du pré-achat. C'est peut-être eux qui ont raison mais je ne les envie pas : je trouve que nous éditons plus de choses et en totale liberté. Je n'ai pas besoin de demander l'autorisation à la Direction Générale pour éditer un titre. Je suis le directeur pour la vidéo, je suis responsable, c'est à la fin de l'année qu'on me demandera des comptes. Cela me permet une grande liberté, j'assume l'intégralité des succès comme des échecs. Et c'est un immense confort. Nous lançons aussi des restaurations parce que certains films sont demandés dans des festivals. Nous allons enfin éditer Je t'attendrai de Léonide Moguy (autre titre : Le Déserteur) que Quentin Tarantino avait demandé à Thierry Frémaux parce qu'il voulait absolument le voir. Nous avons remué ciel et terre pour retrouver une copie 35mm, nous n'avons retrouvé le négatif que bien plus tard. C'est un beau film.

DVDClassik : Vous sortez deux films de Guitry en fin d'année, y en aura-t-il d'autres en 2018 ?

Gaumont : Je suis fan de Guitry. Nous n'arrivons pas à les vendre en télé, c'est compliqué. Et la diffusion sur les chaînes du câble ne finance pas une restauration à 70 000 €. Nous allons commencer par sortir deux titres très commerciaux en Blu-ray, c'est un test. J'estime que les films de Guitry mériteraient de beaux masters, de beaux noir et blancs. Nous allons reprendre les bonus des DVD parce qu'ils sont très bons, on avait fait le tour de la question.

DVDClassik : Vous reprenez cette année un rythme plus soutenu. C'est encore un peu un test ?

Gaumont : Nous avons levé le pied sur les Gaumont Classiques, l'an dernier, parce que les Louis Malle ont été économiquement compliqués. Arte les avait bien vendus en DVD. C'est là où le miroir Blu-ray est déformant. J'étais persuadé qu'au moins 3-4 titres allaient marcher. Au revoir les enfants en Blu-ray, c'est quand même un beau film. Mais ce fut la douche froide. Nous avons un vrai problème avec le Blu-ray. Nous en parlons entre éditeurs. Le Roi de coeur, qui est un film magnifique, regardez les ventes en Blu-ray ! C'est pourtant un film inédit, invisible depuis des années.

DVDClassik : Continuerez-vous à éditer votre catalogue ou pensez-vous déléguer un jour à des éditeurs indépendants ?

Gaumont : Ce qui est à Gaumont reste à Gaumont. D'autres questions ? (Rires) Rien qu'en patrimoine, nous sortirons cette année 82 films, tous supports confondus. Nous sommes déjà en train de travailler sur le premier semestre 2018 de la collection Découverte DVD. En Gaumont Découverte Blu-ray, nous en avons déjà quelques-uns en réserve. En Gaumont Classiques, j'en ai déjà deux en tête dont je suis sûr que les restaurations seront terminées. Nous avons parlé cet après-midi d'un coffret prestige Jean Vigo, L'Atalante et la version originale de Zéro de conduite, totalement inédite. Nous avons réuni tous les éléments, nous allons pouvoir reconstruire la version non censurée.


Un coffret Prestige Jean Vigo prévu en 2018

DVDClassik : Quelle sera la durée ?

Gaumont : Je n'en sais rien encore. Les experts sont dessus, nous avons commissionné deux historiens, dont Bernard Eisenschitz. Je sais qu'ils ont retrouvé des choses sur L'Atalante.

DVDClassik : Vous faites restaurer L'Atalante par L'immagine Ritrovata, en Italie. Pourquoi ce choix ?

Gaumont : Parce que des éléments totalement inédits ont été retrouvés en Italie.

DVDClassik : Et est-ce plus simple de faire les travaux là-bas ?

Gaumont : On ne pouvait pas les faire rapatrier. Le nitrate voyage très mal... Nous faisons également restaurer un serial muet très long en Italie.

DVDClassik : Sortirez-vous L'Homme du jour de Julien Duvivier ?

Gaumont : Oui, en 2018. Restauration chez Eclair. Il y aura aussi La Femme rêvée Jean Durand, un film référent du muet, et Figaro de Tony Lekain et Gaston Ravel. Nous sortirons Orfeo de Claude Goretta en Gaumont Classiques, en octobre prochain. Vous avez remarqué que nous avons édité plusieurs films d'opéra. Si le marché du Blu-ray est très compliqué, celui d'un film d'opéra est trèèèèès compliqué. (Rires)

DVDClassik : Y aura-t-il une nouvelle politique pour les suppléments ?

Gaumont : J'avais réduit les budgets. Nous avons pris la décision de réinvestir, en engageant Sylvain Perret qui met les mains dedans, qui a la curiosité et l'énergie. Nous partons avec ce line up pour 2017, j'ai fait un budget prévisionnel qui intègre notre demande d'aide à l'édition vidéo auprès du CNC. Il y aura un coffret Feuillade en coffret Prestige, avec un livret.

DVDClassik : Comptez-vous aussi sur l'international pour amortir ces coffrets ?

Gaumont : Nous comptons sur tout ! (Rires) C'est pour cela que nous mettrons des cartons sous-titrés en anglais. Il y aura je crois sept disques pour le serial et trois disques de suppléments, pour un minimum 6h ou 7h de contenu qui comprendront un long métrage, des documentaires d'époque. Ce sera un beau cadeau. Nous sortirons aussi J'accuse d'Abel Gance dans toutes les versions : le film de 1938, celle sortie chez Lobster (qui sera en DVD), la version Magirama qui date des années 50. Ce sera un coffret Blu-ray et DVD qui devrait aussi comprendre, sur le même thème, Les Gaz mortels, un autre film d'Abel Gance (1916), inédit en DVD. Il y aura aussi La Fin du monde, le premier film parlant de Gance (1931) parce que, pour nous, cela fait sens. Et il y aura un livre de Laurent Véray et peut-être une interview de Nelly Kaplan. Nous essayons d'obtenir les deux scénarios originaux. Bref, nous faisons un objet de collectionneur qui sortira en édition limitée et numérotée.

DVDClassik : Il était initialement prévu pour le printemps, cela valait la peine de le décaler...

Gaumont : Oui ! Mais ne me demandez pas le prix de vente, je n'en sais strictement rien. Nous avons juste regardé les coûts.


un coffret Prestige autour d'Abel Gance, en octobre 2017

DVDClassik : Et pour Dreyer, ce sera un coffret du même type ?

Gaumont : Ce sera un Gaumont Classiques, le premier muet de la collection, prévu pour octobre. Pour un supplément, nous avons pris contact avec un historien de 90 ans qui a côtoyé Dreyer, qui l'a connu pendant plusieurs années, et qui parlera des deux versions du film. Le film avait été perdu puis retrouvé dans un hôpital psychiatrique, il y a quelques années. C'est cette copie restaurée qui sera présentée en Blu-ray.

DVDClassik : Y aura t-il un coffret Henri-Georges Clouzot ?

Gaumont : Oui, c'est prévu, TF1 Vidéo va y arriver. Economiquement, c'est difficile. Nous allons les aider et leur vendre des rondelles qui seront sérigraphiées avec leur artwork.

DVDClassik : Vous allez également sortir en octobre Quand tu liras cette lettre de Jean-Pierre Melville. C'est toujours étonnant que certains films restent méconnus malgré l'immense réputation de leurs auteurs.

Gaumont : C'est comme André Cayatte qui est réduit à ses films sur la justice. Il a réalisé deux autres films sur des sujets totalement différents, que personne ne connaît. Cayatte fait partie des réalisateurs que j'aime beaucoup.

Propos recueillis le 29 mars 2017. Tous nos remerciements à Jérôme Soulet, Maxime Gruman et Sylvain Perret.

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Les sorties Gaumont pour 2017 (mise à jour !)

Par Stéphane Beauchet, Jean-Marc Oudry et Philippe Paul - le 9 mai 2017