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Commençons par quelques considérations d'ordre général : ce coffret, maintes et maintes fois repoussé (à tel point que le volume 2 est sorti trois ans avant !), contient des films dont la plupart étaient sortis en DVD autour de 2005 chez Metropolitan Video, et toutes les copies proposées ici, reposant sur des masters restaurés, représentent des mises à niveau considérables, qui mettent en avant le travail formel (notamment chromatique) spécifique au studio.
L'essentiel est donc préservé, avec des copies plutôt propres et d'une bonne stabilité, qui témoignent d'une bonne homogénéité d'ensemble, à l'exception classique des fondus enchaînés, marqués par des changement notable de qualité visuelle.
Pour autant, il convient de mentionner que beaucoup de titres ont déjà fait l'objet à l'international de plusieurs sorties haute-définition, et on trouve en général deux sources. Pour résumer, il existe pour chaque titre des masters StudioCanal obtenus à partir du scan 2K des négatifs gardés aux studios Pinewood (correspondant à des sorties de 2012 ou 2013) ; et, à l'occasion, il existe un autre master, commissionné par Shout Factory pour des éditions plus tardives (2018) résultant dans certains cas de scans 4K d'un autre matériel appartenant à 20th Century Fox. Après comparatifs sur captures, on peut s'avancer à affirmer que, dans chaque cas, l'édition Tamasa reprend le master StudioCanal (le plus ancien donc), et que celui-ci est, lorsqu'il y a deuxième choix, de bien moindre qualité.
Dans le détail, pour chaque film du coffret :
dracula, PRINCE DES TENEBRES
Captures 1 à 16 dans le menu ci-contre à droite.
Si le master proposé ici est propre et le rendu globalement assez plaisant, il faut lister ses quelques défauts : le rendu global est assez doux, et la définition manque parfois de finesse dans les détails. On observe aussi quelques défauts de compression, avec des noirs un peu bouchés et un rendu parfois artificiel concernant la question du grain, pour lequel on peut soupçonner - sans abus rédhibitoire, mais tout de même - l'utilisation d'outils de réduction du bruit ou de dégrainage.
RASPOUTINE, LE MOINE FOU
Captures 17 à 32 dans le menu ci-contre à droite.
Le film est ici présenté dans sa version la plus large, au format 2.55:1. Les masters StudioCanal et Shout Factory, dans ce cas, reposaient sur la même restauration 2K et offraient donc des résultats très similaires. Le rendu y est encore assez doux, mais l'usage d'outils de retouche numérique y est moins flagrant que pour Dracula, Prince des ténèbres. Certains très gros plans sont de toute beauté, même s'ils révèlent d'autant mieux les postiches...
FRANKENSTEIN CREA LA FEMME
Captures 33 à 48 dans le menu ci-contre à droite.
C'est peut-être sur ce titre que la différence entre les masters StudioCanal et Shout Factory est la plus flagrante : la version proposée ici est un peu terne, en particulier au niveau de la luminosité ou du rendu chromatique, là où l'édition Shout Factory est bien plus éclatante. A noter également l'usage très bref d'une autre source, 4 secondes entre 1h 19 min 16 et 1h 19 min 20 qui, par contraste, piquent particulièrement les yeux.
LA FEMME REPTILE
Captures 49 à 64 dans le menu ci-contre à droite.
Comme pour Raspoutine, le moine fou, les masters StudioCanal et Shout Factory reposaient sur la même restauration, menée à partir des négatifs originaux, et les différences étaient bien plus mineures, principalement dans la gestion des contrastes. Là encore, le rendu est un peu doux, et l'hypothèse DNR est encore posée. Pour affiner un peu, on dira que les scènes d'intérieur offrent un rendu plutôt très satisfaisant, notamment au niveau chromatique, mais que certaines scènes d'extérieur, parmi les plus sombres de tout le coffret, manquent un peu de clarté.
L'INVASION DES MORTS-VIVANTS
Captures 65 à 80 dans le menu ci-contre à droite.
On pourrait reprendre, quasiment au mot près, le commentaire précédent, en majorant un tout petit peu les qualités (finesse de la définition, gestion de la luminosité ou des couleurs, d'une belle variété) et en minorant les quelques défauts (le grain y paraît plus naturel). Probablement un des résultats les plus convaincants.
DANS LES GRIFFES DE LA MOMIE
Captures 81 à 96 dans le menu ci-contre à droite.
Une nouvelle fois, peu de différences entre les éditions StudioCanal et Shout Factory, et le résultat est très honorable, avec une définition plutôt fine, le film baignant globalement dans des ambiances plus lumineuses. On a particulièrement apprécié le rendu des couleurs du prologue.
LES VIERGES DE SATAN
Captures 97 à 112 dans le menu ci-contre à droite.
Sur ce film, les différences entre les masters StudioCanal et Shout Factory étaient plus marquées, avec une gestion différente des contrastes ou de la luminosité (ce qui induisait des différences assez notables dans la carnation des interprètes, notamment), et une définition moindre sur le master le plus daté. Là encore, un rendu qui manque parfois de finesse, compensé par le chatoyant du rendu chromatique. Un peu de fourmillement dans les arrière-plans. Plusieurs séquences utilisent des effets spéciaux (de transparence notamment) dont la haute-définition accentue un peu la désuétude.
Son
Ici malheureusement, impossible de mener une étude comparative entre les différentes éditions sans les avoir en main.
Le point majeur à mentionner ici est donc l'absence de versions françaises : tous les films sont uniquement proposés avec une version originale Dolby Digital Audio 2.0.
Globalement, et même si les films sont très inégalement bavards, les rendus acoustiques sont d'une très grande clarté, maintenant un équilibre permanent et une assez bonne dynamique entre les dialogues, les sons d'ambiance et les partitions musicales, évidemment très importantes dans l'atmosphère des films.
Sur aucun film, nous n'avons noté quoi que ce soit de particulièrement rédhibitoire - un commentateur, sur un autre site (DVDBeaver, pour ne pas le nommer), signalait des effets d'écho déplaisants sur les différentes éditions de Raspoutine, le moine fou, cela ne nous a pas frappés.
Suppléments
Le coffret a été tiré à un nombre limité d'exemplaires, et inclut des cartes postales, ainsi qu'un livret de 52 pages dont nous n'avons pas eu connaissance.
Sur les disques, on ne trouve aucun supplément issu des éditions antérieures (SD françaises ou HD étrangères), mais chaque film est accompagné par deux intervenants récurrents : à Nicolas Stanzick de longues présentations qui mêlent contextualisation historique et analyse, extrêmement riches et souvent passionnantes (allez, on l'écrit : on est vraiment fan, même quand il sur-analyse - par contre, les prises de vue sont un peu proches et la prise de son sature à l'occasion) ; à Mélanie Boissonneau de plus brefs modules de lecture descriptive de séquences, très décontractés dans l'approche (le ton est détaché, volontiers ironique) et de fait un peu plus anecdotiques.
dracula, PRINCE DES TENEBRES
La première présentation de Nicolas Stanzick, La Géométrie dans l'horrible (54 min - HD), pose un certain nombre des enjeux et des bases théoriques qui guideront la plupart des autres analyses qu'il propose dans ce coffret. Il débute ici, en effet, par un historique de la Hammer, studio "né dans les années 30" et qui, depuis le début des années 50, s'affirme comme studio indépendant, certes doté de petits moyens, mais bénéficiant des infrastructures des studios de Bray, d'une forêt à proximité ou du château néogothique d'Oakley Court. Il revient ensuite à 1956, début du partenariat avec Universal (et la Columbia) incitant la Hammer à revisiter une partie du catalogue du studio américain (dont Dracula) pour arriver très vite à l'année 1964, qui marque la fin de ce partenariat et le début du "gros deal" passé avec Seven Arts, société américaine qui avait notamment coproduit Qu'est-il arrivé à Baby Jane ?, Lolita ou La Nuit de l'iguane, et qui avait distribué Frankenstein s'est échappé ou Le Cauchemar de Dracula lors de leurs ressorties américaines au début des années 60. Ce contrat prévoit notamment le financement d'une dizaine de films, dont deux doubles-programmes adjoignant à une tête de gondole (Dracula, Prince des ténébres ou Raspoutine, le moine fou) une deuxième production, tournée dans la foulée, dans les mêmes locaux et par la même équipe (respectivement L'Invasion des morts-vivants et La Femme reptile).
Au bout de 10 min 50, Nicolas Stanzick en arrive enfin à ce "Dracula 3", un "vieux projet qui revient des limbes" dont il retrace l'historique, depuis un script de Jimmy Sangster écrit en 1959 et intitulé Revenge of Dracula. Passant par un projet intermédiaire, The Disciples of Dracula, qui fut scindé en deux pour donner Les Maîtresses de Dracula et Le Baiser du vampire, il identifie dans le deal avec Seven Arts les raisons d"un "retour en grâce" également motivé par la nouvelle notoriété de Christopher Lee. Pour l'anecdote, ce serait un fan de la Hammer, lors d'une émission de radio de 1963, qui aurait trouvé l'idée permettant la résurrection de Dracula, disparu depuis la fin du premier épisode.
Au bout d'environ 20 minutes, Nicolas Stanzick en arrive au tournage proprement dit, et à Terence Fisher, qui "arrivait en dernier mais parvenait toujours à s'imposer comme l'auteur" de ses films. Il donne ainsi, autour de 22 min 50, sa première définition de ce qu'il appelle le "matérialisme fantastique" de Fisher, concept autour duquel il tournera régulièrement dans ses interventions suivantes : des films mettant en scène "des créatures monstrueuses de chair et de sang qui évoluent dans un monde bien réel, le nôtre". Il retrace alors le parcours de Terence Fisher, et notamment cette période consécutive à 1962 où il aura été un peu mis de côté par le studio, et identifie dans Dracula, Prince des ténébres les symptômes d'un "profond renouvellement". A partir de 26 min débute alors une analyse plus spécifique du film, en débutant par ce choix "extrêmement culotté" de proposer en ouverture ce qui constituait le climax du film original. Dracula, Prince des ténébres est alors identifié comme "l'histoire d'une réincarnation", dans laquelle sourd "l'idée d'un indicible qui monte progressivement, de manière géométrique" (cet aspect sera repris dans l'analyse des Vierges de Satan), la musique de James Bernard contribuant à "figurer la présence invisible" du Mal : à cet égard, Nicolas Stanzick fait autant de Terence Fisher l'héritier de Jacques Tourneur "qui filmait l'horreur invisible plein cadre" qu'un annonciateur du travail de John Carpenter, en particulier pour Prince of Darkness (dès le titre, évidemment), film dans lequel on assiste à "une lente montée mathématique vers l'horreur, qui s'incarne progressivement".
Nicolas Stanzick fait de la "dualité" l'idée centrale de ce qu'il identifie comme une "trilogie draculéenne" : Le Cauchemar de Dracula reposait sur la "dualité sociale" du vampire, à la fois l'aristocrate et la bête fauve ; Les Maîtresses de Dracula sur une "dualité sexuelle" ; dans Dracula, Prince des ténèbres, il serait question d'une "dualité métaphysique", dans laquelle la première partie permettrait une "fétichisation" du Comte Dracula, à travers le rite organisé par Klove, et la deuxième partie, débutant à mi-film par l'apparition du vampire, marquerait le "triomphe du matérialisme fantastique". A partir de 41 min 30, Nicolas Stanzick parle de la réception critique du film, à l'époque mi-figue mi-raisin, mais essaye d'expliquer ce qu'il trouve passionnant dans la deuxième partie du film, souvent moins considérée : une scène, faisant écho à la séquence de la bibliothèque du premier film, permet de montrer Dracula comme une "force vidée de sa substance" ; les fonctions du moine Sandor, de Ludwig ("seule évocation du personnage de Renfield dans le cycle Hammer") ou le double rôle de Barbara Shelley sont explicités ; et le travail sur la composition des plans ou la présence "du rouge" (lié au sang, à la contamination vampirique, à la pulsion, aux enfers) sont analysés pour montrer comment, dans la deuxième partie de sa carrière, Terence Fisher aura pensé ses films en termes de "structure", notamment à travers une "esthétique du cycle" qui permet ici, littéralement,"de mettre en scène les ténèbres".
Dans Sex and no sun (9 min - HD), Mélanie Boissonneau évoque la "séquence la plus sexy du film", dans laquelle le crucifix "par la magie du push-up des années 60 mêlé à la blouse victorienne" permet de faire ressortir les seins de Diana "comme des obus". Elle insiste sur le jeu des regards qui s'installe par le biais de champs/contrechamps, mais aussi sur l'interprétation muette et la stature de Christopher Lee, qui opère ici dans un registre "plus mélancolique" et sur la singularité de la séquence, durant laquelle c'est le vampire qui exhibe sa poitrine à la jeune femme (et non l'inverse), créant un "érotisme" particulier, et ce jusqu'à "l'interruption du coït" par le cri du mari.
Figure également sur ce disque une bande-annonce d'époque, en deux parties (la première est la bande-annonce du film en tant que tel, la seconde une annonce de la programmation du film en double feature avec Frankenstein Created Woman - alors que Nicolas Stanzick précise bien, à plusieurs reprises, que dans le deal avec Seven Arts, Dracula, Prince des ténébres était accompagné de L'Invasion des morts-vivants) ainsi qu'un bref module comparatif concernant la restauration, sous la forme d'un before/after, qui permet de mesurer le travail accompli sur la texture de l'image ou sur les couleurs, depuis une source initialement très voilée.
RASPOUTINE, LE MOINE FOU
Dans La Tentation de l'épouvante historique (30 min - HD), Nicolas Stanzick commence par dresser un inventaire des incarnations cinématographiques du personnage de Raspoutine, à toute époque et dans tout pays, où s'entremêlent systématiquement la réalité historique et la dimension "légendaire" de ce personnage très vite "mythologisé". Pour la Hammer, ce qui devait être une "production historique prestigieuse" a, dès l'écriture du scénario, "considérablement dévié" : ce qui devait initialement coller "rigoureusement" à la véracité des faits historiques, en s'inspirant notamment des écrits du Prince Ioussoupov, a été remanié (par crainte de procédures judiciaires) pour coller davantage au canon horrifique des studios, et Raspoutine, le moine fou, produit en collaboration avec la firme américaine Seven Arts, fut ainsi conçu pour être "la locomotive d'un double-programme avec La Femme reptile".
Nicolas Stanzick décrit le tournage, dans la continuité de Dracula, Prince des ténébres, avec une très grande partie de la même équipe technique (hormis le réalisateur, donc, on y arrive), avec notamment des décors que l'on retrouve "tels quel", puis concentre son attention sur le cinéaste australien Don Sharp, qui fut une "star de séries radiophoniques pour la BBC" avant de passer à la réalisation pour le cinéma, et d'arriver au sein du "pool de réalisateurs de la Hammer" pour Le Baiser du vampire, "véritable réussite", dans laquelle "il affirme son style", avec une "direction d'acteurs serrée, un sens du suspense" et une aptitude à repenser le matérialisme fantastique de Terence Fisher avec une forme de "distanciation". S'ensuit un panorama de la carrière de ce cinéaste "à redécouvrir", jusqu'à des films "décadents" des années 70, comme Psychomania ou Le Manoir des fantasmes, puis on revient à Raspoutine, le moine fou, film sur lequel Don Sharp "ne démérite pas, en s'acquittant du cahier des charges horrifique". L'analogie entre Raspoutine refusant de mourir et le cinéma de John Carpenter convainc un peu moins que la mention du cinéaste américain dans la présentation de Dracula, Prince des ténèbres. La présentation s'achève sur l'éloge de Christopher Lee et de Barbara Shelley, actrice ayant incarné "toutes les facettes de l'inquiétante étrangeté féminine", et plus globalement sur "la magie du cinéma bis".
Dans Folie furieuse et satin rose (8 min 30 - HD), Mélanie Boissonneau revient sur ce film "assez mal-aimé mais adoré de Christopher Lee, et ça se voit". La réalité historique du personnage de Raspoutine étant évacuée vite fait, elle se concentre surtout sur les "tenues démentielles et luxuriantes", qui s'embellissent à mesure que le moine gravit les échelons de la société russe : elle concentre ainsi sur une séquence qu'elle qualifie d'"apothéose du délire mental de Raspoutine et du jeu de Christopher Lee, en roue libre", où les nuances de rose s'opposent pour identifier les divers degrés de folie. Elle s'amuse du "rire diabolique" du comédien autant que du comportement de Boris, qui protège son matériel plutôt que Sonia, et finit sur les modalités de mise en scène qui traduisent l' "isolement" de Raspoutine au milieu de ses richesses et de sa folie. Un petit lapsus lorsque le film est attribué (lors du contrechamp "inégalitaire") à Terence Fisher.
La bande-annonce sensationnaliste, consacrée au double-programme entre Raspoutine, le moine fou et La Femme reptile, invite quant à elle ses spectateurs à "obtenir gratuitement leur barbe de déguisement de Raspoutine" à l'entrée du cinéma !
FRANKENSTEIN CRÉA LA FEMME
Et Terence réinventa Fisher (45 min - HD) : après avoir replacé Frankenstein créa la femme dans le cycle Hammer consacré à Frankenstein (quatrième film, quatrième avec Peter Cushing, troisième réalisé par Terence Fisher), Nicolas Stanzick décrit en quoi le film marque "la réactualisation de vieilles idées abandonnées". On y apprend en effet que ce titre avait été envisagé dès 1958 par Anthony Hinds, en référence au film de Roger Vadim alors tout juste couronné d'un succès international, mais avait été abandonné au profit d'un projet de série télévisée, Tales of Frankenstein, 39 épisodes (dont un pilote réalisé par Curt Siodmak) qui ne furent jamais tournés mais dont l'un des scénarios servit de base au film de 1966. Après un descriptif des péripéties intermédiaires (fin des deals avec d'autres studios, libération des droits du "masque karloffien", etc...), on en arrive à ce projet, qui curieusement, contient bel et bien la plupart des éléments qui avaient rebuté la censure. De même, l'un des autres mystères du film est l'absence de la classique scène d' "opération" ou de "création", ici traitée par une ellipse très peu fisherienne (qu'est-il advenu de ces scènes, probablement tournées puis coupées ?).
A 13 min 30, on en arrive au tournage même du film, sur les plateaux de Bray et dans la forêt de Black Park. L'équipe technique est détaillée (Arthur Grant à la photographie, qui marque un "retour vers le naturalisme" ; le chef décorateur Bernard Robinson ; James Bernard, qui "est à Terence Fisher ce que Bernard Herrmann était à Alfred Hitchcock"), on évoque le retour "en grande pompe" de Peter Cushing après son passage auprès des concurrents de la Amicus, le second rôle Thorley Walters dans une variation "comique" de John Watson, ou Susan Denberg, figure importante du Swinging London de l'époque dont on méconnaît le destin (et qui fut doublée pour le film à cause de "son accent autrichien").
A 22 min 45, Nicolas Stanzick revient à Terence Fisher, et à la nouvelle inflexion de son cinéma, amorcée avec Dracula, Prince des ténèbres (voir plus haut). Il montre comment la première apparition, sortant d'une "décongélation", du Baron tourne le dos à l'approche classique des adaptations cinématographiques du mythe de Frankenstein pour focaliser son attention sur le "monstre moral" qu'est "le démiurge", dans une démarche pour Fisher de "réappropriation" de la saga. La singularité du projet est identifiée dans cette "idée folle de faire fusionner deux êtres en un seul", qu'auraient "adoré les surréalistes", et les concepts-clé du projet fisherien sont alors explicités, comme la "beauté du monstre", où on ne crée plus de la monstruosité mais on la répare, ou la "décadence des mythes", dans le trouble des identités, notamment sexuelles, ou dans la nouvelle folie des monstres. Nicolas Stanzick parle ensuite du "goût du mélodrame" du cinéaste, amateur notamment de Frank Borzage, qui ne se sera jamais véritablement concrétisé par un film, mais qui est prégnant ici dans la relation entre Hans et Christina. Il revient à la logique structurelle propre au cinéma de Terence Fisher, cette "sécheresse langienne" et ce goût de la "structure mathématique", de l' "abstraction géométrique" : aux logiques de la symétrie et du cycle déjà évoquées dans sa présentation de Dracula, Prince des ténèbres, il adjoint cette fois la "répétition et la translation", motifs qu'il illustre ensuite avec clarté. Il achève sa présentation sur les questions soulevées par "le transfert de l'âme", en première lecture contradictoire avec le matérialisme fisherien, sauf que Fisher parvient à la concrétiser à l'écran, comme une manière, conjointement à l'évolution du Baron, de témoigner de la qualité de la saga Frankenstein de la Hammer, "l'une des plus intelligentes de l'histoire du cinéma fantastique".
Dans Qu'on leur coupe la tête (14 min - HD), Mélanie Boissonneau revient sur ce film "dur et cruel", qui s'ouvre sur la décapitation d'un homme sous les yeux de son fils. Elle a choisi la séquence du bar, séquence qui n'est pas fantastique mais qui est bien plus politique, en ce qu'elle décrit plusieurs "systèmes d'oppression, entre hommes et femmes ou entre riches et pauvres". Le premier élément analysé est la disposition des personnages dans le cadre, avec ces jeunes hommes aisés qui viennent occuper tout l'espace, à travers une "chorégraphie" extrêmement réglée. Elle concentre son attention sur le personnage féminin, et "sa peine" face aux humiliations dont elle est victime, puis sur le sort de Hans, ramené à son statut de fils d'assassin, et donc à son statut social, à travers notamment la symbolique de la bouteille de champagne. Donc "faites attention quand vous commandez du champagne".
La bande-annonce sur ce disque correspond simplement à la reprise des dernières secondes de celle figurant sur le disque de Dracula, Prince des ténèbres, c'est-à-dire l'annonce de la double programmation des deux films.
LA FEMME REPTILE
L'intervention de Nicolas Stanzick, Quand pointe le gothique contestataire (24 min - HD), est la plus brève de celles proposées au sein du coffret, ce qui ne veut pas dire qu'elle est moins intéressante. D'emblée, il précise comment le film s'inscrit dans la volonté de la Hammer de renouveler son catalogue "par le biais de créatures monstrueuses féminines" (dans le sillage, par exemple, de La Gorgone, réalisé par Terence Fisher) et suggère que, pour son scénario de La Femme reptile, Anthony Hinds ait pu être inspiré par un film de 1955, The Cult of the Cobra (de Francis D. Lyon), dont il parvient à se démarquer à travers cette figure "anthropomorphe". Quoi qu'il en soit, au moment du tournage de La Femme reptile (débuté à peine une semaine après la fin de celui de L'invasion des morts-vivants), la relation entre le réalisateur et la Hammer s'est "passablement dégradée", en particulier avec le scénariste Anthony Hinds, et Nicolas Stanzick mentionne notamment ces "gros plans" de la créature imposés par le studio au cinéaste, qui aurait souhaité quelque chose "de plus suggéré".
Nicolas Stanzick souligne ensuite la "gémellité" entre La Femme reptile et L'invasion des morts-vivants, deux films construits sur la même idée d'une "épidémie de morts mystérieuses", et "tournés dans les mêmes décors" par "la même équipe technique", avec notamment le chef-opérateur Arthur Grant ou le chef-maquilleur Roy Ashton. Il fait également ressortir des points communs dans la mise en scène de John Gilling, à travers notamment "ces scènes de déambulation nocturnes" ou cette figuration d'un "exotisme étrange" au sein de la société victorienne, ce qui contribue à la "perpétuation d'un imaginaire Hammer" d'un film à l'autre (idée déjà suggérée à la fin de sa présentation de Raspoutine, le moine fou), via des "passages secrets" qui débouchent sur une "poésie propre au cinéma bis" : comme il l'énonce, "par sa seule existence, La Femme reptile rehausse la beauté de L'Invasion des morts-vivants et vice-versa". Il en arrive alors à ce "pilier de la Hammer" qu'est Michael Ripper, "homme du peuple" habitué à porter l'univers de la Hammer sans en être une des vedettes qui devient ici "le héros", ce qui lui permet une lecture politique du film autour de la "revanche des sans-grades". Les différents rapports de domination du film sont ensuite identifiés, nourrissant une nouvelle "critique du colonialisme", sous la forme du "retour du refoulé", de la "culpabilité des colons" : il achève par une analyse de la "séquence de la cithare", où le père finit par briser ce qui est alors un "symbole de la contre-culture", identifiant au sein de la Hammer ce paradoxe de "ces messieurs d'une cinquantaine d'années" parvenant à réaliser des œuvres "totalement en phase avec les fantasmes de la révolution pop qui est sur le point d'éclore à partir de 1968".
Devine qui vient dîner (11 min - HD) donne également l'occasion à Mélanie Boissonneau de préciser quelques liens entre La Femme reptile et L'Invasion des morts-vivants, et se concentre plus spécifiquement sur la séquence du dîner, confrontant les "méchants" aux "gentils blonds". Elle fait ressortir l'importance des costumes, entre la "robe jaune pâle" de Valerie et la lavallière ponctuée de rouge de son époux, qui annonce ce qui va se passer ensuite. D'ailleurs, le repas en lui-même ne revêt que peu d'importance, traité de façon elliptique par cet effet de montage sur un "chandelier qui se consume". L'arrivée d'Anna permet de séparer en deux groupes "en miroir", avec d'un côté les hommes qui discutent au salon et de l'autre les deux femmes allant observer les animaux de compagnie, et Mélanie Bissoneau fait ressortir la dimension ironique de cette visite au "garde-manger". De façon plus générale, elle parvient à identifier chez le réalisateur John Gilling un certain goût des "choses ordonnées", malgré le chaos environnant. Elle analyse enfin, elle aussi, la séquence musicale évoquée par Nicolas Stanzick, dans laquelle elle insiste sur la manière dont la superposition des lignes musicales contribue à créer une tension particulière.
Même principe pour la bande-annonce (2 min 20) : celle de La Femme reptile s'accompagne ici de l'annonce de sa double programmation avec Raspoutine, le moine fou. Et comme sur le disque de Dracula, Prince des ténèbres, un module consacré à la restauration permet de comparer l' "avant" et l' "après" restauration du film.
L'INVASION DES MORTS-VIVANTS
Dans Les Prémices du zombie moderne (36 min - HD), Nicolas Stanzick commence par établir un rapide panorama du film de zombies, des images modernes depuis White Zombie de Victor Halperin ou Vaudou de Jacques Tourneur. Il retrace l'origine de projet, repoussé au gré de diverses annonces, et prévu comme complément de programme à Dracula, Prince des ténèbres. Il en arrive à John Gilling, "un des trois cinéastes majeurs de la Hammer", une "très forte personnalité", un "rebelle assumé", et revient sur la carrière de ce cinéaste : il insiste sur son "chef-d’œuvre absolu", L'Impasse des violences, un film qui "invente une esthétique fantastique de la dégueulasserie tout à fait inédite", mentionne ses conflits réguliers avec la Hammer (notamment sur La Gorgone) et résume les choses en disant que, "autant Terence Fisher était conciliant, autant Gilling était du genre à passer en force et à provoquer des pugilats". Après une mention du casting (André Morell, John Carson, Jacqueline Pearce...), il en arrive au tournage et à la manière dont les éléments de décor communs à Dracula, Prince des ténèbres et Raspoutine, le moine fou ont ici été reconvertis. Il insiste sur le travail du responsable des effets spéciaux, Roy Ashton, qui a ici "fait des miracles" et "offre parmi les maquillages les plus mémorables de sa carrière", dans une "économie de moyens qui contribue à l'efficacité". Il identifie ensuite plusieurs "motifs stokeriens" dans le déroulé du récit, "revivifiés par une mise en scène resserrée, dynamique, compacte". Les dix dernières minutes sont consacrées à une lecture "politique" du film : la dimension "anticoloniale" du film souligne "l'hypocrisie" de l'hypothèse civilisationnelle propre à la logique coloniale, et au-delà, à la logique capitaliste, le film mettant en scène "les fantômes de l'esclave". Ce film marque selon lui le "point de bascule" annonçant le cinéma de George Romero, et la séquence du "rêve" est analysée en détail pour souligner cela, à travers sa "modernité stylistique", cette "foule de monstres" inédite chez la Hammer qui fait naître une "peur des masses" et cette logique fantastique de "l'interdépendance du rêve et du réel" qui ouvre la porte au cinéma de Lucio Fulci ou au Thriller de John Landis.
Prédateur for ever... (10 min - HD) donne à Mélanie Boissonneau l'occasion d'identifier les liens qui existent entre L'Invasion des morts-vivants et La Femme reptile (outre la prise de son régulièrement perturbée par le vent, il est vraiment dommage que la mise en point soit ratée sur les premiers plans larges...). Elle décrit la séquence choisie, la rencontre entre Sylvia et Clive Hamilton, en insistant une nouvelle fois sur les costumes (mais la robe pastel est moins jaune que rose/violette) et en décrivant la manière dont le personnage masculin vient perturber, induire du désordre, dans le monde délicat de la jeune femme. Cette séquence d' "envahissement" de son espace est analysée à travers des questions de mise en scène, de cadrages ou de positionnement des interprètes. Le comparatif entre les intérieurs de l'espace de Sylvia et l' "antre du méchant" gorgée de "trophées de chasse" est également très éloquent.
Là aussi, bande-annonce du film (en solo) et module consacré à la restauration (pour le coup, peut-être moins spectaculaire que les précédentes).
DANS LES GRIFFES DE LA MOMIE
Dans les griffes de la momie : beauté d'un bis désenchanté (26 min 30 - HD) est probablement l'intervention la moins riche de Nicolas Stanzick, que l'on sent bien plus réservé sur ce film, qui "est un pas de côté conservateur", qui "ne sort pas des sentiers battus" et qui souffre d'un "scénario beaucoup plus paresseux" que la plupart des autres films du coffret. Il retrace tout de même, partant de la découverte du tombeau de Toutankhamon en 1922, un bref historique du film "de momie", et revient en particulier, dans le registre, sur les deux productions Hammer antérieures à Dans les griffes de la momie : La Malédiction des Pharaons, film qui est à la fois un "commentaire sur la conquête coloniale" et "sur les ambigüités réciproques du Bien et du Mal", ou Les Maléfices de la Momie, dans lequel Michael Carreras, en quelque sorte, "tuait le père". Son intervention dresse alors un inventaire des différents contributeurs : le réalisateur John Gilling, "cinéaste extrêmement solide" dont il a été question, plus en détail, dans certaines interventions précédentes (en particulier L'Invasion des morts-vivants) ; le directeur de la photographie Arthur Grant, qui propose ici "des tons plus chauds que d'habitude" ; le chef des effets spéciaux Les Bowie, dont il salue le travail, même si on voit la fermeture éclair de la momie ; et les différents membres du casting, André Morell, Catherine Lacey, Maggie Kimberley (comédienne atypique, qui n'aura joué en tout et pour tout que dans trois films, et qui impose ici sa beauté froide de "Barbara Steele blonde"), John Phillips ("parfait dans le rôle du financier détestable"), Eddie Powell (qui fut longtemps la doublure de Christopher Lee et qui incarne ici la Momie) ou les fidèles du studio, Roger Delgado et évidemment Michael Ripper. Revenant à John Gilling (qui avait surtout fait le film pour des raisons financières et pour s'échapper un peu de la télévision), Nicolas Stanzick porte son attention sur deux scènes de morts réussies, pour conclure en faisant du film une sorte de "chant du cygne" de la Hammer : dernier des onze films du deal passé entre la Hammer et Seven Arts, dernier film tourné dans les studios de Bray, Dans les griffes de la momie voit "une part de l'identité de la Hammer sur le point de s'évanouir" et constitue ainsi "le point de basculement vers la décadence".
A tombeaux ouverts (9 min - HD), Mélanie Boissonneau propose de "se rendre compte du génie de John Gilling", à travers la séquence "du réveil de la Momie", qui "met en scène le motif de l'enfermement", de la Créature mais aussi des autres personnages, "coincés dans des espaces de mort". Les extraits du film illustrent pertinemment son propos sur ces éléments du décor qui viennent "obstruer" la vue du spectateur, et cette idée d'un cabinet de la voyante qui reconstitue comme "un tombeau". Elle identifie ensuite les éléments qui, lors de la séquence du réveil de la Momie, permettent d'adopter le "regard" de celle-ci, notamment à travers ces cadrages qui opèrent comme des champs/contrechamps depuis les points de vue des deux momies : c'est bien en premier lieu la mise en scène, ici, qui "acte le passage vers la mort".
Une nouvelle fois, le disque propose la bande-annonce du film (ici d'assez bonne qualité).
LES VIERGES DE SATAN
Pour finir en beauté, la dernière présentation de Nicolas Stanzick - Partie d'échecs avec le diable - 56 min - HD -, très complète, explique dans un premier temps comment un film comme Les Vierges de Satan a permis à la Hammer de ne pas se contenter de suivre l'exemple des studios Universal en multipliant les crossovers des créatures de son catalogue, parvenant à s'en démarquer grâce notamment au thème de l'occultisme, dont Nicolas Stanzick parvient ici parfaitement à restituer la présence dans la (contre-)culture britannique des années 60. Sont ainsi évoqués l'auteur Dennis Wheatley et son "cycle occulte" mettant en scène le Duc de Richleau ; la figure controversée d'Alestair Crowley et son influence sur certaines figures de la scène musicale de l'époque ; mais aussi Christopher Lee, passionné par le sujet, les ouvrages de Wheatley et par la perspective, enfin, d' "avoir du texte" !
Le rôle des principaux protagonistes ayant contribué au film est clairement décrit, depuis le scénariste Richard Matheson, qui aura travaillé à restituer la "substantifique moelle" du roman (sont d'ailleurs évoquées les différences entre la source littéraire et l'adaptation filmique, expurgée notamment du racisme latent de Wheatley) jusqu'aux comédiens Charles Gray (qui incarne une version du personnage de Mocata bien plus séduisante que dans le roman, dans une thématique de la "beauté du Mal" chère au studio) ou Nike Arrighi, qui "se démarque la Hammer Girl classique".
Il en arrive ainsi (à partir de 25 min 32) à Terence Fisher, dont Nicolas Stanzick loue dans un premier temps "la rigueur absolue du découpage" et la dynamique d'un film qui est à rapprocher, selon lui, d'un "serial des années 20 à la Feuillade" ou du Testament du Docteur Mabuse de Fritz Lang. Il évoque plus spécifiquement l'utilisation des miroirs dans le cinéma de Terence Fisher, "cette image qui s'incarne, qui devient douée d'une vie propre" et vient établir des liens entre d'autres cinéastes, d'une part concernant l'influence de Jacques Tourneur dans le "matérialisme fantastique" de Terence Fisher, d'autre part sur les liens existant entre le cinéma de Terence Fisher et certains films à venir de Roman Polanski (et même un peu plus tard, et façon de façon plus inattendue, de Stanley Kubrick). De manière plus théorique, mais absolument passionnante, il explicite la manière dont Fisher est alors attaché "à la structure d'ensemble" de ses films, débouchant "sur une esthétique inspirée des mathématiques, à travers les motifs du cycle, de la répétition, de la symétrie ou du double", confinant "à une forme d'abstraction". Il pousse alors la métaphore de la partie d'échecs, pour décrire Les Vierges de Satan, une partie d'échecs "dont on découvre progressivement les règles, celles de l'occultisme, qui permettent de transgresser les règles de la réalité", et qui oppose deux opposants présentés de façon très similaire, cette "neutralité de la mise en scène" contribuant à la fois à présenter le manichéisme de la situation mais à éviter le manichéisme du regard. Il discute ensuite de la "dialectique transgressive" de Terence Fisher, et notamment de la question morale de son regard ou de ses images (en revenant notamment à son éducation) et proposant une lecture duale de son éventuel "puritanisme", pour terminer sur la réception critique du film, qui marque notamment en France le premier témoignage d'intérêt des Cahiers du Cinéma (via un article de Jean-Pierre Oudart) pour Terence Fisher.
Le Salon rétromobile présente... (HD - 7 min) est - en comparaison - particulièrement superficiel ("j'ai choisi cet extrait parce que je le trouve drôle et que j'aime les vieilles voitures"). Mélanie Boissoneau a choisi une séquence de poursuite en voitures sur laquelle elle n'a pas grand-chose à dire, et on y apprend assez peu sur le film - ou sur les carrosseries anciennes, d'ailleurs.