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Édito

La semaine dernière, du 23 au 30 juin 2012, s’est tenue la 26ème édition d’Il Cinema Ritrovato, festival organisé par l’éminente Cineteca de Bologne, principale cinémathèque d’Italie et l’une des plus importantes au monde : festival sans compétition ni palmarès, Il Cinema Ritrovato se consacre surtout à la redécouverte ou à la diffusion de films anciens, d’œuvres supposées perdues comme de grands classiques restaurés, dans un esprit d’ouverture au public teinté d’exigence cinéphile. Il était donc cohérent que DVDClassik.com participe à cette remarquable manifestation.

Lors de sa première édition, en 1986, Il Cinema Ritrovato s’inscrivait dans la continuité d’une autre manifestation, la Mostra Internazionale del Cinema Libero, tentative née dans les années 60 de remettre la dimension artistique au centre de l’action culturelle, trop souvent contaminée par des enjeux politiques ou mercantiles. Très vite, grâce à l’influence grandissante de la Cineteca au niveau international, le festival s’est ainsi affirmé comme un carrefour incontournable pour les historiens, les responsables de musées ou de fondations, les restaurateurs ou les éditeurs de films du monde entier.


Cette édition 2012 fut marquée par deux absences importantes : celle de Peter von Bagh, co-directeur artistique du festival, resté en Finlande ; mais aussi et surtout celle de Giuseppe Bertolucci, qui fut longtemps directeur de la Cinémathèque et qui disparut à peine une semaine avant l’ouverture du festival. C’est évidemment à son souvenir que l’actuel directeur, Gian Luca Farinelli, dédia une grande partie de cette édition.

Comme chaque année, la programmation de festival ménageait un équilibre subtil entre les grands classiques et les films obscurs ; entre le muet et le parlant ; entre la fiction et le documentaire ; entre le local et le global ; entre hier et demain… en veillant autant que possible à offrir l’opportunité d’accompagner les projections de rencontres, de conférences ou de leçons de cinéma.

S’il était probablement délicat de faire intervenir des témoins d’époque dans la partie de la programmation consacrée au Cinéma d’il y a cent ans (sélection de films de 1912, donc, où l’on croisait des fictions de Max Linder, Louis Feuillade, Max Mack ou Victor Sjöström aux côtés de films d’actualité ou de documentaires), la rétrospective consacrée aux Maîtres du documentaire italien des années 50-60 proposait ainsi des rencontres régulières avec les réalisateurs ou réalisatrices, alertes nonagénaires pour certains.

Plus indéfinie dans son contour mais néanmoins pertinente, une sélection de films proposait un regard sur le Cinéma d’après-1929, ou comment le 7ème art témoignait, à sa manière, d’une situation de crise mondiale. Entre autres curiosités (Camerini, Borzage, LeRoy ou Ophuls y étaient à l’honneur), on a ainsi pu voir l’étonnant Gabriel Over the White House de Gregory LaCava, film extrêmement étrange (l’ange Gabriel vient investir l’esprit du nouveau Président des Etats-Unis pour imposer, par des pratiques quasi-dictatoriales, la paix aux Européens) qui est devenu quasiment invisible, en tout cas dans sa version européenne : il existe en effet deux versions - code Hays et crise mondiale obligent - de ce film, dont les différences traduisent singulièrement la radicale opposition des visions d’un côté et de l’autre de l’Atlantique, notamment pour la fin (qui change du tout au tout dans son propos) ou pour une impressionnante séquence de destruction de vaisseaux de la Marine américaine !

Il Cinema Ritrovato est également l’occasion d’un voyage spatio-temporel à travers les cinéphilies du monde entier, et propose diverses projections thématiques extrêmement spécialisées à même de combler les experts les plus pointus : l’une sur les Premiers films parlants japonais, une autre sur le Cinéma d’émigration des Italiens en Argentine, une troisième consacrée aux travaux de la World Cinema Foundation, dirigée par Martin Scorsese, sur laquelle nous reviendrons...

Il va de soi qu’un festival consacré au cinéma de patrimoine se doit de proposer des rétrospectives et autres intégrales pour contenter les complétistes, mais là encore on peut apprécier la diversité de l’offre qui intégrait l’incontournable classique hollywoodien (Raoul Walsh ; les 100 ans de la Paramount…) dans un panorama plus large : le merveilleux cinéma de Jean Grémillon y côtoyait Ivan Pyriev (cinéaste soviétique connu pour ses adaptations de Dostoïevski), Alma Reville (l’occasion de constater qu’elle n’était pas que l’épouse d’Alfred Hitchcock), Lois Weber (réalisatrice américaine de muets) ou Harry Baur, avec la projection des Misérables de Raymond Bernard en version restaurée...

Car justement, la spécificité de Bologne est d’avoir, à quelques pas à peine des cinémas où se déroule le festival, un laboratoire de restauration de films à nul autre pareil : L’Immagine Ritrovata, situé dans le même bâtiment que la Cineteca (voir image ci-dessus), et qui œuvre à proposer certains titres du patrimoine cinématographique mondial dans des conditions que l’on n’espérait plus. La grand’messe d’Il Cinema Ritrovato, où la vocation éminemment populaire d’un tel festival se révèle dans son accomplissement le plus total, se tient donc tous les soirs, à 22 h, sur l’imposante Piazza Maggiore (voir l'image du titre en haut de page). Là, tous les soirs - si les conditions le permettent (conditions climatiques… ou sportives, puisqu’une projection dut être annulée suite à l’envahissement du centre ville par les tifosi fêtant la qualification de la Squadra Azzura pour la finale de l’Euro de football) - le public bolognais peut assister à la projection d’un classique restauré. D’Il était une fois en Amérique à Lawrence d’Arabie en passant par Tess, Lola ou La Grande illusion, c’est le grand cinéma mondial dans son ultime quintessence qui vient s’offrir à la foule - laquelle répond présent dans des proportions… impressionnantes.

Enfin, Il Cinema Ritrovato se présente comme un festival de rencontres, où la cinéphilie ne se limite pas à l’expérience individuelle dans une salle obscure, mais où l’on vient partager, échanger, converser, y compris de façon tout à fait informelle. Par exemple, à peine arrivé au festival, on aura ainsi écouté avec ravissement Jean A. Gili et Gian Piero Brunetta parler de Monty Banks, natif comme le second de la ville de Cesena. Dans le cadre plus officiel du festival, c’est - entre autres - Katrine Boorman qui sera venue parler de son père, Jean Douchet offrir une leçon de cinéma sur La Grande illusion, ou Kevin Brownlow évoquer David Lean… Même DVDClassik fut ainsi convié à discuter, avec des représentants de Carlotta, de Criterion ou du musée du cinéma de Munich, autour de la situation du marché de la vidéo (pour les plus curieux, suivre le lien pour visualiser la table ronde) !

D’ailleurs, nous avons commis une petite erreur au début de ce compte-rendu partiel en disant qu’Il Cinema Ritrovato était un festival sans compétition. Il y en a une ; mais celle-ci s’inscrit dans un cadre à ce point anti-solennel, convivial et cherchant à promouvoir les différents nominés au lieu de les opposer, qu’on en oublierait presque son petit caractère concurrentiel. Tous les ans, depuis quelques années déjà, le jury d’Il Cinema Ritrovato décerne donc ses DVD Awards à des éditions qui auront le mieux contribué à la mission de promotion et d’exploration du cinéma de patrimoine propre au festival. Un rapide coup d’œil au palmarès, ci-dessous, permet de se rendre compte de l’immensité des continents cinéphiles qui s’offrent à nous : le cinéma du passé n’est pas mort, il brille de mille éclats, tous les ans, dans la cité bolognaise.



Le jury : de gauche à droite, Alexander Horwath, Lorenzo Codelli, Paolo Mereghetti, Jonathan Rosenbaum et Mark McElhatten


Il Cinema Ritrovato DVD Awards - Le Palmarès de la 9ème édition :

Best DVD 2011-2012 :
The Complete Humphrey Jennings Volume Two : Fires were started (GB / 1941-1943) édité par BFI

Best Blu-ray 2011-2012 :
A Hollis Frampton Odyssey édité par Criterion

Best Special Features (Bonus) 2011-2012 (ex-aequo) :
Godzilla (Japon / 1954) d'Ishiro Honda, édité en Blu-ray par Criterion, pour son effort de contextualisation historique
Moses und Aron (Allemagne / 1974) de Jean-Marie Straub et Danièle Huollet, édité en DVD par New Yorker Films, pour son livret
The Devils (GB / 1971) de Ken Russel édité en DVD par BFI, pour la documentation sur les controverses autour du film

Best Rediscovery 2011-2012 (ex-aequo) :
Provoking Reality: Die “Oberhausener”, édité en DVD par Filmmuseum München
Landscape of Postwar Period, édité en DVD par Korean Film Archive

Best DVD Series / Boxset (coffret) 2011-2012 (ex-aequo) :
Treasures 5 : The West : 1898-1938, édité en DVD par National Film Preservation Foundation
World Cinema Foundation, édité en DVD par Carlotta Films

Mentions spéciales des membres du jury :
Pour Lorenzo Codelli (Cinémathèque du Frioul / Positif) : l'éditeur britannique Renown Pictures
Pour Alexander Horwath (Musée du Film de Vienne) : The Complete Jean Vigo, édité en Blu-ray par Criterion
Pour Mark McElhatten (Archiviste de Martin Scorsese) : Mysteries of Lisbon, de Raoul Ruiz, édité en Blu-ray par Music Box Films
Pour Paolo Mereghetti (Journaliste et historien) : Vulcano de William Dieterle, édité en DVD par Ripley's Home Video
Pour Jonathan Rosenbaum (Journaliste et blogger) : The Big Trail, de Raoul Walsh, édité en Blu-ray par 20th Century Fox

La suite demain…

Par Antoine Royer - le 5 juillet 2012