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Test blu-ray
Image de la jaquette

L'Homme tranquille

BLU-RAY - Région B
Rimini Editions
Parution : 23 novembre 2022

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Quelques semaines après le coffret Premiers westerns, Rimini retrouve John Ford et nous offre par la même occasion l'une des plus belles sorties de l'année 2022. Il aura fallu attendre presque dix ans pour enfin profiter de l'un des sommets de la carrière du cinéaste en Blu-ray français, après les DVD des éditions Montparnasse (2000) ou celui de Films sans Frontières, obscur éditeur dont le disque sorti en 2018, à la légalité des droits suspecte, reprenait la restauration qui nous intéresse aujourd'hui.

L'Homme tranquille a été restauré en 4K pour UCLA Film & Television Archive. Il a été édité début 2013 aux Etats-Unis (chez Olive Films) puis en Angleterre fin 2015 (chez Eureka! dans sa collection Masters of Cinema). En traversant l'Atlantique, le master a bénéficié d'une petite correction de contraste qui a légèrement densifié les niveaux de noir. Cette restauration retouchée est de nouveau ressortie aux Etats-Unis en 2016 (toujours chez Olive Films). Rimini a eu accès à la première restauration de 2013, celle aux noirs plus laiteux et "décollés". Si ces contrastes relâchés se font un peu sentir au visionnage, même s'ils correspondent sans doute plus à l'étalonnage originel du film tel qu'il était projeté dans les salles de l'époque, et si on pourra éventuellement regretter que ces niveaux de noir ne soient pas plus resserrés, la différence reste minime et n'impacte pas les grandes qualités de ce transfert. Car il faut bien le dire, les conditions de visionnage sont assez exceptionnelles et donnent enfin justice à la très belle photographie Technicolor de Winton C. Hoch.

Le principe du Technicolor était de filmer simultanément sur trois négatifs couleur (rouge/vert/bleu) que l'on superposait ensuite dans une tireuse pour obtenir l'interpositif qui servirait de modèle au tirage des copies. La principale difficulté des restaurations en Technicolor est de pouvoir bien aligner les trois photogrammes rouge/vert/bleu afin d'optimiser le piqué de l'image et éviter un décalage qui entraînerait l'apparition de contours colorés... et un trait dédoublé, donc plus flou. UCLA a mis les petits plats dans les grands en organisant un travail de restauration méticuleux, qui non seulement offre une précision assez incroyable mais évite également la gêne des contours colorés. Il en reste quelques-uns de manière infime et assez discrète, tandis que la finesse du trait et du niveau de détail ne sont jamais pris en défaut. Au pire sentira-t-on une légère perte de précision durant les plans truqués (fondus au noir, pluie incrustée ou éclairs d'orage), conséquence inévitable de leur mode de fabrication. A ces exceptions près, les plans larges, les paysages comme les gros plans sont étonnants de netteté et de précision. La copie a été profondément nettoyée, les cadres sont stabilisés, les contrastes (un peu relâchés, donc) ne souffrent pas de pulsations disgracieuses et la colorimétrie ne montre pas de dérives. La palette est très nuancée, vive et très agréable, conservant des tonalités naturelles et photochimiques (pas de carnations magenta sur les visages). Les yeux aguerris remarqueront peut-être quelques petits raccords couleur non homogènes d'un plan à l'autre, sur les carnations essentiellement, mais tout cela reste extrêmement discret... et sans doute natif du procédé Technicolor d'époque. La patine argentique est conservée : le grain est fin, non affaibli par un encodage au débit vidéo très confortable, avec même un meilleur rendu que le disque américain de 2013. Pour être complet, on signalera quelques infimes faiblesses de postérisation (banding) durant les fondus au noir ou quelques aplats sombres. Bref, un écrin parfait pour ce véritable plaisir des yeux.

comparatif DVD Editions Montparnasse (2000) vs. Blu-ray Rimini (2022) :
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Son

La version originale est de très bonne facture, avec un champ sonore très ouvert, assez précis et plutôt bien équilibré. La restauration restitue assez bien les nuances d'origine malgré les basses fréquences assez sages (sauf pendant les passages musicaux). L'ensemble a été profondément nettoyé, on ne relève pas de craquements ou de saturations, juste un peu de souffle, assez discret. La version française se situe quelques crans en deçà avec un ensemble à l'amplitude limitée, un léger écrêtage des voix et de la musique assez palpable, comparable à une sorte de saturation. Le doublage d'époque reste correct mais beaucoup moins bien équilibré entre les voix et des ambiances/musique bien plus en retrait (tel qu'il a sans doute été conçu à l'époque). On peut là aussi percevoir un léger souffle, peu gênant.

Suppléments

On ne vous ment pas lorsque nous qualifions cette édition de L'Homme tranquille comme l'une des plus belles sorties de cette année. Bien entouré par d'excellents graphistes (cf. les superbes combos du Cid, La Chute de l'Empire romain, ou ceux de Hamlet ou Freud passions secrètes dont nous reparlerons bientôt), Rimini propose un magnifique coffret au visuel de nouveau très réussi, sans parler de ceux, tout aussi délicats, des menus DVD/Blu-ray. Il s'agit d'un boitier assez proche de celui utilisé par Carlotta pour ses Editions Prestige Limitées, en un peu plus épais, comprenant un digipack 4 volets pour 2 DVD et 2 Blu-ray, 4 cartes postales (19cm x 14cm) de reproductions d'affiches originales du film, ainsi que Retour à Inisfree, un livre de 104 pages abondamment illustré, signé Christophe Chavdia, fidèle de Rimini pour ses (excellents) suppléments écrits, dont celui-ci ne déroge pas à la règle.

L'ouvrage revient sur les rapports filiaux de John Ford avec l'Irlande, "sa patrie de coeur" dont l'héritage imprègne son cinéma. Il raconte ce vieux projet de L'Homme tranquille que le cinéaste tenta de monter pendant quinze ans, inspiré de Maurice Walsh, "l'un des plus populaires auteurs irlandais de son époque", dont les écrits "réconciliateurs" répondent au passé tourmenté d'un pays tout juste sorti de son indépendance gagnée dans le sang. Christophe Chavdia raconte les multiples phases d'écriture et en compare les résultats (scènes coupées comprises) avec les sources littéraires, notant des modifications très nettes de traitement, John Ford ayant souhaité passer d'un récit à l'origine très politisé à "une pure comédie pastorale". Le livre revient sur la production lancée avec la Republic Pictures grâce à John Wayne, "toujours fidèle à son mentor", et les difficultés rencontrées avec le producteur Herbert J. Yates, qui ne voyait là qu'un "film d'art et essai bidon". Christophe Chavdia analyse L'Homme tranquille, histoire de frustration sexuelle avec son héros qui souhaite se "désaméricaniser" et une héroïne symbole de la femme irlandaise en quête d'égalité et de reconnaissance. Il raconte avec force détails le tournage en Irlande, véritable "invasion hollywoodienne" qui marqua la région, et évoque le succès international et la postérité d'une oeuvre devenue culte, symbolisée par le village transformé en "musée à ciel ouvert"...

La comparaison avec l'éditeur Carlotta ne s'arrête pas à l'objet puisque, non content d'offrir un superbe emballage au film, c'est bien tout le contenu de cette édition de L'Homme tranquille qui permet sans peine à Rimini de rivaliser avec les sorties ambitieuses de son éminent confrère. Le film est, en effet, accompagné de très nombreux suppléments répartis sur deux disques.

Blu-ray 1

Conversation entre Cécile Gornet et Frédéric Mercier (68 min - HD)
Rimini a l'excellente idée de reprendre la formule expérimentée sur sa collection Billy Wilder qui réunissait deux critiques pour évoquer un film. On retrouve l'habitué Frédéric Mercier mais cette fois aux côtés de Cécile Gornet, doctorante en cinéma et spécialiste de John Ford, à propos duquel elle a participé a plusieurs ouvrages et présenté une thèse. Les échanges étayés et passionnants évoquent la longue genèse de L'Homme tranquille que Ford mit 15 ans à concrétiser, un film considéré comme une exception dans sa filmographie alors que Cécile Gornet pense au contraire que l'abondance des westerns de cette période (tel Rio Grande, "sorte de préparation" à L'Homme tranquille) est une conséquence de son difficile passage au cinéma indépendant, avec des concessions faites aux producteurs pour le laisser tourner des projets plus personnels. Le duo revient sur le rapport de John Ford à l'Irlande, très présente dans ses films, et sa représentation "artificielle", distanciée, fantasmée, presque cliché dans L'Homme tranquille, telle une "projection intime" qui montre le décalage entre le mythe et l'Histoire, et célèbre les forces de la Nature. Ils évoquent la famille fordienne, présente devant comme derrière la caméra, qui vient prendre un bain de jouvence dans les paysages habités de l'Irlande, et analysent certaines scènes telles la rencontre de Mary Kate et Sean filmée comme le sera leur histoire, pleine de tension et de proximité, ou les scènes de désir dans la maison ou dans les ruines, sous la pluie. Ils poussent le commentaire jusqu'à analyser certains personnages ou situations, notant l'exigence d'émancipation de Mary Kate à travers la dot, l'intégration de Sean PAR la chanson et DANS la chanson, le rapport à la communauté illustré par la grande bagarre finale ou la dimension politique conservée par petits éléments, qui montre les cicatrices d'un pays mais les dépasse en suggérant l'entente.

Analyse comparée entre le film et le shooting script (10 min - HD)
Cécile Gornet analyse le travail de mise en scène de John Ford à partir des documents écrits utilisés sur le tournage qu'elle compare au résultat final. Ce supplément très intéressant complète certains commentaires du module précédent et montre à travers plusieurs moments précis quel a été le travail de John Ford sur le plateau, qui a enrichi l'action en modifiant certains détails sur place tout en réussissant à exprimer des nuances dramaturgiques non écrites sur le papier, comme l'émancipation de l'héroïne. Par exemple, Ford ajoute visuellement à la rencontre de Sean et Mary Kate une notion de distance et d'obstacles qui annonce les difficultés à venir pour le couple. Il amplifie la scène de leur premier baiser par le déchaînement des éléments (la tempête) plutôt que le simple clair de lune initialement prévu. Ou improvisa peut-être la scène de l'écroulement du lit qui donna lieu à l'un des plus célèbres gags du film.

Bande-annonce originale (1 min 50 s - HD upscalé - non sous-titré)

Blu-ray 2

Un second Blu-ray est spécialement dédié à deux longs suppléments autour du film.



Le rêve irlandais de John Ford (2011 - 91 min - HD upscalé - VOSTF)
Raconté par Gabriel Byrne, cet excellent documentaire produit en 2011 (et sorti en Blu-ray en 2015 chez Olive Films, aux USA) nous replonge dans l'aventure de L'Homme tranquille, un projet très personnel du "cyclope irlandais" John Ford, analysé par les commentaires du célèbre biographe Joseph McBride, des réalisateurs Martin Scorsese, Jim Sheridan et Peter Bogdanovich (qu'il a souvent rencontré), et enrichi des souvenirs de Maureen O'Hara, de la fille de John Wayne (enfant à l'époque de la production) ou des habitants de Cong où fut tourné le film, village devenu aujourd'hui un célèbre lieu touristique et de "pèlerinage". Le documentaire s'attarde en grande partie sur le portrait de John Ford, un homme bourru, au caractère difficile et "secret", dont la vie reste si étroitement liée à ses origines irlandaises que cette culture apparaîtra régulièrement dans sa filmographie. Dans L'Homme tranquille, le cinéaste dépeint ses propres valeurs à travers une "Irlande fantasmée" et pleine de poésie, "bien plus qu'un film" : une mythologie qui capte la "mentalité tribale" et certaines coutumes comme celle, venant du Moyen-Âge, où l'on traînait la mariée "à la maison". Le documentaire fourmille d'anecdotes sur l'ambiance familiale du tournage, "comme un film de famille, devant et derrière l'objectif", revient sur les difficultés rencontrées pour mener à bien le projet, l'ambiance parfois tendue par la pression du producteur Herbert Yates qui loin de faciliter la tâche poussa Ford à bout, l'importance de John Wayne que Ford considérait comme son "idéal", les clins d'oeil à la culture irlandaise et sa confrontation avec le personnage yankee, le flash-back sur le ring qui inspira visuellement Raging Bull ou les mots mystérieux susurrés à l'oreille de Wayne par une Maureen O'Hara qui se refuse toujours à les dévoiler. Un très bon complément au film.


Innisfree (1990 - 109 min - HD - VOSTF)
L'Espagnol José Luis Guerín est retourné, à l'automne 1988, sur les lieux filmés par John Ford dans L'Homme tranquille. Ce documentaire (très mis en scène) est un portrait contemplatif et amoureux de la région, où la caméra montre ses habitants dans leur quotidien, au milieu d'une nature à la beauté simple et mystique, dans l'inévitable pub ou au bal. On s'attarde sur cette tranquille vie de campagne, ancrée dans les traditions et le passé, à travers les récits d'une Histoire ensanglantée par l'oppresseur anglais. Ponctué d'extraits et de malicieux clins d'oeil au film, Innisfree est aussi un hommage plein d'admiration au chef-d'oeuvre de Ford dont le tournage, raconté par certains survivants, hante encore la région.



En savoir plus

Taille du Disque : 49 362 806 554 bytes
Taille du Film : 34 816 567 296 bytes
Durée : 2:09:26.717
Total Bitrate: 35,86 Mbps
Bitrate Vidéo Moyen : 29,97 Mbps
Video: MPEG-4 AVC Video / 29973 kbps / 1080p / 23,976 fps / 16:9 / High Profile 4.1
Audio: English / DTS-HD Master Audio / 2.0 / 48 kHz / 1851 kbps / 24-bit (DTS Core: 2.0 / 48 kHz / 1509 kbps / 24-bit)
Audio: French / DTS-HD Master Audio / 2.0 / 48 kHz / 1992 kbps / 24-bit (DTS Core: 2.0 / 48 kHz / 1509 kbps / 24-bit)
Subtitle: French / 19,493 kbps
Subtitle: French / 1,070 kbps

Par Stéphane Beauchet - le 12 décembre 2022