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Interviews

Quiconque s'est déjà intéressé à la carrière de Martin Scorsese et à celle de Clint Eastwood n'a pas manqué de croiser le chemin de Michael Henry Wilson. Pour la majorité des cinéphiles, le personnage est un excellent journaliste, ayant le don de tirer de la bouche des artistes qu'il fréquente des informations essentielles sur leurs oeuvres grâce aux relations amicales qu'il sait entretenir avec ces derniers. Pour une minorité d'autres, ce collaborateur de la revue Positif est aussi et avant tout un formidable passeur, un historien du cinéma, grand connaisseur du cinéma classique américain et de ses figures les plus marginales, et enfin un réalisateur de documentaires. DVDClassik a eu récemment la chance de pouvoir rencontrer Michael Henry Wilson à l'occasion de la sortie du DVD de The Story of G.I. Joe paru chez Wild Side dans la collection Classics Confidential, pour lequel il a écrit Le Ciel ou la boue, le livre accompagnant cette très belle édition.

DVDClassik (Ronny Chester) : Vous êtes une personnalité connue pour beaucoup de cinéphiles français, mais le grand public ne vous connaît pas vraiment. En lisant votre nom, il doit croire que vous êtes américain alors que vous êtes français d’origine…

Michael Henry Wilson : Oui, absolument.

DVDClassik (Ronny Chester) : Nous voudrions connaître votre parcours, ce qui vous a amené à devenir l’historien du cinéma et le réalisateur de films que vous êtes aujourd’hui.

MHW : S’il faut remonter jusqu’aux origines, il faudrait remonter à la projection de Citizen Kane en 1959 ou 1960 au Studio Caumartin. Ce film m’avait énormément impressionné au point que j’étais resté à la séance suivante pour le revoir illico, dans la foulée. Je crois que c’est le film qui a décidé de ma vocation cinéphile et cinématographique. Il a été suivi presque aussitôt par la découverte de Hiroshima mon amour.

DVDClassik (Ronny Chester) : Il y avait donc déjà cette dualité américaine et française dans ces rencontres.

MHW : Oui, absolument. Je suis de père américain et de mère française. Mon père était correspondant de guerre et a rencontré ma mère au moment de la Libération. J’ai été élevé par ma mère en France, où j’ai vécu jusqu’en 1982, en ayant toujours le sentiment qu’une partie de moi-même se trouvait de l’autre côté de l’Atlantique, et que tôt ou tard il faudrait que j’aille y tenter ma chance. C’est un peu Martin Scorsese qui m’a vraiment "donné l’aiguillon", à l'époque où j’avais conçu une série télévisée qui devait s’appeler Through The Looking Glass dans laquelle je demandais à un jeune réalisateur américain de dresser le portrait d’un grand cinéaste qu’il avait admiré, qui avait été son mentor ou son inspiration. Scorsese devait faire le pilote, et le sujet qu’il avait choisi était King Vidor. J’avais monté une production avec la France, l’Allemagne et la société Polygram aux Etats-Unis. C’était une série de treize films. Je suis parti pour monter l’affaire mais une semaine après mon arrivée, le nouveau directeur de production de Polygram a décidé que ce projet était beaucoup trop intellectuel. Il faut dire que c’était en 1982 et que le documentaire à l’époque, surtout aux Etats-Unis, n’avait pas encore acquis ses lettres de noblesse, passait pour un sous-genre et faisait un peu peur, et limité au réseau TVS. Il a donc laissé tomber mais je suis resté aux Etats-Unis et me suis lancé dans d’autres projets dont certains, comme vous le savez, ont continué d’inclure mon ami Martin Scorsese.

DVDClassik (Stéphane Beauchet) : Vous avez rencontré Martin Scorsese lorsque vous travailliez pour Positif. Est-ce avec cette revue que vous avez débuté dans le métier ?

MHW : J’étais à Positif depuis quelques temps déjà. C’est Michel Ciment qui, un beau jour, m’a appelé. Il avait lu ma thèse de 3e cycle sur le cinéma expressionniste allemand qui avait été publiée par Henri Agel. Il m’a dit : « On aimerait bien que tu viennes travailler à Positif. » J’avais bien sûr accepté. Mon premier article était dédié à Murnau, une comparaison entre L’Aurore et City Girl. Depuis 1972, je suis un collaborateur de la revue Positif. En 1973 ou 74, je découvre un petit film, Boxcar Bertha, sorti un peu à la sauvette dans une salle des Champs-Elysées disparue depuis. J’ai alors une espèce de coup de foudre pour le film : je me dis qu’il y a un talent vraiment intéressant. L’année suivante, Mean Streets fait l’ouverture de la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes. Pierre Rissient avait dit à Marty qu’un certain Michael Wilson avait écrit un article très favorable sur Boxcar Bertha dans Positif, ce devait être à peu près le seul article paru dans la presse française. Michel Ciment et moi sommes allés voir Marty à son petit hôtel à Paris. L’attaché de presse nous dit qu’il est malade, qu’il a de l’asthme et qu’il ne peut nous recevoir que pendant dix minutes. Nous entrons dans la pièce, il était au lit, je pose le magnétophone sur l’oreiller à côté de lui. Trois heures plus tard, nous sommes encore en train de parler. Nous nous arrêtons quand Marty n’en peut plus, ne peut plus prononcer une parole. Et nous nous donnons rendez-vous à Cannes pour continuer l’entretien. Nous nous sommes effectivement retrouvés sur une terrasse cannoise et ne nous sommes plus quittés depuis : chaque fois qu’il y avait un festival, une rétrospective ou un nouveau film nous nous retrouvions, je poursuivais l’entretien, au début avec Michel puis tout seul, jusqu’à aujourd’hui. Je le suis de film en film.

DVDClassik (Ronny Chester) : On remarque que vous avez établi une relation très forte avec lui. En quoi est-elle si profonde et si productive au niveau artistique ? A ce propos, je me souviens du documentaire A la recherche de Kundun qui est un formidable film d’historien du cinéma, bien plus qu’un "making of". On sent qu’il y a un attachement très fort qui vous lie.

MHW : C’est un attachement qui a deux racines. Il y a d’abord l’évidente passion pour le cinéma, et notamment le cinéma des "contrebandiers", des cinéastes un peu oubliés ou ceux qui doivent utiliser des masques pour pouvoir s’exprimer. Je pense à des gens comme Jacques Tourneur, Edgar G. Ulmer, Phil Karlson ou Joseph H. Lewis. Ce fut très tôt l’un de nos points communs, cela nous servait presque de mot de passe, de code. A chaque fois que l’on se rencontrait, nous échangions des tuyaux sur telle ou telle rareté qu’on avait pu découvrir l’un ou l’autre, nous nous échangions des DVD (quand les DVD sont arrivés sur le marché). Plus profondément, en dehors du cinéma, je crois que j’ai ressenti chez Marty les mêmes genres de questionnements spirituels que je me posais, qu’ils fussent même en dehors du christianisme. C’est pour cela que j’ai été passionné lorsqu’il a fait Kundun et qu’il s’est frotté au bouddhisme. Ce souci des questions spirituelles est quelque chose que je partageais avec lui. J’ai eu énormément de plaisir, particulièrement au moment de La Dernière tentation du Christ, d’échanger longuement avec lui des propos sur ces questions religieuses.

DVDClassik (Ronny Chester) : Pensez-vous que Kundun a durablement changé Martin Scorsese ? Sa carrière avant Kundun n’a plus rien à voir par rapport à celle d’après. J’ai l’impression qu’il n’est plus le même personnage, qu'il s'est profondément apaisé.

MHW : Il a pris des distances. Même s’il n’est pas devenu bouddhiste pour autant, je crois que la compassion qu’il a sentie chez les tibétains lui a effectivement permis de prendre davantage de distance. Il s’est mis à la méditation, je ne sais pas si cela date de Kundun ou si c’est dans la foulée du film. Il n’aurait pas fait un film comme A tombeau ouvert s’il n’y avait pas eu Kundun.

DVDClassik (Ronny Chester) : Justement à ce propos, je dis toujours à mes camarades que, pour moi, A tombeau ouvert, pour résumer schématiquement, est un "Taxi Driver bouddhiste". Je ne sais pas si c’est vrai ou pas…

MHW : Oui, absolument.

DVDClassik (Ronny Chester) : Il y a un autre cinéaste avec qui vous êtes fortement lié, c’est Clint Eastwood. Comment définiriez-vous votre relation avec lui ? Comment est-elle survenue ? Qu’est-ce qui fait que vous soyez aussi fidèle à cet artiste (vous avez écrit un livre, réalisé un documentaire) ?

MHW : Les rapports sont forcément très différents. Avec Marty, on est d’un âge beaucoup plus proche. J’ai perçu très vite Marty comme une sorte de grand frère et en même temps, par sa fragilité, sa vulnérabilité, comme parfois un petit frère car c’est un écorché vif, il est très fragile. Alors que c’est l’inverse avec Eastwood : c’est plutôt un roc ; ce n’est pas une figure paternelle, ce n’est pas le mot, mais plutôt un patron, il y a un côté zen qui me frappe beaucoup chez lui. Et bien qu’il soit agnostique, il ne s’en cache pas, et que la religion ne soit pas un problème pour lui, il se livre aussi à la méditation. Il réussit à vivre dans le présent, ce qui est je pense l’une des difficultés, un désarroi chez Marty qui a du mal à vivre dans le moment présent. Ce qui est extraordinaire avec Clint, c’est que tout se passe dans l’instant ; cela tient à la fois du jazzman et du maître zen.

DVDClassik (Ronny Chester) : Scorsese et Eastwood ont construit un pont entre le cinéma classique et le cinéma contemporain, chacun à leur manière : Scorsese par sa cinéphilie dévorante et Eastwood parce que c’est peut-être le dernier grand maître classique, il a débuté avec les grands maîtres de l’âge d’or. Est-ce une raison essentielle de votre attachement à ces deux artistes ?

MHW : C’est certain, parce que je ressens très fortement le besoin d’un pont entre les grands du cinéma classique et les artistes d’aujourd’hui. Clint est évidemment le trait d’union entre la génération des John Ford, Raoul Walsh, William Wellman d’un côté, et celle des Scorsese, Coppola, Terry Malick, Brian De Palma de l’autre. Il est le seul de ces cinéastes des années 70-80 qui ait fait partie du système des studios, même si c’était au moment où ce système connaissait son crépuscule. Il a vu à l’œuvre Douglas Sirk, Raoul Walsh, il parlait avec Hitchcock au restaurant des studios Universal. Il côtoyait ces grands anciens. Quand il tournait sa série Rawhide, il était dirigé par Tay Garnett, Gordon Douglas ou Stuart Heisler. Clint Eastwood avait un pied dans ce Hollywood mythique alors que pour Martin c’est un Hollywood forcément fantasmé, d’abord par la télévision familiale et ensuite dans les salles new-yorkaise où il allait avec ses copains. Quand il est devenu cinéaste, Scorsese a tout de suite rendu hommage à ce cinéma-là, en incluant dans ses films des extraits des films de Fritz Lang, Roger Corman. Dans Who’s That Knocking at My Door ?, le héros parle pendant dix minutes de La Prisonnière du désert et de John Wayne. Les citations chez Scorsese font presque partie de son style, de son esthétique.

DVDClassik (Ronny Chester) : Vous avez réalisé un documentaire sur Nelson Mandela, Reconciliation - Mandela’s Miracle. Est-ce lié au film Invictus de Clint Eastwood ou à des discussions que vous avez eues avec lui ? Est-ce Eastwood qui vous poussé à le faire ?

MHW : C’est un projet personnel qui est né beaucoup plus tôt, à la suite de A la recherche de Kundun. Quand ce film fut terminé, je suis allé le présenter en audience privée au Dalaï Lama. Il m’a demandé quel était mon prochain projet, il est toujours très curieux de savoir ce que font les gens. C’était sa première question après avoir vu le film. Comme un cri du cœur j’ai dit « l’esprit de la réconciliation. » Ca l’a intéressé, il m’a dit : « Il faut que vous alliez parler à Nelson Mandela et Desmond Tutu car c’est là que ça a commencé, en Afrique du Sud. » Avant Mandela et Tutu, c’est là que Gandhi a débuté. Et le Dalaï Lama s’est mis à faire une espèce de casting : « Pour un film sur la réconciliation, il faudrait que vous parliez de Martin Luther King, d'Aung San Suu Kyi en Birmanie… » Il a commencé à faire une liste des Prix Nobel de la Paix, le projet devenait énorme. J’ai essayé d’en faire une mini-série qui couvrirait les hauts et les bas de la réconciliation dans différents pays, du Moyen-Orient au Timor, l’Amérique du Sud, l’Afrique du Sud bien sûr, etc. J’ai fait monter ce projet avec des producteurs français et canadiens mais cela n’a jamais pu décoller. Jusqu’au jour où j’apprends par Clint qu’il prépare Invictus, un film sur la Coupe du Monde de Rugby de 1995. Je lui dis aussitôt : « Est-ce que je peux venir en parallèle de ton film faire un documentaire sur les personnages qui ont façonné la réconciliation ? Pendant que tu reconstitues cela avec des acteurs, je voudrais parler aux individus eux-mêmes : est-ce que c’est compatible ? » Il me dit : « Oui, bien sûr, c’est très bien. De quoi as-tu besoin, en quoi puis-je t’aider ? » Je lui dis que j’ai besoin de pouvoir reconstituer dans mon film la Coupe du Monde de Rugby sans avoir à passer par la Fédération Internationale de Rugby, qui demandait des fortunes pour les droits de retransmission. Je lui demande s’il peut me fournir les parties de rugby de son making of d’Invictus. Il me dit : « Bien sûr, va voir mon chef opérateur, tu t’arranges avec lui pour avoir les plans dont tu as besoin. » Clint m’a donc fait cadeau de ces séquences qui m’ont permis d’inclure la Coupe du Monde, qui n’est qu’un chapitre dans le documentaire mais qui représente un moment-clé puisque c’est un grand moment de fusion nationale pour l’Afrique du Sud. Mandela a magistralement utilisé cette Coupe du Monde pour réunifier le pays. Grâce à Clint, j’ai pu couvrir ce chapitre : pendant qu’il était en Afrique du Sud, j’étais avec les acteurs véritables : Desmond Tutu, Frederik De Klerk, les gardes du corps, les Springboks, François Pienaar, tous les personnages qui ont pu apparaître dans le film de près ou de loin.

DVDClassik (Ronny Chester) : Reconciliation - Mandela’s Miracle va-t-il sortir en vidéo ?

MHW : Le film est dans les mains de Mk2. Il sort en Suisse le 1er février. Nous voudrions le sortir en France pendant la semaine du 11 février car c’est la date à laquelle Nelson Mandela a été libéré après 27 ans de prison. Il sortira à l'Action Christine.

DVDClassik (Stéphane Beauchet) :  Votre documentaire Le Franc-tireur sur Clint Eastwood sera-t-il disponible un jour en vidéo ? Warner est-elle intéressée ?

MHW : C’est Arte qui possède les droits, sauf pour les droits vidéo qui appartiennent à la Warner. Mais la Warner n’en a jamais rien fait, il est tombé complètement dans un trou. Cela fait maintenant cinq ans, je ne crois pas que Warner verrait beaucoup d’inconvénients si Arte faisait quelque chose avec ce film. Mais je pense qu’Arte a d’autres chats à fouetter, c’est de l’histoire ancienne, je ne sais pas d'ailleurs s’il y aurait un public énorme.

DVDClassik (Ronny Chester) : Nous arrivons à l’édition DVD Wild Side et à William Wellman. Qu’est-ce qui vous attire particulièrement chez Wellman ? Est-ce parce qu’il était aussi une sorte de "maverick" à Hollywood ? En lisant votre livre qui accompagne le film, Le Ciel et la boue, on ressent chez vous une vraie passion, une attirance pour ce cinéaste : sur quoi repose-t-elle ?

MHW : Vous savez que c’est l’un des maîtres de Clint Eastwood. Celui-ci s’apprête même à refaire A Star is Born, non pas la version de George Cukor mais celle de Wellman. Là aussi, c’est une affaire de passion. C’est un cinéaste que je suis depuis très longtemps, j’ai toujours pensé que G.I. Joe était le plus beau film jamais fait sur la Deuxième Guerre mondiale. Le paradoxe étant que c’est le film qui en montre le moins mais qui en fait éprouver le plus. Ca c’est le génie de l'ellipse, le génie du hors cadre, le génie de la mise en scène de Wellman. C’est un film où l’on sent la compassion du cinéaste pour ces soldats plus que dans tout autre film. C’est un film qui m’a toujours sauté au cœur.

DVDClassik (Ronny Chester) : Pensez-vous que G.I. Joe et peut-être Bastogne sont des films qui marquent une rupture entre le film de guerre hollywoodien classique des années 20, 30 et 40, et celui de Fuller et Aldrich ? Même s’il y a eu Walsh avec Aventures en Birmanie, qui aussi une parenté avec G.I. Joe.

MHW : Oui, il y a une volonté chez Raoul Walsh, justement, de réalisme à ras du sol qui est comparable à celle de Wellman.

DVDClassik (Ronny Chester) : Par exemple je ne conçois pas Attaque! d’Aldrich sans l'apport de Wellman.

MHW : C’est probable. D’ailleurs, l’économie de moyens d’un film comme celui de Robert Aldrich rappelle que c’était un film qui a été fait pour trois sous : il n’y avait qu’un seul tank, c’est le même que l’on revoit dans chaque plan. Cette économie, c’est assez "wellmanien", c’est vrai. Mais le discours "aldrichien" ou "fullerien" est beaucoup plus expressionniste que celui de Wellman qui est épuré, quasi "bressonien".

DVDClassik (Ronny Chester) : On apprend justement dans votre livre qu’Aldrich était assistant sur G.I. Joe. Comme quoi les choses se recoupent sans que l’on s’en rende compte. On constate de nombreuses parentés avec Ford, Hawks ou Hitchcock dans le cinéma d’aujourd’hui : à votre avis, que reste-t-il de Wellman qui était un réalisateur un peu à part ? Quels seraient ses héritiers ?

MHW : La réponse est très simple, évidente : l’héritier de William Wellman aujourd’hui est Clint Eastwood.

DVDClassik (Ronny Chester) : C’est exactement ce que l’on ressent quand on voit le diptyque de Clint Eastwood, surtout Lettres d’Iwo Jima.

MHW : On sent même l’influence dans Mémoires de nos pères. Pour moi, la séquence où l’on voit l’Indien Ira, revenu à son champ, sortir un mini drapeau grand comme un mouchoir pour faire une photo avec un couple de touristes, cette espèce de crève-cœur, c’est de l’émotion "wellmanienne" par excellence.

DVDClassik (Stéphane Beauchet) : Comment êtes-vous arrivé sur le projet d’une édition Classics Confidential ?

MHW : C’est Manuel Chiche et son équipe chez Wild Side qui m’ont gentiment demandé si j’avais envie de travailler avec eux.

DVDClassik (Stéphane Beauchet) : Connaissaient-ils votre passion pour William Wellman ?

MHW : J’avais écrit un article sur Wellman pour un livre paru à l’occasion du Festival de Locarno sur la presse et le cinéma. J’avais fait un texte sur les correspondants de guerre tels qu’ils étaient vus à travers Wellman et Huston. Je crois que c’est cet article qui les a incités à me contacter.

DVDClassik (Stéphane Beauchet) : Vous avez donc entamé des recherches.

MHW : Oui, j’ai eu la chance de tomber sur les caisses que le producteur du film avait laissées à l’Academy. Ces caisses avaient été à peine ouvertes, à peine classées, et je me suis plongé là-dedans. Chaque fois que j’ouvrais une nouvelle enveloppe, j’allais de découverte en découverte. J’ai découvert qu’il y avait eu quelques vingt cinq scénarios, vingt-cinq scénaristes. Le nombre de variations pour chaque scène était hallucinant ; il m’a fallu plusieurs jours pour essayer de mettre un peu d’ordre dans tout ça, car il y avait toute une pléiade de scénaristes qui travaillaient en ordre dispersé en ignorant ce que faisaient les autres.

DVDClassik (Ronny Chester) : C’est assez incroyable. A l’époque il y avait certes des ateliers de scénaristes, ils étaient des employés comme les autres, on les faisait travailler sans arrêt. On a l’impression pourtant que, sur ce film, c’est presque une exception. Beaucoup de films étaient-ils faits de la sorte à cette époque ?

MHW : Qu’il y ait eu autant de scénaristes, je crois que c’est une exception. C’est un système qu’Irvin Thalberg avait initié à la MGM dans les années 20 : il donnait un sujet à deux ou trois scénaristes et il découpait ensuite les meilleures scènes dans chacun des scénarios pour en faire la synthèse. Sur G.I. Joe, par rapport aux autorités militaires qui lui faisaient confiance, le producteur se sentait obligé d’arriver à un scénario qui fasse honneur au sujet. Avec la difficulté supplémentaire de la guerre qui continuait, le scénario évoluait au fur et à mesure des évènements. C’est assez fascinant de voir, là aussi, que chaque étape dans la campagne militaire amenait un nouveau chapitre et forçait les scénaristes à reconsidérer l’ordre des évènements.

DVDClassik (Stéphane Beauchet) : Comment avez-vous eu connaissance des archives de Lester Cowan ?

MHW : En allant à l’Academy et en étant, je crois, le premier à avoir la témérité de demander l’ouverture des boîtes.

DVDClassik (Stéphane Beauchet) : Cela s’est-il fait sans problème ?

MHW : Absolument sans problème. Je dois dire qu’ils ont été adorables.

DVDClassik (Stéphane Beauchet : Vous êtes donc tombé sur une mine d’informations. Auriez-vous entamé l’écriture du livre sans ces documents ?

MHW : Si je n’avais pas obtenu ces documents, je serais allé dans l’Indiana où l’on peut trouver les archives d’Ernie Pyle. Mais j’aurais dû voyager et cela aurait sans doute été plus compliqué. Le résultat aurait sans doute moins porté sur la fabrication du scénario que sur Pyle lui-même, puisqu’il s’est peu à peu détaché du film.

DVDClassik (Stéphane Beauchet) : Votre livre Le Ciel ou la boue était-il l’occasion pour vous d’écrire spécifiquement sur William Wellman ?

MHW : C’était l’occasion d’écrire sur Wellman, mais aussi de rendre hommage aux correspondants de guerre qui sont un peu oubliés et qui n’ont pas le crédit qu’ils méritent, en tout cas en Europe.

DVDClassik (Ronny Chester) : Justement, vous venez de nous apprendre que votre père était lui-même correspondant de guerre. Il y a donc un élément bien plus  personnel qui vous lie à ce film.

MHW : Oui, inconsciemment. J’ai aimé G.I. Joe dès que je l’ai vu, il y a des années. Le film m’a poursuivi sans que je me pose vraiment la question. Quand j’ai vraiment commencé à faire les recherches pour le livre, je me suis aperçu que Pyle était un "Monsieur", une pointure, un grand, peut-être le plus grand des correspondants de guerre américains.

DVDClassik (Stéphane Beauchet) : Saviez-vous que The Battle of San Pietro, le documentaire de John Huston, ferait aussi partie de l'édition DVD ?

MHW : Non, mais j’en suis ravi parce que les deux films sont inséparables. L’avoir comme bonus sur le DVD me paraît essentiel et bouleversant puisqu’on retrouve dans le film de Wellman les soldats que l’on voit dans le documentaire réalisé par Huston. Ils sont morts quelques temps après, à Okinawa, alors qu’ils était partis sur le front du Pacifique. Il y a donc une sorte de continuité exceptionnelle entre le supplément et le film.

DVDClassik (Stéphane Beauchet) : Que pensez-vous du concept des Classics Confidential, soit un film en DVD associé à un livre ?

MHW : C’est une très belle idée. J’espère qu’elle va se poursuivre. Je sais que Manuel [Chiche, NDLR] hésite un petit peu, il veut voir si d’ici la fin de l’année la formule a vraiment pris, si c’est économiquement faisable. Mais je trouve l’idée formidable et tous ceux qui ont pu avoir ces ouvrages entre les mains ont trouvé cela formidable, unanimement.

DVDClassik (Ronny Chester) : Puisqu’on parle de futur, avez-vous des projets de livre ou de film ?

MHW : Oui, j’ai un projet de film sur Aung San Suu Kyi, la "Gandhi de Birmanie". Ce sera pour moi le dernier volet d’un triptyque comprenant A la recherche de Kundun sur le Dalaï Lama et Réconciliation sur Mandela. Maintenant je voudrais parler d’une femme et ce sera Aung San Suu Kyi. Je suis en train de chercher le financement pour faire un film sur ce qu’il se passe en Birmanie. Je travaille également sur un gros bouquin sur le cinéma américain qui s’appelle A la porte du paradis pour lequel je cherche un éditeur français. C’est l’histoire du cinéma américain à travers 55 cinéastes de D.W. Griffith à David Lynch.

DVDClassik (Ronny Chester) : Le titre de ce livre a-t-il rapport avec Michael Cimino ?

MHW : Il y a un chapitre sur Michael Cimino, mais A la porte du paradis est un double sens. Est-on sur le point d’entrer, de passer la porte, ou vient-on d’être mis à la porte ? Je crois que tout le romanesque américain réside dans cette ambigüité.

Propos recueillis en janvier 2012 par Stéphane Beauchet et Ronny Chester pour DVDCLASSIK.

Nous adressons nos remerciements les plus sincères à toute l'équipe de Wild Side Vidéo - et en particulier Benjamin Gaessler - pour leur accueil et l'organisation de cet entretien. Et bien entendu, nous tenons à remercier chaleureusement Michael Henry Wilson pour son extrême gentillesse et sa disponibilité.

Notre deuxième entretien avec Michael Henry Wilson

Par Ronny Chester et Stéphane Beauchet - le 3 février 2012