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Test dvd
Image de la jaquette

Coffret Mikhaïl Kalatozov

DVD - Région 2
Potemkine
Parution : 4 novembre 2014

Image

Quand passent les cigognes

Les points de comparaison essentiels dont nous disposions, pour ce film, se trouvaient dans l'assez moyenne édition française MK2 datée de 2005 (qui reprenait l'essentiel de l'édition RusCiCo de 2001) et, à l'étranger, dans l'édition Criterion de 2002, que nous qualifiions à l'époque de "travail exceptionnel". Les standards évoluent, et quelques années plus tard, cette réédition nous semble, notamment en terme de définition, enterrer la concurrence.

Premier point, d'importance, l'image est complétée : quand les deux autres éditions tournaient autour d'un format de 1.30:1, on se rapproche ici considérablement du 1.37:1 original, avec un gain massif sur les bords gauches et droits.

Surtout, si l'image est globalement un peu plus sombre, le gain de piqué est assez édifiant : finie l'image grisâtre et voilée du master RusCiCo, on redécouvre ici toute une foultitude de détails (des grains de peau aux textures de vêtements) qui se perdaient autrefois quelque part dans l'indéfinition. Plusieurs parties de plan demeurent parfois un peu flous, mais compte tenu de la précision de rendu de la plupart des plans fixes, cela nous semble davantage dû aux conditions de tournage : d'ailleurs, puisque la mise en scène de Kalatozov est d'une mobilité quasi constante, notons aussi ici le gain certain de la stabilité d'ensemble (l'édition RusCiCo, notamment, "peignait" parfois). 

La lettre inachevée

Le film était inédit en France, mais avait été édité en Blu-ray en 2012 par Criterion aux Etats-Unis. On ne mettrait pas notre main à couper (il est toujours hasardeux de comparer de la HD avec de la SD) mais, vu la proximité des éléments comparables, on peut supposer que c'est le même scan (Mosfilm) qui a été utilisé pour cette édition Potemkine, ce qui nous invite à faire deux remarques : la première concerne la qualité d'ensemble de ce master plutôt propre (on notera des points blancs réguliers et des griffures occasionnelles) et bien défini, qui offre un beau piqué sur les gros plans de visage et une belle profondeur de noirs dans les scènes nocturnes (voir galerie ci-contre). La deuxième invite par contre à s'interroger sur le choix d'une image à 557 px de hauteur quand le master disponible offre la possibilité du 1080 px...

Soy Cuba

Le constat rejoint celui dressé plus haut pour Quand passent les cigognes ; trois éditions sont à ce jour comparables : l'édition Image Entertainment datée de 2000 (qui avait servi pour l'édition MK2 de 2004 évoquée en ces lieux), l'édition New Yorker Video / Milestone Cinematheque de 2007, et cette édition Potemkine 2014, qui - là encore - complète l'image sur les bords latéraux pour retrouver le format originel du film.

Le gain qualitatif, réel, est toutefois un peu moins évident ici. Si elle souffrait de contours un peu baveux et d'une stabilité parfois incertaine, l'édition Image méritait (pour son époque de sortie, évidemment) une partie des louanges enthousiastes que nous lui adressions alors. L'édition New Yorker Video en améliorait sensiblement la définition, mais était un peu plus grise, ce qui modifiait sensiblement les ambiances nocturnes. Cette édition Potemkine 2014 vient, elle, cumuler les avantages, même si l'on peut parfois trouver (le comparatif le démontre assez bien) que les noirs sont mieux gérés que les blancs, parfois presque surexposés. De la difficulté de trouver un équilibre dans le rendu d'un film qui passe aussi vite des blancs solaires aux noirs les plus profonds.

Son

Le travail sonore sur les films de Kalatozov repose, à l'image de sa mise en scène, beaucoup sur la notion de contraste ; pour résumer grossièrement : à des moments de vacarme, où les personnes hurlent dans des conditions dantesques et où la musique part dans des envolées lyriques, vont succéder des moments d'absolu silence. Difficile donc d'homogénéiser l'ensemble, et ces trois éditions présentent ainsi, dans ces conditions, des rendus que l'on saura trouver pour le moins satisfaisants. Le relief n'est pas toujours très marqué, et les moments de foule (par exemple dans Quand passent les cigognes) offrent ainsi un rendu parfois un peu brouillon, mais les différentes ambiances sonores sont généralement restituées avec soin et propreté (même si les moments de pur silence - par exemple la redoutable séquence dans la tranchée, dans La Lettre inachevée - font entendre le roulement régulier des "scratchs", inaudibles le reste du temps).

Suppléments

L'historienne Françoise Navailh, spécialiste du cinéma russe et soviétique, sert de fil conducteur entre les trois films du coffret, puisqu'elle introduit chacun d'eux par une présentation des films ; le terme de "présentation" est d'ailleurs contestable, dans la mesure où des éléments importants de la narration y sont révélés, et où l'exposé tient souvent davantage de l'analyse. On peut trouver le ton général un peu austère, mais ces modules sont précis et extrêmement instructifs. 

Nous recommandons de débuter par le module biographique sobrement intitulé Mikhaïl Kalatozov (11 min30), figurant sur le disque de Quand passent les cigognes, et dans lequel Françoise Navailh présente le réalisateur, depuis ses origines géorgiennes jusqu'à sa fin de carrière - La Tente rouge (1969), avec Sean Connery et Claudia Cardinale. L'essentiel de la présentation entreprend de détailler la filmographie de Kalatozov (on y apprend par exemple qu'il a tourné en 1954 une "comédie assez fine" intitulée Trois amis fidèles), mais on peut trouver assez curieux que Soy Cuba, dont on pensait qu'il s'agissait aujourd'hui de l'un de ses plus célèbres films, ne soit évoqué qu'au détour d'une unique phrase dans les toutes dernières secondes du module...

Pour la "présentation" de Quand passent les cigognes (12 min 30), Françoise Navailh insiste notamment sur le lien (ou plutôt l'opposition) avec Le Sel de Svanétie (1930), premier chef-d'oeuvre de Kalatozov, réalisé selon les conventions du cinéma soviétique de la fin des années 20. Elle évoque notamment l'inscription du film dans le registre "intemporel" du mélodrame, avec "la chute et la rédemption de l'âme perdue" incarnée par la superbe Tatyana Samojlova, mais aussi le désenchantement qui a gagné la nation au fil des années. Elle mentionne également certaines thématiques importantes du film (l'enfance, la nature, l'attente du retour de la guerre...), n'oubliant ni d'y associer le contexte historique, ni un certain nombre de considérations esthétiques. Sont ensuite évoqués le rôle fondamental de l'opérateur Sergei Urusevsky, indissociable de la réussite formelle de l'oeuvre, ou encore la réception critique du film (essentiellement négative en Union Soviétique) au moment de sa sortie.

Lorsqu'elle évoque La Lettre inachevée (6 min 50),  Françoise Navailh insiste sur la place prépondérante accordée aux éléments (le feu, le vent, la glace...) et sur le travail gigantesque du chef décorateur David Vinitsky, notamment pour la forêt brûlée, recomposée à partir d'éléments naturels extrêmement délicats à déplacer. Elle en profite d'ailleurs pour dresser, à deux occasions, un parallèle entre La Lettre inachevée et L'Enfance d'Ivan d'Andreï Tarkovski.

Enfin, elle introduit Soy Cuba (5 min 50) en parlant d'un film "au moins aussi extraordinaire que Quand passent les cigognes", mais précise qu'il a fallu attendre les années 90 pour que le film soit reconsidéré. Celui-ci trouve probablement son origine dans la forte impression laissée par la délégation cubain lors du Festival International de la Jeunesse, organisé à Moscou en 1957, qui marquait la réouverture (partielle, bien entendu) du bloc soviétique à l'internationale. Elle évoque ensuite les conditions de ce tournage-fleuve, qui dura deux années, et revient sur le travail "surnaturel" d'Urusevsky, et ses années de purgatoire. Après l'évocation rapide de la présence (surprenante) de Jean Bouise, la présentation s'interrompt, de façon un peu abrupte (globalement, on peut trouver la mise en forme de ces modules, sans génériques ni enrobage particulier, réduite à son strict minimum).

Sur le disque de Soy Cuba, on trouve enfin un exposé consacré aux Enjeux esthétiques et politiques de Soy Cuba (24 min 50), mené par Samuel Blumenfeld, décidément personnalité-référence lorsqu'il s'agit du film puisque c'est déjà lui qui apparaissait dans les suppléments du DVD MK2 de 2008. En plusieurs chapitres (1. La Paternité du film / 2. La Question de la Propagande / 3. La Première catastrophique du film) et de nombreuses anecdotes, il revient avec une belle érudition sur toutes les questions qui entourent le film, de sa genèse à sa réception, donc. Là encore, la réalisation est plutôt austère, mais l'abattage de Samuel Blumenfeld fait le job.

A noter que les deux intervenants évoquent brièvement le film Soy Cuba, le mammouth sibérien (renommé Le Mammouth rouge par Samuel Blumenfeld, ce qui est un au moins aussi bon titre...), documentaire sur le tournage sorti en 2005 et qui aurait probablement constitué un supplément idéal au film.

Par Antoine Royer - le 6 novembre 2014